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Je ne crois pas aux miracles politiques. Surtout en France. Impossible d’imaginer qu’un nouveau premier ministre, aussi habile et doué soit-il, parvienne à transformer le pays tout en l’apaisant, ce dont la France a besoin. Élisabeth Borne peut donc être rassurée : l’Hôtel Matignon qu’elle a rechigné à quitter en démissionnant lundi à la demande du président de la République, va continuer d’être un enfer.
Flammes venues d’ailleurs
Les flammes de cet enfer viennent en effet d’ailleurs. Elles sont entretenues, président après président, par un système politique vertical conçu pour que tout remonte à l’Élysée. Diriger le gouvernement, en France, est donc une mission impossible pour qui croit à son destin. Jacques Chirac, qui avait osé démissionné de Matignon en 1976 avant d’y revenir en 1986, est le seul, jusque-là, à être passé de la rive gauche de la Seine à sa rive droite présidentielle. Michel Rocard, que François Mitterrand surveillait de près entre 1988 et 1991, y a brûlé les ailes de son rêve social-démocrate. Et depuis, tout s’est aggravé. Comment prétendre exister comme chef d’orchestre gouvernemental, plongé en permanence dans la complexité du pays, alors que les médias, l’opinion, et les électeurs préfèrent souvent des solutions simples ou des incantations ?
Bonnes intentions
Matignon sera encore plus un enfer en 2024. Parce que tout passera par là, en particulier durant les Jeux Olympiques, cette vitrine sportive qu’Emmanuel Macron espère transformer en grande messe internationale touristico-économique. A une différence près toutefois, et de taille: en 2027, ce président-là, réélu en 2022, ne pourra pas se représenter. La porte du pouvoir suprême sera donc en théorie ouverte. Pour la première fois, le paradis politique d’un possible destin élyséen dans la foulée pointera à l’horizon pour le titulaire de la fonction. L’enfer, c’est bien connu, est toujours pavé de bonnes intentions.
Bonne lecture, sur la chanson préférée (parait-il) d’Élisabeth Borne
(Pour débattre : richard.werly@ringier.ch)
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On en reparlera quand il aura la confiance de la représentation nationale. Que se passera t-il si le parlement renverse le gouvernement ?
De qui Gabriel est-il le nom ? D’un ange, un autre Icare, fils de Dédale et de Naupacté dont le destin fût funeste tel qu’Ovide le raconte dans les “Métamorphoses”. Échappé du labyrinthe il s’approcha trop près du soleil, la cire fondit et il perdit les plumes de ses ailes, la chute fut inéluctable… Les interprétations sont nombreuses. Parmi elles Icare aurait été victime de sa vantardise et de sa naïveté. D’autres en font le thème de la transgression dans les relations entre parents et enfants et plus généralement entre nature et culture jusqu’aux limites des frontières de de la connaissance au risque de soumettre l’humanité à l’épreuve fatale… Une version grecque de l’ange déchu de la Bible. Un remake des ailes du désir selon Wim Wenders : Deux anges invisibles, Daniel et Cassiel, à l’écoute des désirs et des angoisses des “âmes mortes” enfermées dans leur quotidien depuis le début jusqu’à la fin des temps, Daniel, cet autre Gabriel, pour l’amour d’un humain renonce à l’immortalité… Dans d’autres traditions, Gabriel fut celui qui communiqua et transmit les paroles d’Allah à Mahomet .. Dans “la chute d’un Ange”, Lamartine raconte l’amour de l’Ange Cédar pour Daïdha et le place dans la catégorie des anges déchus et lucifériens. Avant sa chute, dans la deuxième vision, juste après son incarnation, il garde toujours le reflet de son origine divine…
Son regard doux nageait dans un azur moins pâle ;
Sa lèvre gracieuse avait un pli plus mâle ,
Les boucles d’or bruni de ses épais cheveux ,
Roulaient en flots plus courts sur un cou plus nerveux.
