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Je ne connais pas Mayotte. Je n’y ai jamais mis les pieds. Je ne connais pas non plus les Comores, cet archipel de l’Océan Indien dont l’île s’est détachée lors du référendum d’avril 1976, choisissant de rester dans le giron de la France. Je sais en revanche, pour en avoir parlé avec plusieurs élus de ce rocher de 270 000 habitants, que l’immigration massive qui conduit aujourd’hui à une remise en cause du droit du sol, était inévitable. Impossible, pour la France de 2024, de continuer à gérer comme avant ce confetti de son ex-empire. Les moyens nécessaires, pour tenir à bout de bras ce territoire devenu département en 2009, sont juste aux abonnés absents. La République, même si elle change les règles de naturalisation des nouveau-nés de mères comoriennes, ne pourra jamais édifier une digue suffisante pour protéger cet archipel de 374 km² des vagues démographiques.
La nouvelle visite de Gérald Darmanin n’y changera rien. Mayotte est bien plus qu’une île française soumise au risque de submersion migratoire de la part d’un pays, Les Comores, qui préside actuellement l’Union africaine. Cette île dit tout d’une décolonisation ratée, envisagée à la fin des années 70 sous le seul angle de la présence française à proximité du canal du Mozambique. Faire adopter une loi d’urgence sur le droit du sol, voire modifier la constitution, ne changera pas la donne. Le « sud global », cette expression bien trop fourre-tout, recouvre une réalité : toute une partie du monde échappe maintenant aux critères et aux normes dans lesquelles les ex-colonisateurs occidentaux désiraient l’encadrer. Il est temps, pour la France, d’en tirer les conséquences. A Mayotte aujourd’hui. Et sans doute ailleurs demain.
Bonne lecture, et n’oubliez jamais Lily !
(Pour débattre: richard.werly@ringier.ch)
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La question mahoraise fait resurgir un vieux débat concernant la nationalité française. Nait-on français ou le deviens t-on ? La patrie est-elle une communauté ethnique ou, selon Fustel de Coulange, une communauté d’idées, d’affections, de destins partagés, un “plébiscite de tous les jours” (Renan) ? d’où la distinction et parfois l’opposition entre deux conceptions d’acquisition de la nationalité : par la naissance de l’un ou des parents (jus sanguinis) ou selon le lieu de naissance (jus soli). Le droit français autorise les deux et les combine. Par la voie de son ministre de l’intérieur la France entend supprimer la deuxième voie pour le territoire de Mayotte. Cette réforme soulève les controverses juridiques et réactive les clivages politiques. Pour certains un tel abandon s’analyserait en un abandon des référents républicains élémentaires consacrés. Sous l’ancien régime seul le droit du sang figurait dans les lois françaises. Le droit français n’a introduit le droit du sol que sous Napoléon III en 1851 (double droit du sol) et après la défaite de 1870 et, en l’affirmant sous la IIIème République, l’objectif étant d’élargir la conscription. Les principaux bénéficiaires furent les italiens. Mais qu’en est-il plus généralement ? Dans le monde, une soixantaine de pays consacre le droit du sol. Il peut être intégral comme aux Etats-Unis (il est consacré par le 14ème amendement de la constitution) dérivé de l’ancienne Angleterre ainsi que dans d’autres pays du continent américain. Il est absolu et non subordonné à une quelconque condition ce qui n’est pas souvent le cas là où il est admis. Ainsi selon une réforme concernant Mayotte, l’acquisition de la qualité de français par naissance sur le sol de l’archipel est conditionnée par un séjour de la mère d’au moins 3 mois sur le sol de Mayotte. Dans l’hexagone, la naissance sur le sol est complétée par une durée minimum de séjour pendant une période de scolarité sur le sol français avant de devenir effective en général entre 16 et 18 ans . l’acquisition de la nationalité est soit automatique soit subordonnée à une déclaration personnelle. En France les situations ont pu fluctuer selon les réformes durcissant (lois dites Pasqua) ou non l’accès à la nationalité selon cette modalité. Dans la plupart des États c’est le droit du sang qui prévaut dans le monde à l’exception des cas d’apatridie en vertu d’une convention internationale visant à en réduire les cas. Un apatride se voit attribuer la nationalité de l’État ou il se trouve résider si les parents ne peuvent transmettre leur nationalité. Le droit du sol n’a rien à voir avec la naturalisation dont les règles fixées dans le code civil (code de la