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Une solution facile aurait été de consacrer l’édito de Républick à la méforme de la gauche française. Cette « gauche du possible », pour reprendre le titre de notre dernière édition, s’avère en effet la « gauche de l’impossible », ou presque. Difficile, après une semaine de tergiversations et de désaccords entre insoumis, socialistes, écologistes et communistes, de croire que le Nouveau Front Populaire est prêt à gouverner, uni derrière un(e) Premier(e) ministre capable de reconstituer la gauche plurielle, version fin des années 90. Mais attendons de voir…
Pas étonnant cela dit que cette gauche semble dans l’impasse avec sa liste de promesses. Car devant elle, un mur se dresse : celui de l’argent. Avant même qu’un nouveau chef du gouvernement ne soit nommé, le président de la Cour des comptes l’a rappelé dans Les Échos, pour accompagner le dernier rapport de son institution. Les prévisions de l’exécutif sont selon lui « peu réalistes ». Lisez cela et vous aurez compris l’avertissement de Pierre Moscovici. « La dette publique, emportée par la réitération des déficits et par son poids, affiche un coût de plus en plus élevé qui contraint toutes les autres dépenses, obère la capacité d’investissement du pays et l’expose dangereusement en cas de nouveau choc macroéconomique. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la trajectoire de réduction du déficit public n’inclut pas les investissements indispensables […] La France doit maintenant consentir des efforts difficiles pour retrouver le contrôle de ses finances publiques et honorer ses engagements. »
La flamme Olympique peut éclairer Paris. La Seine peut être dépolluée et la ministre des Sports peut nager dans le fleuve. Les JO auront de toute façon le droit de dépenser plus, pour calmer le jeu social. Mais après les médailles, 25 milliards d’euros d’économie seront nécessaires en 2025.
Sur le podium, la fin des cadeaux ?
Bonne lecture, même si l’argent est trop cher.
(Pour débattre : richard.werly@ringier.ch)
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“Panem et circenses” est la célèbre citation gravée sur le fronton de la tribune impériale du circus maximus, réservée à Jules César. Astérix et Obélix (dans “Astérix gladiateur”) réinventent les jeux du cirque en y jouant les clowns irrésistibles et éternels annonciateurs des spectacles du cirque et, peut-être de leur variétés contemporaines. Concordance des temps ? L’éternel retour ? Nihil nove sub sole !
La célébrissime formule, un miracle de communication latine, fût prononcée avec l’idée que la nourriture et les jeux du cirque étaient une sorte d’opium du peuple romain. Selon Juvenal ces trois mots qu’il rapporte dans ses “satires” auraient été adressés aux Romains tout juste bons à ne s’intéresser qu’aux distribution gratuites de blé et aux jeux du cirque. Et de déplorer “ces romains si jaloux, si fiers (…) qui jadis commandaient aux rois et aux nations (…) et régnaient sur le Capitole aux deux bouts de la terre, esclaves maintenant de plaisirs corrupteurs, que leur faut-il ? Du pain et les jeux du cirque”. C’est ce que l’historien Paul Veyne à exploré dans son ouvrage fameux sur l’évergétisme. Les jeux olympiques d’aujourd’hui ne sont-ils pas une énième mouture de cette politique d’évergétisme” ?
Aujourd’hui elle pourrait se caractériser par une “politique” qui encouragerait la population à se laisser aller, se contentant de se nourrir et de se divertir sans se soucier de son destin collectif. Un destin dont l’horizon aurait été perdu par les dirigeants, obsédés par le court terme de leur élection et de leur ré-élection.
La thématique a inspiré de nombreux auteurs, de romans, de fictions ou la réflexion politique. Dans les “Frères Karamazov” F. Dostoïevsky fait de “la parabole du grand inquisiteur” un instrument de la manipulation des peuples. Plutôt que de garantir leur liberté, ils convient davantage aux dirigeants de les conduire par l’utilisation cynique du “mystère”, du “miracle” et, à défaut de “l’autorité”. Distiller l’illusion, horizon des politiciens qui dirigent ou qui prétende vouloir le faire. Dans “Le Prince”, N. Machiavel préconise plutôt la crainte comme ressort du pouvoir. Le pouvoir n’ayant pas à être aimé mais craint. Être aimé du pouvoir est une source d’instabilité possible, l’amour se transformant, la déception advenant nécessairement, presque immanquablement en haine. De là les troubles et les risques pour la vie même du “Prince”.
Le sport est de loin, actuellement, un puissant moyen de dépolitisation et d’aliénation et qui, comme les jeux du cirque pouvaient, dans la Rome antique ,déboucher sur de sérieux troubles à l’ordre public ; et être à l’origine de désordres politiques. A l’épisode ludique peut alors succéder un épisode répressif. Dans “Message et massage” Marshall McLuhan attribue à la télévision les mêmes effets mais, selon lui, dénués des risques des précédents. Le concept de “tittytainment” (combinaison des mots anglais “tit” ou “titillate” -taquiner pour exciter gentiment- et “entertainment” – mais sans connotation sexuelle) utilisé, en 1995, par Z. Brzezinsky parle de dispositifs propres à inhiber ou désamorcer les critiques des “laissés-pour-compte” et des “déclassés” du libéralisme et du mondialisme. Le “tittytainment” serait un mélange d’aliment physique et psychologique qui endormirait les masses (un “opium des peuples”) et contrôlerait leurs frustrations et leurs protestations prévisibles. Dans la trilogie de Suzanne Collins, “Hunger Games”, Panem apparait comme l’une des fameuses collines et le Capitole, cœur de la Cité, à la tête des “Districts”, le” centre” opposé aux “périphéries”, les “bourgs” aux “tours” pour reprendre la formule du “dissident” “mélenchonien”. Le centre regorge des richesses extraites des périphéries mais à leur détriment mais qui trouvent un plaisir immense à regarder ce que la télévision leur transmet et qu’elle appelle les “jeux de la faim”.
Le Président Français saura t-il se hisser au rang de Jules César, entonnera t-il le “chant de Néron” que le personnage de Pétrone, dans le roman d’H. Sienkiewicz, “Quo Vadis ?” clame devant les citoyens avec la mythique formule : “du pain et des jeux pour tous”. Du cirque certainement, les manifestations politiciennes du cirque ayant déjà commencé. L’apogée est à venir. La suite, si l’on en croit notre éditorialiste revêtu de ses habits de Cassandre sera sans pain. “Circenses sine panem”… puis… “morituri te salutant”…
Une lecture: de Paul Veyne : ” Panem et circenses : l’évergétisme devant les sciences humaines”, Rev; “les annales” année 1969, vol 24, n°3 , pp 785-825 ; disponible sur internet, portail “Persée”. De même son ouvrage : “Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique”, Paris, Ed du Seuil, Coll “L’Univers historique, 1976, 896 pages ; actuellement en poche “points-seuil”. Et surtout le film ” Astérix aux jeux olympiques “, de T Langmann, 2008.