Oubliez les palmiers à sucre. Tirez une croix sur les rizières. La province de Mondolkiri, sur les contreforts montagneux du Vietnam voisin, offre un paysage de collines et de forêts, un climat parfois frisquet et une population qui ne parle pas toujours très bien le khmer. Un autre Cambodge. Récit issu de notre magazine.
“Nhiet drang” ! L’invitation est un peu brusque, presque un ordre. L’homme au visage taillé à la serpe et aux longues oreilles percées m’observe en souriant. Puis il m’invite à entrer dans sa longue maison en chaume. “Nhiet drang”… “Boire à la jarre”, dans le dialecte un peu guttural des phnongs, l’ethnie montagnarde dominante dans cette province du Mondolkiri. Je m’incline, ou plutôt me penche vers le grand récipient fuselé qu’il me tend, au fond duquel surnagent une poignée de feuilles vertes.
Affrontant mes appréhensions, je saisis la longue paille de bambou – parfois remplacée par un tuyau de caoutchouc souple qui, au goût, trahit sa fonction initiale: siphonner de l’essence. Je prend une longue inspiration et aspire comme un forcené. Je vire au rouge… Boire à la jarre n’est pas exactement comme siroter une menthe à l’eau, cela réclame du souffle !
Un petit coup de jaja…rre
Passé la première impression de vinaigre, ce n’est pas si mauvais. Le “nectar” est encore jeune, fait d’un mélange de riz fermenté et de plantes, et doit tout de même être consommé avec modération (le vin de jarre est aussi alcoolisé qu’une bière). Entre deux gorgées, on me tend une énorme cigarette roulée dans une feuille verte. L’élégant cône n’est en fait qu’un tabac local relativement doux, particulièrement prisé par les femmes.
C’est cela, l’hospitalité phnong. Avant de m’inviter à ces tribales libations, mes hôtes ont pris soin de se mettre en règle avec les esprits (les phnongs sont animistes) en psalmodiant une série d’invocations. Satisfaits de mon comportement et de mes “hummm” accompagnés d’un pouce constamment dirigé vers le haut, ils m’accordent soudain un peu moins d’attention, ce qui me permet d’observer à loisir l’intérieur de la maison traditionnelle.
Construite à même la terre battue (et non pas sur pilotis comme les habitations khmères) autour d’un grenier à riz surélevé, elle est sombre et enfumée par un feu de bois entretenu en permanence. Les chiens, poules et cochons s’y promènent en toute liberté, fouinant sous les grands bas-flancs en bambou qui constitue l’essentiel du mobilier. Avant de me retrouver complètement assommé par le breuvage, je me décide à prendre congé. Je peux alors retrouver un paysage qui contraste singulièrement avec les habituels clichés de carte postale.
Mondolkiri, signifie en khmer “le pays des montagnes”. En fait de montagnes, c’est une succession de collines rouge latérite qui émergent de loin en loin d’une vaste forêt. Parfois, elles sont d’un noir charbon, conséquence des bras que pratiquent traditionnellement les phnongs en saison sèche pour les cultures et le renouvellement du pâturage.
Isolée sur les hauts plateaux qui descendent du Vietnam voisin, Mondolkiri est certainement une des régions les plus reculées du royaume. La province ne compte que 88 000 habitants, dont le quart est regroupé à Sen Monorom, le chef-lieu. Les ethnies montagnardes (les khmers les nomment avec un brin de condescendance “khmer loeu”, ou “khmers du haut”) représentent 80% de la population, vivant essentiellement dans les collines ou en forêt.
On compte une dizaine de ces minorités kroeuns, tampouns et phnongs autrefois nomades, à présent en voie de sédentarisation. Parmi les kroeuns et autres tampouns, les phnongs sont les plus largement représenté (80% des populations montagnardes). L’agriculture (un peu anarchique, comparée a celle des khmers), l’élevage, ainsi que la chasse (parfois malheureusement au tigre…), composent l’essentiel de leurs activités.
La province est connue pour son or, et il n’est pas rare de croiser le chemin d’orpailleurs se rendant à la mine ou à la rivière. Quant au commerce, il se fait également avec le Vietnam, les communications avec les autres provinces étaient difficiles par voie terrestre avant l’achèvement d’une route donnant l’accès en 3 heures à la province. Mondolkiri est une priorité de développement pour le gouvernement. À l’occasion d’une visite dans la province il y a quelques années, les experts de Phnom Penh avaient dévoilé la stratégie en vue du décollage économique de la zone. Le plan distinguait quatre secteurs d’activité pour l’avenir de la province: production agricole dans le nord, agro-industrie dans le sud, exploitation de l’or et des pierres précieuses dans l’ouest, et surtout l’éco-tourisme que le prince aimerait voir se développer dans l’est. Avec des forêts couvrant 80% du territoire provincial, il est vrai que le potentiel est énorme.
Un air de Far-West
L’avion reste le lien le plus rapide avec Phnom Penh. A Sen Monorom, il atterrit sur une piste qui domine le “centre-ville”. En fait, Sen Monorom ressemble davantage à un gros bourg qu’a une capitale provinciale. L’omniprésente poussière rouge, les maisons en bois et les carrioles de petits chevaux qui empruntent régulièrement sa grande rue de terre lui donnent un petit air de western américain. Pour un peu, on s’attendrait presque à y voir surgir un John Wayne ou un Clint Eastwood poursuivi par une bande d’indiens.
Des pancartes en bois dirigées vers les quatre points cardinaux confortent un peu plus cette idée. Un marché discret autour duquel se trouvent plusieurs restaurants, des guest-houses (aux tarifs tout à fait abordables) et l’hôpital provincial sont les quelques points de repère de ce lieu hors du temps. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas la panique à O.K. Corral. Car Sen Monorom est un appréciable havre de paix.
Ajoutez à cela le paysage de collines, la relative fraîcheur (Sen Monorom culminant à 1000 mètres, une bonne couverture se révèle indispensable la nuit), et vous tenez la l’endroit idéal pour vous refaire une santé, surtout si vous venez de Phnom Penh.
Tourisme en folie
Quand l’intérêt touristique de la ville en elle-même… Louez plutôt les services d’un moto-taxi qui vous servira de guide dans les villages phnongs des alentours. Vous avez alors le choix entre faire la route des vins (de jarre), ou, plus intelligemment, tester le moyen de transport traditionnel des montagnards: l’éléphant.
En négociant directement avec un propriétaire de ces pacifiques pachydermes, vous pourrez vous balader par monts et par vaux, si toutefois vous n’êtes pas sujet au mal de mer. Chacun de ces bestiaux peut transporter trois passagers, assis tant bien que mal sur une nacelle, plus le cornac. Si votre monture ne s’est pas mise en tête de faire de votre petite promenade un voyage gastronomique (l’éléphant, animal facétieux, est très friand de bambou), et avec l’accord préalable, vous finirez bien par vous baigner dans une des nombreuses chutes d’eau (“toeuk chhu”, en khmer) qui agrémentent le pays phnong. Bu Sra en est une particulièrement connue, à l’est de Sen Monorom et à 25 kilomètres du Vietnam, mais il y en a beaucoup d’autres…
Arnaud Roux
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