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La petite musique de Michel Barnier commence à devenir le refrain de cette fin 2024. Pas de réformes, ni de projet ambitieux pour la France du XXIe siècle. Pas d’agenda ou de « cent jours » pour changer le pays, comme osait le promettre il y a deux ans l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne, en lisant sa copie corrigée par Emmanuel Macron. Barnier, lui, va d’abord couper dans les dépenses publiques. C’est avec un ciseau que le nouveau chef du gouvernement français arrive, ce jeudi, pour présenter son projet de budget 2025 à l’Assemblée nationale.
Le débat sera houleux. « L’argent magique » dont l’Élysée a abusé, ne sera plus au rendez-vous. Barnier rime désormais avec Pinay (1891-1994), ce ministre des Finances choisi en 1958 par le Général de Gaulle pour tenir les cordons de la bourse et instaurer le «nouveau franc». Antoine Pinay, auvergnat de Saint-Chamond (Loire) fut le grand argentier le plus pingre de la République. Et, figurez-vous, l’un des plus populaires !
Voici donc Barnier l’économe en chef, le boutiquier de Matignon, le comptable d’une République incapable de freiner l’appétit budgétaire de son État aussi omniprésent qu’obèse. Les éléments de langage sont déjà prêts.
«Jamais la marge n’a été aussi étroite entre l’abandon et le salut. Jamais l’abîme n’a côtoyé de plus près le chemin du redressement» avait l’habitude de répéter, jadis, ce brave Antoine Pinay. Ce qui lui valait ce message simple de ses compatriotes, partout où il passait: « Tenez bon Monsieur Pinay ! »
Alors, tenez bon Monsieur Barnier : l’argent toute façon, est toujours trop cher !
Bonne lecture !
(Pour débattre : richard.werly@ringier.ch)
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Pinay ne s’est pas opposé directement à de Gaulle, mais plutôt a Michel Debré, auquel il reprochait de dilapider les finances publiques dans des canards boiteux, il est connu que les sondages de l’Élysée montraient que de Gaulle aurait du être battu par Pinay à l’élection présidentielle de 1965 et que la se trouve la véritable raison de l’invention de l’élection présidentielle au suffrage universel. C’est Mitterrand qui a dissuade Pinay de se présenter, car il avait compris que seule la strategie stalinienne du Front Populaire pourrait ébranler de Gaulle, lequel a effectivement perdu la majorité des inscrits ce qui l’a conduit a envisager de démissionner.
Ce n’est sans doute pas par hasard que l’on fait ce rapprochement avec Pinay mais c’est à mon avis une erreur. La chance de Barnier réside en premier lieu dans la chute de la gauche et de la force du RN. Ce qui lui garantit la stabilité dans la durée, car on voit mal le RN s’unir au NFP pour renverser le gouvernement, et justement l’élection présidentielle de 2027, n’y changera rien, car on voit mal le nouvel élu prononcer la dissolution et remettre le chaos dans le pays.
Votre scénario, optimiste, 2027 suppose la réunion de deux conditions :
– L’une actant l’élection de M Barnier (ou un de ses succédanés) à l’élection présidentielle, une candidature, pour le moment déniée, actant un succès, succès dont dépend largement la personnalité de l’adversaire et des forces électorales qu’il rassemblera. Le trop plein des candidatures parrainées ne manquera pas d’avoir un impact sur l’issue électorale, et la dispersion des voix ; certes tempérée par le deuxième tour. L’aspiration de l’opinion à une forme de stabilité politique peut aller dans ce sens qui n’est nullement garanti ; Le RN aurait t-il pour objectif de gouverner par substitution, par “proxy” ?
– L’autre, une reconduction du gouvernement actuel, forcément remanié. Ce scénario dépendrait, en partie, des scores du candidat RN (ou, surprise, d’une “gauche” ressuscitée) qui, arrivé au second tour avec une majorité approchant celle du vainqueur aurait intérêt à une dissolution dont il serait difficile de faire l’économie. Il faudrait que l’occasion en soit encore donnée et, vous avez peut être raison, l’intérêt politique serait d’attendre la fin du mandat de l’AN, juin 2029.
