Il faut parfois savoir déporter son regard. Et changer de lunettes. Vue de France, la situation politique en Thaïlande, où le leader du parti victorieux aux récentes législatives risque d’être empêché de prendre les rênes du royaume, justifie toutes les critiques. Critiques politiques, car les urnes ont parlé. Critique du système, car la main mise des militaires sur le pouvoir, au nom de la défense de la monarchie, n’est guère défendable. Critique sociale enfin, car deux pays s’opposent: la jeunesse thaïlandaise urbaine face à l’indifférence ou à la soumission du reste de la population.
Ce prisme français doit être mis de coté. La Thaïlande n’est pas la France. Et notre République, bousculée par les récentes émeutes urbaines, n’a guère de leçons à donner. Gavroche a donc choisi, autant qu’il est possible, de regarder et de commenter les faits tels qu’ils sont. Nos lunettes ne sont pas françaises. Nous ne jugeons pas à l’aune de ce qui serait acceptable, ou non, à l’autre bout du monde. La vérité est que la Thaïlande est faite d’équilibres pas toujours subtils entre différentes sources de pouvoirs. Le vote des électeurs n’est qu’une partie du puzzle politique. On peut le regretter. On peut le critiquer. Mais il faut l’accepter.
Pour l’heure, nous ne pouvons que formuler un vœu : que l’aspiration massive de la population thaïlandaise au changement et au renouvellement du personnel politique soit entendu. La démocratie française n’est certainement pas un modèle. Mais elle doit au moins nous inspirer. Toute solution politique qui viserait à confisquer le résultat des urnes serait, en Thaïlande, la source d’une problématique illégitimité. Nous verrons, le 19 juillet, si ce royaume et sa démocratie « à demi cuite » sont capables d’éviter une collision problématique.
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Les situations politiques respectives des deux pays que cette tribune “compare” peuvent soutenir quelques rapprochements. Ici et là, les “équilibres politiques sont des compromis (plus ou moins) subtils entre différentes sources de pouvoirs” (et, ajoutons, pas uniquement et peut-être surtout, résultant des seules institutions élues) et qui, pour la France, relèvent de l’Union Européenne. “Le vote des électeurs n’est qu’une partie du puzzle politique” certes et notamment en ce qui concerne la France dont des domaines entiers de la décision relèvent de commissaires européens non élus et de parlementaires sans véritables pouvoirs de décision. La tribune est victime d’une approche exclusivement “nationalo-centrée” et pourtant l’Europe existe depuis 1957. Toutes proportions gardées, l’étage européen des institutions françaises à l’instar de celles stigmatisées ailleurs, dépend de niveaux de décisions qui sont nommés. Ici comme là, les dispositifs ont fait l’objet d’une approbation populaire. La Constitution thaïlandaise et son Sénat contesté (et sans doute contestable selon les standards communs reposant sur l’élection) a été approuvée par le référendum du 7 août 2016 ; en France le suffrage universel a rejeté, le 19 mai 2005, une architecture institutionnelle européenne qu’un Congrès (Assemblée Nationale et Sénat – non élu au suffrage universel direct-réunis à Versailles) qui, bien qu’en ayant la compétence constitutionnelle, l’adopte les 7 et 8 février 2008 et presque sans modifications. Cet épisode, selon de nombreux analystes politiques, représente une altération grave du modèle démocratique : invalider une élection au suffrage universel par une élection ultérieure par des représentants élus directement et indirectement pour instaurer une “scène politique” dont les décisions, et pas des moindres, sont prises par des commissaires nommés (et, par la suite, agissant) sous la domination des groupes de pression et fortement perméables aux diverses formes de corruption.