nationalité) qui déterminent les conditions à réunir pour déposer une demande de naturalisation. Ces critères concernent la preuve d’un rattachement et une assimilation (niveau de langue, revenus, activité professionnelle ou conjoint de français) et la décision de l’État est discrétionnaire et pris en opportunité (70 à 80 % d’acceptation pour la France actuellement). C’est une faveur et non un droit. Le droit du sol donne le droit (donc incontestable par une autorité quelconque sauf déchéance de nationalité quand elle existe à obtenir la nationalité de l’État quant l’individu nait sur le sol de celui-ci. Pour les États européens, tous les cas existent mais plus aucun droit du sang exclusif n’existe, l’Angleterre l’ayant abandonné comme l’Autriche et l’Allemagne pays de droit du sang exclusif (blutrecht) jusqu’aux années 2000. Ces deux pays ont introduit un zeste de droit du sol très conditionné notamment par une longue durée de résidence locale préalable à la naissance du ou des parents. L’objectif étant d’ “intégrer ” des populations, notamment d’origine turque. La Grèce est allée timidement dans cette direction. La France est-elle à l’arrière garde ou à l’avant garde de dette dynamique d’extension du droit du sol ? Il ne semble pas y avoir une dynamique de suppression du droit du sol en Europe. L’Italie qui ne connait que le droit du sang débat depuis 10 ans de l’adoption du droit du sol à certaines conditions. Avec le gouvernement actuel, les discussions sont au point mort. le débat qui ressurgit en France représente-il une amorce de virage ? Certains partis de droite et d’extrême droite en France en réclament l’extension à l’ensemble du territoire. Des tendances de ce type existent dans d’autres pays européens aussi bien dans les opinions que les partis politiques. Du point de vue juridique les règles relatives à la nationalité relèvent, en France, du domaine législatif (art 34 de la Constitution) et n’entrent pas dans les attributions de l’Union Européenne. Mais celles-ci doivent être conformes à des normes dites supérieures (hiérarchie des normes). Le projet gouvernemental s’il prenait la forme d’une loi se heurterait immanquablement aux principes d’égalité et de non discrimination consacrés par maintes décisions du Conseil Constitutionnel, du Conseil d’État, de la Cour de Cassation, de la Cour Européenne des droits de l’Homme mais aussi, au regard des principes relatifs à la “citoyenneté européenne” (incluse dans les traités européens et constituant la “charte de l’Union Européenne”) à la cour de justice de l’Union Européenne. Le principe d’unité et d’indivisibilité de la république de l’art 1 de la Constitution pourrait constituer un verrou à moins de concevoir des exceptions compatibles. D’où une indispensable révision constitutionnelle dont l’issue est plus ou moins incertaine dont l’objectif est de contourner les difficultés juridiques qui pourraient surgir mais aussi les difficultés ou obstacles de nature politique qui ne manqueront pas de surgir notamment dans un contexte pré-électoral… voir Jules Lepoutre, Nationalité et souveraineté, Ed Dalloz, 2020, 810 pages
La lettre d’information de R. Werly évoque plusieurs aspects relativement à Mayotte qui nécessitent des explications. Une question diplomatique et de relations internationales et une question de politique intérieure. S’agissant de la première, il importe de se reporter au statut de l’île de Mayotte (appelée “île aux parfums ” ou encore “Ile du Saint-Esprit” ainsi dénommée par les navigateurs portugais au 16ème siècle). D’abord Mayotte est un archipel dans un archipel : plusieurs îles et îlots, les plus grandes îles étant Grande-Terre et Petite-Terre adossées à une barrière de Corail, ensemble d’une superficie de 376 Km2 et de 260 000 habitants (le double avec l’immigration extérieure). Mayotte est achetée en 1841 par Louis-Philippe au Sultan de Mayotte menacé par ses voisins. Intégrée en 1848 à la République française puis protectorat (intégrant la Grande Comore, Mohéli et Anjouan) en 1886 sous l’autorité d’un gouverneur. Le référendum de 1974 puis de 1976 organisés sur la seule île de Mayotte conduit à faire de l’archipel un territoire français qui devient en 2009 (par référendum) un département français avec des particularités administratives concernant certains domaines de compétences. L’ONU n’a reconnu aucun de ces référendums, ceux-ci devant être organisés sur l’ensemble de l’archipel dans le respect de l’intégrité du territoire comorien comme pour toutes les colonies qui accèdent à l’indépendance. Une résolution de 1976 condamne la