Cette fixation sur l’élection présidentielle n’est plus de saison. Le pouvoir est repassé au parlement qui est élu jusqu’en 2029. Si tout va bien M. Barnier est 1er ministre grâce au soutien de Marine Le Pen jusqu’en 2029. Aucun président n’y pourra rien, non plus en 2027 qu’en 2024. D’ailleurs Macron est anéanti et il n’a plus rien d’autre à faire que des discours sur lesquels se précipitent les médias avec avidité. en plus il n’a pas de candidat, à part quelques fantaisistes insignifiants. il faut tourner la page de la Ve.
François Mitterand avait bien pour objectif de “tourner la page”. Le “coup d’état permanent “, (1964) plus ou moins repris par J.L. Mélenchon, est bien un réquisitoire contre la Vème. Le père de M. Le Pen n’était pas sur une autre longueur d’onde. Deux postures surtout hostiles à la personne du général, plus enclines à ressusciter les mânes du maréchal. On a vu la suite à partir de 1981, malgré les distorsions institutionnelles par rapport à l’esprit et la pratique des institutions originelles acceptées par lui-même lors des cohabitations. Une Vème remaniée et certains diront dévoyée… La Véme est morte lorsque Giscard d’Estaing, à Verdun-sur-le-Doubs, déclare dans un discours du 27 janvier 1978, qu’en l’absence de majorité parlementaire aux élections de 1978, il ne démissionnerait pas. Les résultats permirent de reculer pour un temps l’innovation institutionnelle.
E. Macron poursuit et recracherait l’œuvre destructrice depuis longtemps à l’œuvre de la Vème à son corps défendant et malgré ses gesticulations verbales d’apparence présidentielles en l’absence de majorité parlementaire même relative… une présidence réduite à l’exposition ératique d’un ego hypertrophié et un narcissisme exacerbé démultiplié par des médias avides et cannibales.
Rien n’indique une poursuite et une institutionnalisation du processus d’évidement en 2027 à moins qu’une réforme du code électoral ne soit adoptée sous la demande pressante des forces populistes des deux bords et malgré la résistance (réelle ou feinte) de l’actuel 1er ministre.
Depuis 1958, bon nombre prérogatives constitutionnelles du chef de l’État ont été transférées aux institutions européennes et ont contribué à vider les institutions nationales de leurs prérogatives souveraines amputant la réalité des pouvoirs du président mais aussi du parlement. Si le pouvoir n’est plus à l’Élysée il n’est plus non plus au parlement. Les résultats électoraux issus des dernières élections législatives n’ont pas rapport démocratique avec la composition du gouvernement. Celui-ci n’a de responsabilité politique que devant la commission européenne.
La constitution de la Vème est depuis 1992 surtout siphonnée par le “haut” mais aussi par le “bas”et les collectivités locales du reste fort mal vues par l’actuel président pour qui elles portent ombrage.
Et puis l’élection présidentielle est une drogue dure suscitant de nombreux candidats (De Gaulle avait bien prévu la cohue des candidats au portillon) même fantaisiste et en dépit des parrainages (dont Marcel Barbu, fût l’emblème sans oublier André Dupont dit “Aguigui Mouna” dit Mouna non élu mais qui se fit sacrer “empereur débilissime Aaguigui 1er” le 2 mars 1978 ou encore Coluche dont l’audience mit la candidature Mitterrand en danger) et surtout à laquelle les Français biberonnés aux médias en continu et aux réseaux sociaux, sont intoxiqués.
Les éléments de langage propres à déterrer le mythe de l’homme providentiel sont sur les rails. Raoul Girardet, dans son livre ” Mythes et mythologies politiques” (Ed du Seuil, 1986, 211 pages) en a fait l’inventaire et Antoine Pinay fait partie du panthéon. D’autres personnages ont revêtu cette tunique de l'”Homme Providentiel” dans les “moments difficiles”. De Gaulle lui -même par deux fois, en 1840 et en 1958, hilippe Pétain lui-même (“Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur…”, discours du 17 juin 1940). R. Barre se présentant en prêtre de la rigueur en dépit de sa bonhommie rondouillarde semble rejoindre le cortège. Monsieur Barnier va t-il revêtir les vieux oripeaux ?
