Chaque semaine, notre ami Richard Werly, conseiller éditorial de la rédaction de Gavroche, nous livre sa vision de la France sur le site d’actualités helvétique Blick. Vous pouvez vous abonner. Ou consulter sa lettre d’information Republick.
En voici l’éditorial. L’intégralité de la newsletter disponible ici.
Vous n’en avez pas encore conscience, mais l’Allemagne envie la France. C’est nouveau. C’est comme ça. A Berlin, Paris décuple les passions. Et Emmanuel Macron, via un traducteur, a pu s’en rendre compte en ce début de semaine, dans les pages du « Spiegel ». L’hebdomadaire basé à Hambourg, où le président français est arrivé ce lundi avec une vingtaine de ministres, regarde la capitale française avec des yeux de Chimène. Sans avoir peur de trouver de méchantes punaises dans le lit conjugal franco-allemand qui, il est vrai, a connu à travers l’histoire de bien plus dangereuses bestioles !
Clin d’œil ou retournement de conjoncture ? La réponse est simple : l’Allemagne, empêtrée dans sa coalition socialo-écolo-libérale, a perdu ce que la France de Macron a su revitaliser : son attractivité. Les investisseurs s’inquiètent de son impasse énergétique. Les clients de ses puissantes cylindrées redoutent d’être pointés du doigt pour leur addiction thermique. Ses sous-traitants polonais rêvent de récupérer, pour eux seuls, les marchés internationaux sur lesquels leurs produits étaient frappés de l’étiquette made in Germany. La France ne fait pas envie parce qu’elle est solide et qu’elle s’est réformée. Elle attire la lumière parce qu’elle réussit, malgré les circonstances, à afficher encore une certaine indolence. Qui n’a pas vu Paris, ces jours-ci, redevenue la ville du sourire et du bien vivre pour les dizaines de milliers de fans étrangers de la Coupe du monde de rugby, ne mesure pas l’efficacité de cette nouvelle illusion française que l’Élysée espère renouveler avec les JO d’été 2024.
L’Allemagne rumine. Son extrême droite vocifère bien plus que le tranquille Rassemblement national. Ses partenaires de l’est lui reprochent ses indulgences passées envers Poutine. L’agilité de la France, encore capable de se contorsionner et d’arriver à séduire comme un mannequin de la « Fashion Week » énerve l’austère Chancelier Olaf Scholz. Les Allemands n’aiment pas parler de couple à propos de la France. Ils préfèrent le « tandem » ou le « moteur ». On comprend pourquoi : dans ce couple-là, la jalousie est toujours en embuscade. Avec ou sans punaises.
Bonne lecture, et que les roses sont belles à Göttingen !
(Pour débattre: richard.werly@ringier.ch)
Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.
Le “couple franco-allemand” est une création mythique en accord avec la proverbiale réputation érotique de la France. Les allemands effectivement plus pragmatiques préfèrent parler de moteur (Der deutsch französiche Motor, mercedes-bens de préférence) mais pas de “deutsch französichen Paar”, au mieux de “deutsch franzôsichen beziehung”. Pas d’intimité affichée mais la décence matrimoniale. La création du mythe remonte à l’époque commençante de la 5ème République date à laquelle on pût installer sur l’autel de l’amitié deux protagonistes “géants” du conflit encore incandescent qu’il avait été décidé de dépasser, franchir une étape par un acte de transfiguration. Il fût accompli par les deux dignitaires régnant, chrétiens tous les deux, l’un d’eux fortement suspect de maurassisme, De Gaulle et Adenauer. Un geste magistral d’amitié permit de sceller les noces dans ce que les français ont appelé “couple”. L’expression permet de faire rentrer la relation allemande dans le champ du familial et du psychologique. L’époque n’admettait que les mariages entre personnes de sexe différent mais la vision devint plus large malgré les réticences d’Angela. Le mariage fût conclu dans le traité de l’Élysée en 1953 ce qui me valu d’apprendre la langue de Goethe. Mon professeur, un alsacien ancien enfant de troupe, était un adepte de la manière forte et prescrivait pour chaque cours des doses massives de vocabulaire. Pour ultime sévice un dictionnaire en écriture gothique nous était imposé. La vérification des apprentissages était systématique et la sanction sévère. Force est de constater que, soixante ans après, la méthode a laissé des traces. Mon lycée d’alors, pourtant perdu dans une lointaine province, incitait donc ses bons élèves à tourner les pages d’un passé encore brûlant de la présence de l’ancien ennemi et des destructions encore visibles. Nous étions désignés comme les protagonistes d’une humanité renouvelée. Rien de mieux que d’en parler la langue de l’ancien ennemi. C’était l’époque des premiers échanges de correspondants : “A nous les petites allemandes” et des voyages sur le Rhin en espérant apercevoir la Lorelei (Die schönste jungfrau sitzet / Dort oben wunderbar etc.) et éviter l’inévitable naufrage… Je fus donc un enfant de ce couple. Richard Werly a la bonté de nous gratifier d’un accompagnement musical. Le répertoire relatif à la thématique des relations franco-allemendes est innombrable, je choisirai pour ma part “L’homme de Berlin” chanté par Édith Piaf en 1963 à Bobino. Ce n’est pas sans avoir hésité avec “je t’aime moi non plus” qui évoque les fameux… reins… de la lorelei…