Le ministre Français de la défense Sébastien Lecornu a assisté ce week-end au Shangri La Dialogue, l’incontournable forum sur la sécurité en Asie. Il y prenait la parole après l’accord survenu entre la France et l’Australie pour solder le contrat rompu des sous marins passé par Canberra à Naval Group, puis abandonné au profit des Américains. Le groupe industriel français recevra 550 millions d’euros de dédommagements. Le ministre expose la vision française de l’Indopacifique et réitère l’attachement de la France à la «centralité» de l’Asean.
Voici le discours, reproduit par Gavroche.
Discours de Sébastien Lecornu, ministre des Armées, au dialogue de Shangri-La
« Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et messieurs,
Je suis heureux d’être avec vous ce matin. Je tiens à remercier l’Institut international des études stratégiques pour l’organisation de ce forum essentiel, et Singapour un acteur central de l’Indopacifique et un partenaire stratégique pour la France. Je salue mes collègues indonésien et japonais avec qui je suis heureux d’échanger aujourd’hui.
Cette plateforme de dialogue est plus nécessaire que jamais. Notre environnement stratégique est chaque jour davantage contraint et polarisé dans une période où nous avons pourtant besoin de coopération et de cohésion.
La France est une nation résidente de l’Indopacifique. Cela signifie que notre engagement dans cette vaste région fait partie des éléments intangibles de notre souveraineté et de notre politique de sécurité et de défense. Pour le dire simplement, vos enjeux sont les nôtres.
C’est la raison évidente de ma présence ici, quelques jours à peine depuis ma prise de fonctions. Et c’est aussi pour cette raison que notre présidence du conseil de l’Union européenne a été porté avec force des actions concrètes au bénéfice de cette région. Cela passe par des partenariats équilibrés, de confiance et réciproques et recouvre des domaines d’expertise de l’UE tels que la sécurité maritime, la connectivité, la cybersécurité et la lutte contre la désinformation.
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Je veux d’abord rappeler une double réalité que l’agression russe contre l’Ukraine a fait ressurgir au grand jour : les menaces contre la sécurité de l’Europe sont une menace pour le reste du monde. Et inversement, les menaces sécuritaires ailleurs dans le monde continuent d’être une priorité pour l’Europe. À ce titre, l’Indopacifique joue un rôle crucial pour le maintien des équilibres fragiles du monde, pour l’économie globale et la sécurité des chaînes d’approvisionnement. La pandémie de coronavirus a contribué à nous en faire prendre conscience. Préserver ces équilibres est pour nous particulièrement important.
L’invasion de l’Ukraine remet néanmoins au centre de l’attention un défi fondamental pour l’ordre international. Je veux évidemment parler du recours à la force en violation flagrante du droit international. Cela menace directement la sécurité de chacun des États qui, partout sur le globe, construit sa sécurité sur le fondement du droit et du respect des engagements donnés. Nous refusons que le recours illégal à la force et à la menace devienne une nouvelle norme, qui plus est lorsque c’est accompagné de visées révisionnistes ou expansionnistes.
Au-delà de ce défi central, nous faisons face à trois principaux enjeux dans les rivalités géopolitiques dans la zone Asie-Pacifique.
D’abord, la compétition entre puissances est de plus en plus protéiforme et se durcit, avec des dimensions économique, technologique mais aussi militaire. La résurgence des tensions en mer de Chine, avec les menaces qu’elles font peser sur l’accès aux espaces communs, le démontre. Je souhaite aussi réaffirmer notre attachement à la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan, où une crise aurait des conséquences dramatiques pour tous au-delà même de la région. Les stratégies hybrides se développent avec un effet déstabilisateur réel. Elles contribuent à complexifier la conflictualité où l’on peut passer brutalement de la compétition à la contestation voire à l’affrontement, notamment avec le recours à des moyens civils pour des effets militaires.
