Les prisons thaïlandaises comme vous ne les avez jamais vues ! Pascal P., incarcéré à la prison de haute sécurité de Klong Prem, à Bangkok, nous décrit chaque mois son quotidien : un regard sans concession sur la vie carcérale au pays du sourire.
Coupe du monde de football oblige, l’administration pénitentiaire, sans doute frustrée des piètres performances de son équipe nationale, a pris le taureau par les cornes en organisant sa propre compétition.
La Coupe du monde 2010 de derrière les (fagots)… non désolé, les barreaux.
C’est au bâtiment 4 (où je réside) que se déroule l’événement car nous disposons d’un champ de labeur faisant office de terrain de football.
Des équipes, représentant les nations qualifiées se sont constituées dans les divers bâtiments de Klong Prem, et même dans la prison voisine de Ban Kwan.
Quelques jours avant la date officielle de l’ouverture de la compétition (11 juin), les ateliers de ferronnerie et menuiserie ont fabriqué des tribunes qui rappellent furieusement celles du stade de Bastia (lors d’une finale de Coupe de France entre le club corse et l’Olympique de Marseille, le 5 mai 1992, durant laquelle 18 personnes sont mortes et 2300 blessées, en raison des tribunes montées dans la hâte pour l’événement et qui ne remplissaient en aucun cas les normes de sécurité).
Les jardiniers ont tenté de redonner vie au gazon jauni.
On a recruté des porte-drapeaux pour les délégations, incluant moi-même.
La veille du jour J, répétition générale pour que la cérémonie ressemble à autre chose qu’un discours suivi de musique…
Enfin, le grand jour est arrivé.
A l’aube, les gardiens ont vidé le bâtiment de la moitié de ses occupants (les moins présentables, les plus dangereux ?) et les ont répartis dans les autres bâtiments.
Puis, nous, les acteurs, avons été regroupés.
On nous a remis shorts, t-shirts, drapeaux, et le cortège s’est formé à l’entrée du bâtiment.
Nous avions fière allure dans nos vêtements aux couleurs des différentes nations.
Les grincheux regrettaient qu’il manquait à la panoplie une paire de bottes en caoutchouc car, malheureusement, le ciel faisait des siennes depuis la nuit précédente, et le terrain s’était transformé en mare.
Stoïques sous les averses, nous avons patienté un long moment.
Enfin les délégations formées, nous, les porte-drapeaux, suivis par les joueurs et précédé d’une « umbrella girl », avons fait le tour du bourbier, puis nous nous sommes plantés au garde-à-vous pendant les discours et les hymnes.
Cela a laissé le temps aux journalistes venus de l’extérieur de filmer, photographier.
Et c’est crottés et mouillés que nous avons rompu les rangs.
Les joueurs ont alors pris position sur le marécage et ont disputé quelques matches ponctués de glissades, chutes, éclaboussures…
J’ai eu la surprise agréable de rencontrer Greg (un détenu français incarcéré à Ban Kwan venu encourager son équipe), et nous avons fait connaissance.
Autre surprise, la présence d’une équipe de télévision française (TF1) avec qui nous avons dialogué, au grand mécontentement des officiels qui se sont vite rembrunis en se rendant compte que la conversation se déroulait dans la langue de Molière.
De plus en plus nerveux, ils ont abrégé l’entretien.
En fin de matinée, la fête a pris fin.
Je pensais que pour prix de notre participation, shorts et T-shirts nous seraient offerts.
Mais on nous les a réclamés.
Nos co-détenus sont revenus des différents bâtiments et la routine a repris le dessus.
Le soir, les chaînes de TV thaïes ont montré quelques images de l’événement.
Depuis, le tournoi de « Water Football » se poursuit, quand le temps le permet, à la grande joie des parieurs et bookmakers.
Tout ça pour ça… beaucoup de poudre aux yeux, trois petits tours et puis on s’en va, me suis-je dit en décrottant mes chaussures.
Quant aux représentants de l’Ambassade tricolore, ils ont brillé par leur absence, arguant de la réception tardive de l’invitation officielle.
Ils ont eu le nez creux en évitant les averses.
De toute manière, ils n’auraient pas vu les cellules lépreuses, les toilettes douteuses, ni l’arrière du bâtiment qui étaient inatteignables pour les invités.