France et lui demande de se retirer immédiatement. Une vingtaine de résolutions condamnant la France se succèdent mais avec des majorités de plus en plus faibles jusqu’à ce qu’elles cessent définitivement en 1994. Lorsque J. Chirac, alors président, met le pied sur l’île en 2001, il dira son “immense fierté d’affirmer la présence de Mayotte dans la France” sans provoquer de réaction internationale (voir l’article de la juriste Mita Manouvel dans l’ouvrage collectif “Mayotte, état des lieux, enjeux et perspectives, Ed L’Harmattan, 2015, 244 p). Il en résulte que la souveraineté de la France sur Mayotte est contestée par plusieurs États et d’abord l’ “Union des Comores”. Celle-ci considère que Mayotte fait partie intégrante de l’archipel des Comores et que les “émigrés” d’Anjouan (située à 75 Km de Mayotte) sont chez eux à Mayotte (ce point rejoint l’aspect intérieur du dossier). R. Werly évoque une donnée géostratégique concernant la place de Mayotte dans l’océan indien. Outre l’immense “zone d’exploitation exclusive”(ZEE) que représente tout l’espace maritime, Mayotte occupe une place centrale à l’entrée du canal du Mozambique et en assure une forme de contrôle de son accès. l’Archipel des Comores et Mayotte au sud est prolongé par l’archipel des îles Eparses (5 îles toutes situées autour de Madagascar : îles Europa, Bassas da India, Juan de Nova, les îles glorieuses et Tromelin) revendiquées par Madagascar mais aussi par les Comores et l’ile Maurice. L’ensemble avec Madagascar est déclaré partie de l’empire français en 1896 jusqu’à ce que l’île de Madagascar devienne indépendante le 26 juin 1960. L’administration des îles Éparses dépend de l’administration des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et ne relève pas de l’Union Européenne contrairement à Mayotte (avec 8 autres régions ultrapériphériques) qui fait partie de l’Union Européenne avec un statut particulier. La zone maritime ainsi délimitée constitue un ensemble stratégique majeur dans l’océan indien et dans la stratégie indo-pacifique de la France (et l’Union Européenne) et une position de contrôle et de verrou tant en direction de l’Afrique de l’Est ainsi que de l’Asie et de la Chine. La Chine, dans ce cadre, mène, depuis plus 20 ans, des politiques de rapprochement et de soutien des gouvernements qui revendiquent la fin d’un “statut colonial” et le recouvrement d’une indépendance pleine et entière de leur territoire. Les Comores qui exercent actuellement la présidence de l’Union Africaine (AZALI ASSOUMANI jusqu’au 18 février 2024) expriment, de cette position institutionnelle, leur revendication territoriale sur Mayotte partie d’un tout constituant un archipel unique et se présentent en défenseur de toutes les revendications anti-coloniales encore existantes dans l’espace africain. La ligue Arabe, dès le début, a rejoint l’Union Africaine dans son soutien à l’Union des Comores. On peut voir là un aspect de la “lutte” du “sud-global” contre l'”occident global”. La Russie et la Chine se présentent comme les “parrains” de ce combat bien qu’entrant dans une compétition pour leurs zones d’influences, compétition dans laquelle la puissance indienne n’est pas absente. La Chine tisse sa toile dans l’océan indien et dans cet espace Madagascar et les Comores sont des emplacements décisifs. Il en est ainsi pour les Seychelles. Ces territoires sont l’objet de toutes les convoitises notamment chinoises : la vanille dans le passé mais aujourd’hui le métaux rares, le bois de rose, l’acquisition de terres, les installations portuaires aux fins commerciales et militaires (idem pour Djibouti) mais aussi et surtout comme porte d’entrée de sa zone d’influence en l’Afrique de l’est. Le même scénario vaut pour la Nouvelle Calédonie. En aout 2023 le journal l’express publiait les scénarios noirs de l’armée française et y incluait la revendication des îles Éparses par Madagascar en 2027 à la suite de troubles internes (émeutes de la faim) gravissimes. Plutôt que de recourir à l’aide de la France, les autorités malgaches se tournent vers les autorités chinoises qui, exacerbant les troubles et poussant les revendications, proposent leur aide et leurs crédits. Les scénarios envisagent 5 scénarios entrainant une réponse militaire française (5 vidéos sur “you tube” : Les scénarios noirs de l’armée française). Parmi les scénarios, le cas du Mali est envisagé. Depuis il semble avoir été réalisé mais… a conduit au retrait de l’armée française.
Voir le document publié par le Ministère des Armées, 2015, 15 pages. https://ileseparses.cbnm.org>presentation-generale