Ensuite, les mécanismes de réponse collective sont fragilisés et les enceintes multilatérales souvent contestées. Le recours à l’unilatéralisme et au fait accompli se traduit notamment dans l’accélération de la course aux armements et un risque accru de prolifération des armes de destruction massive. Nous ne pouvons nous y résoudre. C’est une position française ancienne. Enfin, cette compétition de puissance va de pair avec d’autres défis de sécurité : prédation pour les ressources, notamment halieutiques ; conséquences du bouleversement climatique avec des catastrophes naturelles dévastatrices ; fragilité des chaînes d’approvisionnement. Ces phénomènes, face auxquels la réponse ne peut être que collective, touchent en premier lieu les populations plus fragiles. La France, consciente à travers ses territoires ultramarins des spécificités des territoires insulaires et côtiers, se tiendra aux côtés de tous les pays pour y faire face.
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La France vit de manière très directe les conséquences de ces tensions, en tant que nation de l’Indopacifique avec 2 millions de citoyens français vivant à la Réunion, à Mayotte, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et en Nouvelle Calédonie. Des concitoyens que je connais bien pour avoir été leur ministre des Outre-mer pendant deux années au cours desquelles j’ai œuvré à l’intégration régionale de ces territoires, dans l’intérêt de nos compatriotes et de nos partenaires de la région, au travers des instances existantes comme le forum des îles du Pacifique et la communauté du Pacifique.
Pour répondre à ces enjeux de sécurité, nous avons mis en œuvre une stratégie de défense en Indopacifique, initiée par le Président Macron en 2018. Régulièrement adaptée aux nouveaux défis depuis, elle vise, au-delà de nos enjeux de souveraineté, à la défense du multilatéralisme, des règles internationales, de la liberté d’accès aux espaces communs, d’une approche collective et inclusive des défis de sécurité y compris environnementaux et climatiques.
Cette stratégie s’appuie concrètement sur des moyens militaires permanents et importants déployés dans la zone. Il s’agit naturellement de nos forces de souveraineté françaises qui sont présentes en permanence sur nos territoires ultramarins en Indopacifique et de nos forces de présence à Djibouti et aux Émirats arabes unis qui représentent plus 7 000 militaires. Ces capacités opèrent dans toute la zone Asie Pacifique et bénéficient de nombreux points d’appui que nous avons développé et consolideront avec nos partenaires de la région. Je remercie à ce titre mes collègues ministres ici présents. À titre d’exemple, en 2021, nous avons aussi déployé un sous-marin d’attaque pendant de nombreux mois dans cet espace. Le groupe Amphibie Jeanne d’Arc a opéré jusqu’au Japon. Un dispositif d’avions de combat Rafale partis de France a été projeté en quelques heures jusqu’en Polynésie Française. La France dispose ainsi d’une capacité d’action dans l’ensemble de la zone et travaille à l’interopérabilité de ses forces avec celles de nos partenaires, notamment avec les États-Unis. Elle le fait avec un souci constant du respect de la souveraineté de chaque État et de développement de partenariats forts avec de nombreux pays que j’ai la chance de voir représentés ici.
Je peux vous assurer que cet engagement des armées françaises se poursuivra demain. Par exemple, cette année une projection de puissance aérienne partira de France pour assurer une mission de souveraineté dans le Pacifique, la mission Pégase 22. Nos forces continueront de remplir leurs différentes missions opérationnelles et de participer aux principaux exercices multilatéraux de la zone. Elles organiseront elles-mêmes des exercices. Elles maintiendront ainsi une présence significative dans la région pour montrer l’attachement de la France à la stabilité de la région Asie-Pacifique.
La France continuera le renforcement et la modernisation de nos capacités avec le déploiement permanent, d’ici 2025, de 6 nouveaux patrouilleurs océaniques en Indopacifique dont deux dès cette année dans le Pacifique, l’un basé en Nouvelle Calédonie, l’autre en Polynésie. Ces patrouilleurs assureront des missions de surveillance et de souveraineté. De la même façon, les 5 Falcon du Pacifique seront remplacés par 5 nouveaux modèles plus modernes.