La figure d’A. Pinay mérite de lui être comparée à l’exception du chapeau avec lequel l’illustre personnage de Saint-Chamond semblait coucher en guise de bonnet de nuit. Peu gaulliste, le général en fit néanmoins son ministre des finances. Celui-ci avec l’aide du terne Jacques Rueff releva les finances de la France fort embourbées. Il accoucha d’un franc lourd, dit “nouveau “. Un mythe Pinay naquit, associé à ce personnage terne et “non politique”, un tanneur devenu un homme d’entreprise, la sienne. La balance commerciale de la France devient excédentaire et l’intégralité de sa dette fût remboursée en un rien de temps, Pinay devint l’homme des miracles, un homme providentiel.
Il n’en fallut pas plus au général, pour en prendre ombrage, il suffisait d’en saisir l’opportunité. Elle vint sur la politique extérieure. Pinay fut congédié sans ménagement. Il démissionna en janvier 1960. Faut-il voir dans cet épisode l’origine de la rumeur, toujours démentie, d’une candidature hostile aux élection présidentielles de 1965 ? Face à la menace, les cercles gaullistes agitèrent les rumeurs de ballets roses dans lesquels le bon maire aurait trempé tant sa dilection pour les jeunes filles était, aux dires de ses détracteurs, proverbiale. La crainte d’un déballage public mit fin à toute velléité, et A. Pinay se retira dans son champ et mourut à 103 ans. Faut-il voir une préfiguration d’un destin approchant pour notre premier ministre ?
Une autre figure, essentielle et première surgit de l’histoire : Cincinnatus (Vème siècle av. JC) qu’on alla chercher dans son champs alors qu’il avait les pieds dans la terre. La république romaine, menacée de toute parts, alla trouver ce vieillard pour remettre un peu d’ordre pour “dictature” de 6 mois. Une sorte d’article 16 que les institutions romaines prévoyaient. C’est Tite Live (histoires romaines) qui en fit un personnage vertueux, sorti de la terre, “dictator ab aratro”, qu’on vient arracher à sa charrue. On vient le chercher lui qui avait renoncé à l’exercice du pouvoir mais qui va se dévouer pour le “bien commun”. Le personnage est désigné pour son absence d’ambition et, tel un saint, un exemple de renoncement. Renoncement à presque tout et d’abord au pouvoir. Cincinnatus est érigé en exemple (exemplum) par Tite Live, une figure porteuse d’une haute leçon morale : il est l’exemple de la valeur de la vie simple et rustique, la preuve que la “virtu” ne réside pas dans l’accumulation des richesses, mais dans le travail et la modestie. Ce modèle est presque toujours exhumé dans l’histoire en réponse à la crise morale des guerres civiles. Il est une figure d’apaisement de tempérance, de modération et fondamentalement conservatrice. Cincinnatus n’est pas que cela puisque c’est aussi l’homme qui incarne un pouvoir personnel fort seul capable de sauver Rome. Ciceron, plus tard, dans le “De Republica” en fera l’idéal de l’homme politique, “vir unus anus, rector et gubernator”.
La figure de Cincinnatus parcourut l’histoire des républiques modernes ; Georges Washington fut surnommé le “Cincinnatus du nouveau monde” une fois retourné dans ses plantations de Mount Vernon après avoir répondu à l’appel de la patrie en danger lors de la guerre d’indépendance. La ville de Cincinnati est un hommage au personnage. Le personnage apparait en France en 1792, son buste figurant aux côtés de Solon, Platon, Brutus et d’autres dans la salle de réunion de la convention. M. Barnier ira t-il rejoindre la longue tradition romaine ?
Pour une histoire de la Rome antique, Lucien Jerphagnon : “Histoire de la Rome antique. Les armes et les mots” Ed Taillandier, Coll.Texto, 2022, 620 pages (spécialement pages 325 à 329).