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CAMBODGE – TRADITIONS : Entre haut-parleurs, cérémonie animistes et génies en tout genre

Journaliste : Frédéric Amat
La source : Gavroche
Date de publication : 04/06/2020
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La fin de la saison des pluies correspond, au Cambodge, au « réveil » des pagodes. Après la fête des morts (Pchum Ben) célébrée ici et là durant la totalité du mois de septembre, voici venir les Kathins, ces cérémonies destinées à offrir aux bonzes de toutes les pagodes leurs nouveaux attributs ainsi que des produits usuels.

 

Ces cérémonies se déroulent habituellement dans les monastères mais les particuliers organisent bien volontiers chez eux ces «bouns» ou fêtes religieuses. Quelques drapeaux sont plantés à l’entrée du lieu de culte ou de la maison. Mais c’est principalement grâce à la sono et aux haut-parleurs que les voisins sont avertis du début des réjouissances locales ! Le haut-parleur est ainsi de-venu, ces dernières années, l’instrument bruyant de communication des bonzes dans la quasi-totalité des pagodes. Son usage systématique, à toute heure du jour et de la nuit, est très timidement remis en question. Son emploi est devenu un élément du bouddhisme cambodgien, une religion qui, comme nous le verrons plus loin, dispose de biens étranges particularités.

 

Ainsi, la plus grosse majorité des moines estiment très «traditionnel» le tapage occasionné par l’emploi à tort et à travers de la sono, du micro (avec effet écho très techno) et du haut-parleur. Très rares sont les religieux érudits à le trouver contraire aux principes mêmes du bouddhisme. Interrogé sur la nécessité du recours à du matériel de sonorisation pour animer les cérémonies bouddhiques, un bonze de 35 ans du Wat Botum de Phnom Penh se braque immédiatement. «C’est la tradition et nous sommes obligés de nous servir de micros ! C’est inévitable ! De toute façon, jamais personne n’est venu se plaindre !», objecte-t-il.

 

Devant l’insistance du journaliste à lui démontrer que la technologie est née bien après le bouddhisme, et que Phnom Penh, jusque dans le milieu des années 1990, ne disposait pas d’électricité, le religieux s’emporte: «Et que diriez-vous si le jour de votre mariage, on ne mettait pas de haut-parleurs, hein ?».

 

Et pour démontrer que les bouddhistes apportent leur caution aux amplis, il lâche: «Ce sont les fidèles qui achètent et entretiennent ce matériel !» Un «achar» de 78 ans (maître de cérémonie laïc qui officie pour toute cérémonie religieuse, Ndlr), assis à ses côtés, répète en écho, et sur tous les tons, le mot “tradition”, ajoutant qu’a-près 22 heures, «la pagode se tient tranquille».

 

Une affirmation démentie très discrètement par les voisins qui expliquent que, très souvent, les haut-parleurs hurlent sans discontinuer jour et nuit, le son à son volume maximum. Une circulaire du ministère des Cultes interdit pourtant aux temples de faire fonctionner leurs haut-parleurs de 11h à 14h, pour cause de “sieste”, et après 20 heures, précise le chef du Département des cultes à la municipalité de Phnom Penh. Pour certains, il y a une confusion dans les esprits. «Faire du bruit n’est pas le propre des pagodes. C’est davantage une tradition cambodgienne qu’un principe bouddhique. Le «wat» (temple) est un lieu de quiétude par excellence, qui doit offrir un environnement favorable à l’enseignement, la prière et la méditation. Mais ce n’est plus le cas depuis bien longtemps. La guerre a fait table rase de notre culture. L’arrogance, la vanité et la bêtise l’ont remplacée», estime un autre achar sous couvert de l’anonymat. Et de conclure: «Si on fait cracher les haut-parleurs, cela s’appelle faire du prosélytisme! Or être bouddhiste implique ne pas forcer les autres à partager ses croyances. Ceux qui sont intéressés viennent à nous. Nul besoin de les attirer de façon aussi grossière et vulgaire!»

 

Cet exemple du haut-parleur semble anodin mais il est au contraire l’une des particularités du bouddhisme khmer. Pour le père François Ponchaud, prêtre catholique installé depuis des années au Cambodge, écrivain et traducteur de la Bible en langue khmère, «les Cambodgiens pratiquent une sorte de mélange de bouddhisme, d’animisme et de brahmanisme.

 

Le bouddhisme est une expérience personnelle. Elever des cultes aux Neak Ta (esprits fonciers) ne dérange pas. En outre, il y a dans ce syncrétisme une sorte de partage des tâches. Le brahmanisme et l’animisme organisent la vie ordinaire de tous les jours et le bouddhisme, celle de l’au-delà.» Ainsi, Pchum Ben, si elle est la plus importante fête khmère, est aussi la plus aberrante ! «Dans le bouddhisme, on ne prie jamais pour les morts, car ils se réincarnent. Or, dans les monastères, on fait des offrandes aux morts pour qu’ils ne viennent pas faire de mal aux vivants», fait encore remarquer le père Ponchaud. Ainsi, lorsqu’un homme politique cambodgien déclare qu’il va prier Bouddha pour la paix, cela fait grincer des dents une poignée de religieux. «On ne prie pas le Bouddha pour la paix. On n’obtient celle-ci qu’en se purifiant intérieurement», estime ainsi un responsable religieux.