Cet engagement est coopératif par nature. La stratégie française dans l’Indopacifique n’est dirigée contre aucun État. Elle se décline en pleine association avec les États de la zone. La France contribue à la stabilité de la région en développant des partenariats, avec l’objectif de construire ensemble plus d’autonomie et de développement. Ces partenariats ne visent pas à alimenter des tensions mais au contraire à faire en sorte que chaque État puisse contribuer à une architecture de sécurité régionale. Puisque nous sommes ici à Singapour, je salue le partenariat ancien en matière de défense et de sécurité que nous avons noué et que nous allons encore renforcer. Il se traduit aujourd’hui par la signature d’un accord de soutien logistique mutuel.
Cet engagement est responsable et collectif par choix. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France prend sa part dans la lutte contre les menaces globales, au premier rang desquelles la prolifération. Elle s’implique dans les négociations sur le nucléaire iranien. Elle participe à la mise en œuvre des sanctions des Nations unies contre la Corée du Nord. En tant que présidente du conseil de l’Union européenne, la France a donné une impulsion concrète pour faire de l’Union un pourvoyeur de sécurité en Indopacifique, notamment sur la sécurité maritime avec l’implantation d’une Présence maritime coordonnée dans l’océan Indien. Cet engagement pour la région a été confirmé dans la Boussole stratégique de l’Union européenne, 1er livre blanc de défense que l’Union vient d’adopter. Le sommet Union européenne/Chine qui s’est tenu en avril est une illustration de l’approche inclusive de la stratégie de l’Union européenne en Indopacifique par un dialogue exigeant, équilibré et lucide.
Nous soutenons avec constance les différents mécanismes de sécurité portés par les pays de la région, de l’océan Indien jusqu’au Pacifique. En Asie du Sud Est, la France reste attachée à la centralité de l’ASEAN. C’est pourquoi elle souhaite rejoindre l’ADMM+ pour y apporter son expertise dans des domaines clefs tels que la sécurité maritime ou le maintien de la paix.
Dans le Pacifique Sud, l’engagement de la France aux côtés des pays insulaires est entier : que ce soit dans les domaines du secours aux populations suite à des catastrophes naturelles ; ou dans celui de la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée. Nous menons cet engagement notamment dans le cadre du Pacific QUAD et, du partenariat FRANZ, particulièrement efficace.
Fidèle à son approche multilatérale respectueuse de la souveraineté de chacun, la France ne cherche pas à rallier un camp ou un autre, elle fait le choix du respect du droit, seule option pour garantir la sécurité et la paix.
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Mesdames et messieurs,
Je réaffirme ici la conviction de la France : les défis posés par les rivalités géopolitiques dans une région multipolaire ne peuvent faire l’objet que d’une réponse inclusive et multilatérale fondée sur le respect du droit. Les problèmes de l’Indopacifique sont aussi les problèmes de l’Europe et réciproquement. Nous pouvons œuvrer ensemble à y répondre. La France, dont la constance et la fiabilité sont connues de ses partenaires, y contribue déjà et continuera à le faire de manière résolue.
Je vous remercie. »
Les problèmes de l’Asie ne sont pas les problèmes de l’Europe et ce n’est pas au Ministre des Armées Françaises de venir ramener sa science avec tout le respect que je lui dois. Jadis influence anglophone représentée par l’Australie était de mise, maintenant c’est la Chine qui avance ses poins à grand pas par exemple par la traversée ferroviaire du Laos vers la Thaïlande pour rejoindre un port en eau profonde et l’installation militaire récente dans un port au Cambodge. Tout cela relève de la politique étrangère de la France qui devrait s’inspirer du pragmatisme d’Hubert Védrine et de Dominique de Villepin en leurs temps.