Chef de l’opposition cambodgienne en exil, Sam Rainsy intervient régulièrement dans les colonnes de Gavroche. A quelques semaines des élections législatives cambodgiennes de juillet, il met en lumière l’impact régional de ce scrutin en Asie du Sud-Est.
Une tribune de Sam Rainsy
Au pouvoir depuis 38 ans l’autocrate premier ministre Hun Sen est en train de faire du Cambodge un avant-poste de la Chine communiste.
Malgré les démentis du gouvernement de Phnom Penh, les services de renseignement occidentaux sont persuadés que la Chine est bien en train de construire une base navale à Ream, près de la ville portuaire de Sihanoukville sur le Golfe de Thaïlande. Cette base est susceptible d’être utilisée à tout moment à des fins militaires.
Couplée à la mainmise croissante de Pékin sur le Cambodge sur les plans économique et financier, cette présence militaire de la Chine allant crescendo bouleverse l’équilibre des forces et menace la sécurité et la stabilité régionales.
Le modèle chinois
Compte tenu de la nature de son régime et de son style de gouvernement, Hun Sen ne peut que s’allier avec la Chine. Ancien chef militaire Khmer rouge ayant gardé des habitudes de violence et d’impunité, Hun Sen finit par reprendre tout naturellement la politique étrangère que Pol Pot menait de 1975 à 1979. Le Cambodge d’alors était un allié exclusif de la Chine dont il dépendait pour sa survie. C’était un pays isolé du reste du monde qui le condamnait pour ses effroyables violations des droits de l’homme.
Avec seulement une différence de degré, le régime de Hun Sen et celui de Pol Pot présentent des similitudes frappantes avec cet état policier et totalitaire qui baigne dans la violence organisée par la puissance publique et l’impunité pour ceux qui détiennent le pouvoir.
L’Occident se fait des illusions quand il espère arracher le Cambodge de Hun Sen du giron de la Chine avec des engagements politiques, des aides financières, des projets de coopération et des promesses de levée des sanctions pour violations des droits de l’homme.
Il faut savoir que Hun Sen lui-même sait pertinemment que son régime ne pourrait pas survivre dans un système démocratique tel que préconisé par l’Occident. Et il faut garder à l’esprit cette antinomie et ce combat devenus récemment d’actualité, entre “autocraties” et “démocraties”.
On ne peut pas s’attendre à ce que Hun Sen accepte de commettre un suicide politique en amorçant une quelconque libéralisation de son régime. Il faut s’attendre plutôt à un cheminement inverse , comme le montre le durcissement continu du régime depuis plusieurs années.
On peut évoquer l’image d’un homme assis sur le couvercle d’une marmite remplie d’eau en ébullition. L’homme ne peut pas bouger pour laisser échapper la vapeur sans se brûler. En même temps, il sait que tout peut sauter à tout moment. Le feu sous la marmite n’est autre que la colère du peuple qui honnit le régime et ne cherche qu’à se soulever.
Ce que Hun Sen cherche avant tout auprès de la Chine c’est un modèle de société et un modèle de gouvernement qui permettent à une autocratie de durer dans le temps grâce à des moyens de contrôle et de répression de plus en plus sophistiqués. Ce dictateur n’a que faire d’un système de “démocratie libérale et pluraliste” que préconise l’Occident, sachant qu’un tel système constitue une obligation inscrite dans les Accords de paix de Paris sur le Cambodge signés en 1991.
Absence de légitimité
C’est dans un tel environnement que vont se dérouler les élections législatives du 23 juillet 2023. Étant donné qu’elles seront truquées comme les “consultations populaires” précédentes, il ne faut se faire aucune illusion quant à leur résultat: un raz-de-marée pour plébisciter le régime en place. Il n’y a qu’un seul mot qui puisse bouleverser la situation: légitimité, ou plutôt absence de légitimité.
