Le père François Ponchaud, des Missions étrangères de Paris, fut le premier à lever le voile sur le génocide des Khmers Rouges dans son livre «Cambodge année zéro», toujours disponible en reproduction photocopiée dans les marchés de Phnom Penh et des grandes villes du pays. Il vit aujourd’hui en province, retiré des affaires, mais garde un œil aiguisé – et désabusé – sur la situation dans ce royaume qu’il aime tant. Nous reproduisons ici sa dernière «lettre cambodgienne».
Nous reproduisons ici un courrier adressé à ses donateurs par le père François Ponchaud
Chers Amis,
Beaucoup d’entre vous me demandent si cette année je rentre en France cet automne pour nous rencontrer comme d’habitude. Et bien Non, cette année je ne rentre pas. La première raison est le coronavirus. Il n’y en a pas, et il ne peut pas être au Cambodge, mais je ne tiens pas à être bloqué en quarantaine par ci par là. Même en France, on peut très bien en être victime. Les Missions Étrangères m’ont fait savoir qu’il serait difficile d’organiser une séance avec beaucoup de monde, car les autorités ont fixé de nouvelles lois qui restreignent les rassemblements.
Le Nouveau Testament en langue khmère
Je voudrais également terminer la correction de mon commentaire, en khmer, du Nouveau Testament : il est achevé, mais il y a toujours des retouches à faire. Sans doute, c’est un commentaire rapide, faite par un non-spécialiste de la Bible, mais au moins, il aura l’avantage d’exister. Les Protestants seraient intéressés à le publier. Comme j’ai pris beaucoup d’initiatives dans les traductions, les tractations seront peut-être difficiles. Je commence à diffuser les deux premiers volumes…Après, on verra, car je me sens relativement faible. Je commence à diffuser des explications chaque dimanche, par mail…Pour certains, c’est un éblouissement…
Le glaucome qui grossissait, a finalement eu gain de cause, et me voilà presque aveugle d’un œil. Au début je croyais que jamais je ne m’y habituerai, avec des troubles du cerveau. Puis à la longue, je fais avec, et sans trop de peine. Je dois me ménager, ce que je n’avais jamais appris à faire…
Dans la région de Takéo
Ma vie est plus que sédentaire : depuis plusieurs années, je n’ai plus de paroisse. Il est difficile de rencontrer les gens, ce que j’aime, quand on n’a pas de lien avec eux. Pendant « la crise du coronavirus », depuis mai, j’ai élu domicile dans la région de Takéo. La sœur de notre ancienne cuisinière m’a accordé une maison de campagne, pour travailler. Je vois un peu les gens des environs. Comme j’avais promis aux gens, depuis des années, de leur construire une école maternelle, et que j’ai reçu la moitié de la somme nécessaire, je me suis lancé dans la construction. J’en ai encore pour un mois. Ce sera la dernière, car maintenant le pays a les moyens de faire face. C’est une question d’organisation.
Le dimanche, un ancien khmer rouge devenu chrétien, me conduit dans les différentes églises du secteur. Je suis à la fois étonné de la foi des gens, et de la réponse, souvent inadéquate, que nous leur donnons…Nous restons encore beaucoup trop Occidentaux pour les Cambodgiens, même à la campagne. A la retraite, je me dois au silence. Personnellement, je serai pour l’allégement des rites et des formules, avec beaucoup de participation des gens : les gens ont des idées que nous n’avons pas, ou que, en tant qu’Étranger, nous n’arrivons pas à faire passer…On veut traiter les Cambodgiens, non-croyants, comme les Français (non-)croyants…
La mort de Douch, l’ombre de S21
Avec la mort de Kaing Guek, c’est le tortionnaire de S 211 qui décède. Je passe devant cette ancienne prison chaque fois que je vais chez l’oculiste…Chaque fois je mon cœur bat en pensant aux 15.000 torturés qui sont passées par là. Je suis allé le trouver en prison : décevant. Il n’a parlé que de Jésus. C’est vrai qu’il s’est converti par une secte protestante, et qu’il a l’air d’y croire. Le dimanche après sa mort, je voulais presque ajouter une intention de prière : cela aurait fait peut être réagir les gens…C’est vrai que rien n’est impossible à Dieu, surtout de pardonner à un monstre pareil…Bon exemple pour commenter les ouvriers de dernière heure…Après le décès de Nuon Chéa, qui aurait dû devenir chef des Khmers rouges à la place de Pol Pot, il ne reste maintenant plus que Khieu Samphan qui est en train de mourir en prison…
J’ai relu, du coup, Cambodge Année Zéro. Les premiers chapitres sont éloquents pour décrire crédiblement la mort des dignitaires et des officiers de l’ancien régime, qui n’étaient pourtant pas tous des salopards, même si leur régime ne valait rien. Malgré leurs bonnes idées généreuses au départ, les Khmers rouges ont été une catastrophe pour le pays. Le régime actuel achève cette décomposition du pays.
Un peu désorienté
Je me sens un peu désorienté devant l’évolution du pays et du monde. Phnom Penh continue à préparer sa sinisation avec la construction d’innombrables bâtiments, inoccupés…pour quelques années encore…La population est de plus en plus mélangée, avec un résidu khmer à la peau noire. J’habite chez un aide-médecin, protégé par une dame que je connais bien, et habite tout près des Missions Étrangères à Paris. J’ai un petit appartement où je vis seul, du matin au soir et du soir au matin. Une chrétienne vietnamienne me fait apporter des repas. Quand j’en ai assez de la solitude, je me promène dans le bidon-ville qui est en train de se transformer en cité chinoise. Les gens sont assez peu accueillants, car ils ne me connaissent pas. En ville il faut du temps pour se connaître… Peu à peu ça commence à se débloquer. Les enfants m’adressent la parole en anglais. Pourquoi pas ? Jusqu’à présent j’étais opposé à l’usage de l’anglais, mais pourquoi pas ? Cela leur donnera un atout contre les Chinois, et les ouvre à l’univers…Voilà qu’à 81 ans, je vais me mettre à l’anglais…
Bientôt le Pchum ben, la fête des morts
C’est bientôt le Pchum Ben, la fête des morts. Ce matin je suis allé avec la famille qui m’héberge donner à manger à une douzaine de moines. Vraiment débauche de l’argent et de le nourriture, mais rien pour les pauvres…
J’avoue que je suis un peu déconcerté devant l’avenir du pays, de la société, de l’Église.
Cela ne doit pas vous étonner d’un vieillard que je suis devenu, mais quand même.
Je vous parlais plus haut de l’école. Le village est composé surtout de paysans, très pauvres. Ça leur redonne un peu de fierté. Les artisans sont tous du village.
J’ai dépensé 8.000 dollars. Il m’en faudrait encore environ autant pour terminer et aussi aider 38 orphelins… Vous pouvez m’aider, si vous le voulez bien, et ce sera la dernière fois.
Vous pouvez envoyer avant la fin du mois septembre ce que vous désirez pour cette école,
A PROCURE des Missions Étrangères, 128 rue du Bac 75007 Paris
Merci.
François PONCHAUD
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