Notre ami Richard Werly, conseiller éditorial de la rédaction de Gavroche, nous livre sa vision de la France sur le site d’actualités helvétique Blick. Nous reproduisons ici son article.
Premier ministre à 34 ans, un record ! Gabriel Attal risque de payer cher sa prouesse politique. Car ils sont nombreux, ceux qui s’estiment floués, voire punis, par sa nomination à la tête du gouvernement.
Comment faire pour être détesté ? Réussir le coup dont tout le monde rêve, et faire comme si cela était normal. Gabriel Attal, 34 ans, plus jeune premier ministre français de l’histoire, est désormais dans ce cas. Napoléon Bonaparte, il est vrai, n’avait que 30 ans lorsqu’il devint premier consul, en 1799, dix ans après la révolution de 1789. Mais depuis que la France est une République et une démocratie, les jeunes au pouvoir sont rares. Avant lui, le record de «jeunesse» à la tête du gouvernement était détenu par Laurent Fabius, aujourd’hui président du Conseil constitutionnel. Celui-ci avait 37 ans lors de sa nomination en 1984.
Moralité : Gabriel Attal vient de se faire beaucoup d’ennemis. Et pas seulement dans l’opposition. Ils sont nombreux, ceux qui s’estiment aujourd’hui victimes du tandem qu’il forme avec le président. Comment vont-ils riposter ? La composition du prochain gouvernement français, sans doute mercredi ou jeudi, sera une première réponse. Pour le reste, voici déjà cinq victimes bien identifiées.
Élisabeth Borne : la femme sacrifiée
La Première ministre sortante a « mouillé la chemise » pour Emmanuel Macron. Elle s’est mise à dos l’opposition en recourant 23 fois à la procédure d’urgence de l’article 49.3 de la constitution pour faire adopter sans vote les budgets 2023 et 2024, ainsi que la réforme des retraites. Résultat: la voici éjectée, même si le président l’a remercié «de tout cœur pour son travail exemplaire». Or cette haut fonctionnaire avait été choisie parce qu’elle était une femme. Qu’en déduire ? La solidarité féminine s’est, mardi 9 janvier, manifestée sur les réseaux sociaux. Le fils spirituel d’Emmanuel Macron l’a emporté. On n’est pas loin de la tragédie grecque.
Le Maire, Darmanin : les Maréchaux inquiets
Bruno Le Maire est ministre des Finances depuis 2017. Il fut, avant de rallier Macron, candidat à la primaire de la droite à la présidentielle. Il lorgne ouvertement vers l’Élysée en 2027, tout comme le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Or voilà qu’un TGV vient de leur passer dessus. D’accord, le Maire ne rêvait pas de Matignon. Il préfère sa forteresse inexpugnable de Bercy, le QG parisien de son ministère. Mais quand même: son nouveau patron était, il y a deux ans, son adjoint, comme ministre du Budget. Pire pour Darmanin qui se voyait déjà à la tête du gouvernement. Ces deux-là sont des bêtes politiques. Des Maréchaux que Napoléon-Macron vient de défier.
Sébastien Lecornu : le fidèle ligoté
Le ministre des Armées peut se réconforter : il garde une relation privilégiée avec Emmanuel Macron, président et commandant en chef. Son ministère est en plus bien doté financièrement, au point que certains le considèrent comme le réel chef de la diplomatie française. Mais quand même, quelle baffe! Cet élu local issu de la droite, très habile, apparaissait capable de débaucher des députés conservateurs pour compléter la majorité présidentielle. Macron ne lui a pas donné sa chance. Il le respecte. Mais il l’a ligoté. Lecornu deviendra Maréchal s’il obtempère et sert le nouveau Premier ministre. Pas simple.
Les élus provinciaux : giflés
Gabriel Attal est parisien. Branché. Sans attaches territoriales. Plus parisien que cela, impossible. Pour lui, la France au-delà du boulevard périphérique n’a commencé à exister qu’au ministère de l’Éducation nationale, durant l’année 2023. Emmanuel Macron, originaire de Picardie, mais parisien lui aussi, a donc choisi son quasi-clone géographique. Finie, l’aventure provinciale que constituait la nomination du haut fonctionnaire pyrénéen Jean Castex, Premier ministre entre 2020 et 2022. La province a perdu. Dans ce pays bien trop centralisé qu’est la France, le message est de mauvais augure pour les régions. Et aussi pour les maires, avec lesquels Emmanuel Macron a toujours eu des relations difficiles.
Les parlementaires : courtisés, jamais consultés
Il est très peu probable que Gabriel Attal sollicite un vote de confiance de l’Assemblée nationale, une fois que son gouvernement aura été formé. Normal: le risque serait maximal. Le nouveau Premier ministre pourrait ne pas l’obtenir. La situation est donc gelée. La majorité présidentielle va demeurer relative. Mieux : Gabriel Attal a multiplié, à l’Éducation nationale, le recours aux décrets pour prendre des décisions, sans passer par l’Assemblée. Va-t-on assister à un recours accéléré aux décisions non législatives ? Décidément, le parlementarisme à la française a du souci à se faire.
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Non, contrairement à un préjugé largement répandu, le parlement n’a pas voix consultative mais délibérative; il peut renverser le gouvernement à tout moment par une motion de censure. La situation est donc loin d’être gelée. Ce n’est pas le parlementarisme qui a du souci a se faire, c’est la Ve République.