Pour la première fois depuis trente ans, exactement depuis les élections organisées par les Nations Unies en mai 1993 – que Hun Sen a perdues – le dictateur a besoin de soigner sa “légitimité” pour garantir la survie de son régime, et cela au moment où il décide de fonder une dynastie politique en cédant le poste de premier ministre à son fils aîné Hun Manet au lendemain de ces élections de 2023.
Tant qu’il est lui-même en première ligne, Hun Sen peut se moquer de la légitimité. Comme pour tous les dictateurs, ce qui prime c’est le fait accompli consolidé par le temps. Le pouvoir de Hun Sen est un fait accompli qui dure depuis 38 ans et qui constitue une forme de légitimité imposée dont personne ne cherche plus à contester le bien-fondé.
Mais Hun Sen doit assurer une légitimité plus solide à son fils Hun Manet qui n’est qu’un débutant et ne sera premier ministre qu’au lendemain des élections du 23 juillet prochain. C’est la légitimité de ces élections qui conditionnent celle du gouvernement qui en résultera. En effet, la légitimité ne peut venir d’un simple lien de sang, sauf pour une monarchie.
Des élections légitimes signifient qu’elles ne soient pas complètement truquées et qu’il y ait la participation d’une réelle opposition et un minimum de transparence dans tout le processus électoral.
Or Hun Sen ne peut assurer, au risque de perdre le pouvoir, ce que les Accords de Paris exigent sous le vocable “élections authentiques”. Il doit alors assumer les conséquences diplomatiques de ses choix anti-démocratiques, à savoir que ces élections du 23 juillet seront qualifiées par la communauté internationale de “fausses” (le contraire de “authentiques”), ce qui va donner un caractère illégitime au gouvernement issu de telles élections.
C’est sur ce point que le bât blesse car la transmission du pouvoir de Hun Sen à Hun Manet se fera sans aucune base légitime et pourra être facilement remise en cause, car le fait accompli qui a joué en faveur du père ne peut jouer en faveur du fils.
Dans certaines situations la légitimité internationale compte beaucoup, surtout pour des dictateurs qui ont besoin de redorer leur blason à bon compte.
Dans tous les classements internationaux comparant les performances de chaque pays dans les domaines des libertés, de l’état de droit, de la justice, de la corruption, de la destruction de l’environnement, etc., le Cambodge de Hun Sen se situe au plus bas de l’échelle. C’est pourquoi certains observateurs décrivent ce pays comme un “royaume bananier” où sévit un “état mafieux”.
La légitimité pour le régime de Hun Sen, c’est la possibilité pour ses partisans de continuer à faire des affaires lucratives à la limite ou en dehors de la légalité (trafics en tous genres, blanchiment d’argent) en toute impunité, sous la protection d’un état jugé respectable. C’est la possibilité d’accueillir des “investissements” les plus douteux et de servir d’intermédiaires “honorables” dans la chaîne du crime organisé à l’échelle internationale.
Le “soft power” de l’Occident
Pour le régime de Hun Sen, perdre la légitimité c’est perdre une façade de respectabilité qui rapporte beaucoup et qui lui permet de se maintenir en place. C’est sur ce point sensible que l’Occident devrait jouer pour défendre ses valeurs et ses intérêts. Or les valeurs et les intérêts de l’Occident se confondent avec ceux du peuple cambodgien pour ce qui touche aux droits de l’homme et à l’indépendance et la neutralité du Cambodge impliquant l’interdiction de bases militaires étrangères.
Il suffit à l’Occident de dénoncer le caractère illégitime des prochaines élections au Cambodge et de déclarer également illégitime le gouvernement qui en sortira. Il ne peut en résulter qu’un changement bénéfique.
Seul l’Occident qui incarne les valeurs de démocratie et de respect des droits de l’homme, est en position d’évaluer, de conférer, de contester ou de conditionner la légitimité de tel ou tel régime, avec des conséquences très significatives pour celui-ci. C’est ce “soft power” que l’Occident doit savoir utiliser à bon escient.
Sam Rainsy
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