Un plaisir d’accueillir à nouveau dans les colonnes de Gavroche notre ami Philippe Le Corre, éminent spécialiste des relations Chine Europe, chercheur à la Harvard Kennedy School et hercheur invité à CY Cergy Paris Université et à l’ESSEC-IRENE. Dans cette tribune, celui-ci explique comment la Chine déploie des moyens considérables pour redorer son blason en Europe. Les sites internet de ses ambassades, d’ordinaire si ternes, multiplient à présent les communiqués vengeurs, prompts à dénoncer ceux qui qualifient le Covid de « virus chinois ».
Une tribune de Philippe Le Corre*
On se souvient de la crise financière de 2008-2010, lors de laquelle nombre de pays d’Europe du sud – Grèce, Italie, Portugal notamment — avaient laissé filer une partie de leurs infrastructures portuaires, aéroportuaires et énergétiques vers des actionnaires étrangers, suite à l’attitude rigide de la troïka (BCE, FMI et Commission européenne).
À l’époque, le pays ayant tiré le mieux son épingle du jeu était la Chine, suscitant un mélange de fascination et d’indifférence. Les réserves financières de la banque centrale chinoise avaient fait le reste. Le port du Pirée, à Athènes, est ainsi contrôlé à 67 % par une société d’État chinoise, China Ocean Shipping Company.
Prise de conscience à Bruxelles
Cette fois, la Commission européenne semble avoir pris conscience du risque qui consisterait à laisser des infrastructures européennes se faire racheter par des entités étatiques non-européennes au prétexte de récession économique.
« Nous devons protéger notre sécurité et notre souveraineté économique » déclarait la présidente Ursula von der Leyen, le 25 mars dernier. Et cela vaut pour la sécurité sanitaire et médicale. Car si les investissements chinois en Europe du sud ont apporté des liquidités à certains pays européens lors de la précédente crise financière, cela n’est pas sans risque si l’on juge par certains communiqués du gouvernement grec en 2016 et 2017 lorsqu’il s’est agi de s’opposer à la politique chinoise en mer de Chine ou au sujet des droits de l’homme.
Revendications géopolitiques
Pour l’heure, les dirigeants européens les plus enthousiastes semblent être le président de la Serbie (pays non-membre de l’UE) Aleksandar Vučić qui dans un discours télévisé a qualifié la Chine de “seul pays pouvant apporter une aide”, et le Premier ministre hongrois Viktor Orbán qui s’est rendu lui-même à l’aéroport de Budapest pour accueillir un avion chinois. Les autres commentaires ont été plus circonstanciés tant il est vrai que la propagande chinoise a eu des effets contradictoires – notamment en Italie, où beaucoup de commentaires tiennent rigueur à la Chine de sa tentative de récupération politique.
Au-delà de la pandémie qui sévit sur tous les continents, et dont on devine encore difficilement les effets de long terme, la Chine de 2020 n’est pas celle de 2010. La direction prise par le régime depuis le 19e congrès du parti communiste, en 2017, révèle une ambition qui n’a pas uniquement celle d’un État investisseur, mais d’une puissance aux revendications géopolitiques de premier plan. Le régime mettra tout en œuvre pour défendre son système et l’offrir à ceux qui n’auront pas su s’en prémunir.
*Chercheur à la Harvard Kennedy School. Chercheur invité à CY Cergy Paris Université et à l’ESSEC-IRENE.