Cinq mois après l’émergence de l’AUKUS, l’alliance Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie et Nouvelle Zélande qui a tendu les relations entre Paris, Londres et Canberra, la France préside désormais l’Union européenne, ce qui place le président Emmanuel Macron en position de guider des domaines politiques clés tels que la stratégie indo-pacifique de l’UE.
Mardi 22 février, 62 ministres des affaires étrangères, dont ceux des 27 pays de l’UE et de la vaste région Asie-Pacifique, à l’exception des États-Unis, se réuniront dans la capitale française pour discuter de questions allant du changement climatique à la gouvernance mondiale et à la sécurité maritime, rappelant ainsi que la France et l’UE n’ont pas l’intention de s’éloigner de la région indo-pacifique.
Un ressentiment toujours vif
La manière dont l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis ont négocié l’accord AUKUS sans consulter d’autres alliés suscite toujours du ressentiment à Paris, surtout après l’engagement de l’administration Biden à travailler avec des “pays partageant les mêmes idées”. Pourtant, la France pourrait bien avoir transformé la crise en une opportunité.
Si certains pays estiment que Paris a réagi de manière excessive, le consensus général reste que les États-Unis devraient consulter l’UE sur les grandes questions stratégiques, y compris les alliances entre trois des proches partenaires du bloc, notamment sur des questions aussi centrales que l’Indo-Pacifique ou la manière de traiter avec la Chine.
Washington, y compris le président Joe Biden lui-même, a tenté de raccommoder les choses en saluant diverses initiatives diplomatiques françaises, ainsi que le dialogue UE-États-Unis-Chine coprésidé par la secrétaire d’État adjointe américaine Wendy Sherman et le secrétaire général du Service européen pour l’action extérieure Stefano Sannino en décembre.
La France souhaitant profiter de sa présidence de l’UE pour présenter des résultats dans des secteurs clés tels que la connectivité numérique, la sécurité et la biodiversité, le format multidimensionnel UE-Indo-Pacifique, contrairement à la portée plutôt limitée de l’AUKUS, visera à démontrer l’engagement envers la région, soutenu par les piliers de l’UE que sont l’État de droit et la lutte contre le changement climatique.
Une Chine rarement absente
La Chine n’a pas été invitée à la réunion de Paris, l’UE ayant déclaré à plusieurs reprises qu’elle ne souhaitait pas se confronter à Pékin. Pourtant, l’UE a également commencé à pivoter vers l’Asie.
Le bloc partage également des préoccupations similaires avec les États-Unis en ce qui concerne les ambitions régionales de la Chine. Dans ses perspectives stratégiques 2019, l’UE décrit la Chine comme “un partenaire, un concurrent économique et un rival systémique”, une évaluation qui reflète la nécessité de trouver un équilibre entre les valeurs et les intérêts européens.
Le Conseil américano-européen du commerce et de la technologie, qui s’est réuni l’année dernière, a abordé les préoccupations communes en matière de filtrage des investissements, de cybersécurité et d’accès aux marchés. Dans le même temps, M. Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz tiennent à maintenir un canal de communication avec Pékin dans une année qui verra probablement la reconduction de Xi Jinping au poste de secrétaire général du Parti communiste chinois.
Paris et Berlin avaient initialement fait pression en faveur d’un accord global UE-Chine sur l’investissement, mais les sanctions excessives de Pékin à l’encontre d’un grand nombre de fonctionnaires, de groupes de réflexion et d’universitaires européens ont rendu impossible la ratification de l’accord par le Parlement européen.
En outre, les perceptions de la Chine ont beaucoup évolué en Europe depuis que COVID-19 a exposé le risque d’une dépendance excessive à l’égard des chaînes d’approvisionnement chinoises, tandis que le public français est devenu de plus en plus négatif à l’égard de la Chine.
Des temps nouveaux
Le temps est révolu où 78 % des Français considéraient la contribution de la Chine à leur économie comme positive. Il est également vrai que les quelque 2 millions de touristes chinois très dépensiers qui ont visité la France en 2017 se sont évanouis en raison des restrictions de voyage du COVID. Les investissements chinois ont également chuté de manière spectaculaire.
Du point de vue de Pékin, cet état de fait peut ne pas sembler satisfaisant mais restera difficile à aborder cette année étant donné l’agenda intérieur chargé avant le 20e Congrès national du PCC prévu à l’automne. Les relations avec l’UE sont importantes, notamment pour les exportations chinoises, mais pas au détriment du récit nationaliste actuel du PCC.
Cela donne à la France une chance de faire avancer l’initiative indo-pacifique. Malgré toutes les ambitions de Washington de rallier les démocraties, de nombreuses nations asiatiques préfèrent marcher sur une fine ligne entre les États-Unis et la Chine.
Il y a toutefois un bémol. En avril, en plein milieu de sa présidence de l’UE, M. Macron devra affronter une élection présidentielle très contestée, suivie d’élections législatives cruciales.
Bien que Macron soit actuellement le favori, un autre président français, en particulier d’extrême droite, pourrait être moins enclin à mener les politiques d’affaires extérieures de l’UE avec autant de force. En particulier dans une région où de nombreux États membres de l’UE ont une présence limitée.
Paris a de nombreuses raisons de maintenir sa présence à long terme dans la région indo-pacifique. En tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU, elle doit continuer à être active dans la région pour conserver son siège permanent.
La France souhaite également renforcer la coopération avec des puissances asiatiques telles que le Japon et l’Inde, notamment en ce qui concerne les partenariats en matière d’infrastructures qui s’inscrivent dans le cadre de l’initiative Global Gateway lancée récemment par l’UE. De même, la France accueillera sans doute favorablement le resserrement des liens avec des nations telles que la Malaisie et l’Indonésie, qui ont exprimé leur malaise à l’égard d’AUKUS et qui, en conséquence, pourraient également vouloir développer davantage leurs relations avec l’UE.
Le 10 février, l’Indonésie a également annoncé qu’elle avait signé un accord pour l’achat de 42 avions de chasse français Rafale, dans le cadre de la modernisation de son armée. Cette annonce fait suite à une précédente acquisition de Rafale par l’armée de l’air indienne en 2016.