 

Si le bouddhisme khmer comprend des rites étranges, c’est en fait parce qu’il est «crypto-tantrique». Pour François Bizot, chercheur à l’Ecole française d’Extrême-Orient, le bouddhisme cambodgien, un peu à l’image du tibétain, dispose de pratiques «magiques» qui pourraient bien n’être ni animistes ni brahmanistes. Il s’agit d’un bouddhisme particulier que l’on retrouvait également en Birmanie, défini par des caractères hybrides associant le tantrisme et le brahmanisme aux textes bouddhistes classiques en pali, sur lequel se fonde la tradition du theravada. On y trouve les dieux de l’Inde, les techniques du yoga, les initiations au tantrisme, les formules et diagrammes magiques et tout un jeu de symboles. C’est dans les pagodes qu’il n’y a pas si longtemps les soldats partant au front se faisaient tatouer des signes tantriques sur le dos et la poitrine. Ces inscriptions dans la chair du soldat étaient censées le protéger des balles mais aussi des mines et des ensorcellements.

 

Aujourd’hui, ces tatoueurs se cantonnent à dessiner ces formules sur des tissus qui, dans la poche d’un vêtement, dans une maison ou un véhicule, serviront à protéger des accidents et autres malheurs. «Au quotidien, l’univers de la maison familiale est dit peuplé d’entités surnaturelles malfaisantes, bienveillantes ou ambivalentes. En principe, celles-ci se manifestent par une rupture de l’ordre établi: maladie, mauvaise fortune, phénomènes exceptionnels observables dans la nature ou à travers un comportement humain ou animal particulier. Nombre de ces êtres ont des rôles de gardiens d’un ordre du monde et des valeurs morales. Ils punissent ceux qui les bafouent et comblent de bienfaits ceux qui savent les honorer. Parler de façon excessive en se moquant de personnes ou d’objets, lancer des injures, marcher ou uriner là où habite un génie, ériger une barrière en travers du chemin d’un esprit, construire une maison sans en avertir les divinités du sol et le la terre, entrer dans une pièce sans prévenir et déranger les êtres invisibles seront punis par une affection ou une malchance», explique l’anthropologue Fabienne Luco. Lorsqu’on tombe malade, la première réaction n’est pas d’aller consulter un médecin mais le sorcier du coin, le «kru». Ces médiums sont censés découvrir l’origine du mal. Ils sont les intermédiaires entre le monde d’ici et l’au-delà, l’univers des hommes et celui des esprits. Parlant par leur bouche, l’esprit déclare qui il est et ce qu’il réclame afin de s’apaiser. Une cérémonie est donc organisée à grand renfort de nourriture et… de haut-parleurs ! Ces esprits malfaisants, ces fantômes, qui ne pensent qu’à causer du tort aux vivants sont des âmes errantes, soit parce qu’elle n’ont pas eu de sépultures dans les règles, soit parce que la cérémonie ne s’est pas déroulée correctement.

 

Les obsèques ne peuvent s’effectuer qu’à des heures et jours bien précis, calculés par les achars. Il existe des jours très peu propices à la crémation. Et si, malgré tout, la cérémonie se déroule à ces moments-là, alors l’esprit du mort ne s’adaptera jamais aux préceptes bouddhistes qui régissent l’au-delà et deviendra une âme errante, un ectoplasme. La cérémonie a donc une importance capitale dans le cycle des réincarnations. Des histoires de réincarnation, les journaux locaux en fourmillent. Ici, c’est une fillette qui dit être une princesse de la famille du roi Sihanouk morte sous les Khmers rouges. Là, c’est une veuve qui retrouve son mari sous les traits d’un python. A chaque fois, les bonzes de la pagode locale y vont de leurs cérémonies. Les achars sont les piliers de ces évènements. Et ils ne sont pas les derniers à organiser toutes sortes de fêtes religieuses pour des évènements qui sortent de l’ordinaire.

 

Au monastère de Phnom Toch, dans la province de Banteay Man-cheay, se trouve une pierre qui a la particularité de flotter. On attribue à ce qui semble être en fait une simple pierre ponce toutes sortes de mérites et les curieux se pressent sous la tente où le bocal est entreposé. L’entrée coûte tout de même 500 riels (5 bahts) par personne. On raconte ainsi que sur le mont Kulen, berceau de la civilisation angkorienne, existe un temple secret où les moines s’initieraient aux pratiques magiques les plus extraordinaires. Dans le village reculé de Kâkranh, dans la province de Siem Reap, le vieux Suy Nuom raconte: «A l’époque d’Angkor, le Cambodge était protégé par des barrières magiques générées à partir du site de Kbal Spean (la rivière aux mille Lingas).

 

Si un ennemi avait le pouvoir de voler, il devait réapprendre à marcher ici. S’il était fort comme un éléphant chez lui, il devenait faible comme un lièvre dans notre région». Selon lui, en ces temps, la magie des Khmers était puissante. Les querelles internes ont anéanti cette magie et le royaume s’est évanoui. Mais rites et croyances ont tout de même traversé les époques avec, aujourd’hui, le haut-parleur com-me nouveau compagnon.

 

Frédéric Amat (avec Cambodge Soir)

 

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