Alphonse de Lamartine, Œuvres poétiques, Ed Gallimard, Biblio. de la Pléiade, 1963, page 842
Jupiter et Junon ont “accouché” de leur “créature” nonobstant l’avis du triste secrétaire général de l’Élysée dit-on… L’ange est descendu du ciel et aussitôt dans nos campagnes… du Pas-de-Calais. L'”effet waou” et “décoiffant” cultivé par la gent journalistique était déjà un peu éventé mais il faut à tout prix le faire vivre. Des combles de louanges à l’ange s’élèvent de tous les côtés de l’espace médiatique. Les odes sont de mise. L’encens brûle sur les autels de la renommée. C’est tout juste si le christ n’était pas ressuscité n’en déplaise à Michel Onfray… Et de s’extasier devant la jeunesse, plus “djeune” encore tu meurs, 34 ans et 9 mois au compteur qui fait passer la “classe politique” au 3ème âge si ce n’est plus. Au delà de cette limite le ticket n’est plus valable. Une contamination jeune est-elle à craindre à Genève ? En un instant tout à pris un coup de vieux… Cours, le vieux monde est derrière toi ! Même L. Fabius dont on exhume une interview de 1994 et à qui on compare l’actuel 1er ministre arbore un air de vieillard à… 38 ans. Ne parlons même pas de Giscard. Une idole est venue, adulée, léchée… Et pourtant à s’en tenir à cet aspect un peu anecdotique des apparences mais fort important sur le plan des images et des réflexes électoraux, notre nouvel “élu” devra se confronter à plus jeune que lui, 28 ans au compteur. C’est sans doute une donnée de cette opération de communication et pour le moment réussie, celle de réduire l’écart en passe de devenir abyssal entre les intentions de vote aux élections européennes de juin entre la “macronie” et le RN. Un 1er ministre issu de la gauche devenu “chou-chou” de la “droite” dont on espère que ses facultés communicationnelles auront pour effet d’amadouer, si ce n’est de séduire, des LR sans excéder une partie des macroniens… Siphonner du LR et du RN, au risque de s’aliéner une macronie plutôt “bornienne” semble être le pari risqué envisagé. Mais qui, faute de succès, aura épuisé les cartes pourtant bien biseautées de la stratégie imaginée et à qui il ne resterait plus qu’un nouveau remaniement ? Le dilemme entre un remaniement après les élections européennes supposées perdues ou avant a été tranché : tenter de mettre en place un dispositif de contre-attaque afin, au moins, de limiter les dégâts.
Dans l’un des premiers actes de sa future messe internationale touristico-économique E. M. vient de nous exhorter à le rejoindre rejoindre à la salle de sport. Une communication toute en sueur et en disruption. L’occasion nous a été donnée d’imaginer Pompidou ou De Gaule dans cette posture… Pas même Hollande ni Sarkosy. La distance est sidérale… Regardez moi, je suis transgressif, je méprise ma fonction et la représentation que les citoyens s’en font. Dans le même temps, il souligne une forme de communication toxique subordonnée à l’attente de la nomination transgressive et essentiellement communicationnelle d’un prochain 1er ministre. L’opinion, indifférente, et qui sait que cela ne changera rien pour elle, n’est pas insensible au spectacle macronien du “chamboule-tout”, une forme de dégagisme auquel elle aura quelque peu collaboré via les réseaux sociaux. La cérémonie en forme de ballet des nominations à venir est pesée au trébuchet des affects et des tactiques politiciennes de court-terme, par Brigitte et le secrétaire de l’Élysée. Une Femme à Marignon ? On a déjà donné et en plus elle est “préférée” plutôt “vieille” et surtout ne pas risquer risquer des comparaisons fâcheuses, plutôt un jeune, un homme, “un jeune homme”, un autre lui-même, une sorte de retour. L’approche communicationnelle et disruptive, la mise en scène d’opérette du remaniement n’y feront rien. Tout au plus une distraction amusée et des propos goguenards. Faute d’une dissolution et d’une majorité de gouvernement qui pourrait en sortir, la situation restera la même. Une absence de majorité, les anciennes oppositions, les anciens partis de gouvernement, qui déclinent toute coopération, donc des 49,3 autant qu’il est possible, substitution du règlement à la loi, des textes votés mais mineurs et contradictoires (la loi immigration-asile en est l’expression et, semble -t-il ayant sonné le glas de l’attelage gouvernemental) et une absence d’action. La nomination d’un 1er ministre LR (pas un transfuge) suivie de celles d’une quinzaine de ministres du même “camp” et le reste issu du camp socialiste -démocrate, LFI exceptés (ils sont 42 ministres et secrétaires d’état actuellement) pourrait accoucher d’un gouvernement actif et plus ou moins soucieux de l’intérêt général. La situation actuelle du point de vue institutionnel, est particulière : Le président démonétisé faute de pouvoir se représenter est conduit à une agitation théâtrale à laquelle son tempérament cède facilement. Le quinquenat faisant coïncider, sauf dissolution, ici écartée, les mandats présidentiels et de l’assemblée nationale, et en raison d’un renouvellement du mandat présidentiel impossible, risque de rendre la situation difficile et éruptive. Le courage, la première qualité d’un gouvernant, serait la dissolution, qui n’est voulue par aucune des forces politiques en raison des risques encourus ou la nomination d’un premier ministre issu du camp de la “droite” républicaine. Les candidats ne manquent pas et, même si les réticences surgiraient de ce camp, personne ne résiste à la proposition d’une telle nomination. Attendons encore quelques instants ! …