La manifestation organisée samedi 14 décembre dans le centre de Bangkok en soutien du «parti de l’avenir» (Future Forward Party) témoigne incontestablement d’un réveil de l’opinion, face à l’étreinte judiciaire qui se resserre autour de cette formation d’opposition. S’agit-il d’une réédition de l’affrontement entre «chemises jaunes» et «chemises rouges» ? Il est trop tôt pour le dire. Mais l’on peut d’ores et déjà pointer deux différences notables, assurées de compliquer la tâche du pouvoir en place, dominé par l’armée: la popularité du «parti du futur» et de son leader Thanathorn parmi la jeunesse bourgeoise des grandes villes, et l’usure de l’élite militaire en place depuis le coup d’Etat de 2014.
N’allons pas trop vite: la Thaïlande n’est pas à l’orée d’une nouvelle crise politique majeure. D’abord parce que l’étreinte des militaires sur le gouvernement et les libertés publiques demeure très forte, et que toute contestation de masse sera sans doute très vite éteinte. Ensuite, parce que la personnalité de Thanathorn, le leader du «parti du futur» divise les élites économiques et administratives du pays. En clair: l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra avait un clan de fidèles prêt à se battre pour lui, y compris au sommet de l’Etat. Thanathorn a, pour l’heure, l’unique arme de l’opinion publique. Le combat, à l’heure où nous écrivons ces lignes, apparaît dès lors inégal.
Gare toutefois à ne pas croire à un ordre immuable. Il est clair que l’armée, au nom de la défense de la monarchie, continue d’avoir l’avantage politique. Mais après six années passées à la tête du pays depuis le coup d’Etat de 2014, la crédibilité de l’actuelle équipe gouvernementale et du Premier ministre, le général Prayuth Chan Ocha, est largement érodée. Au sein de l’Etat major même, les aspirations en faveur de l’avènement d’une nouvelle génération de dirigeants se font sentir. La force de Thanathorn, actuellement pris dans l’étau judiciaire, est donc de camper sur une ligne de fracture. Contre les «chemises rouges» pro-Thaksin, les militaires étaient unis. Contre le «parti du futur», populaire au sein de la jeunesse bourgeoise, les hommes en uniforme renâclent.
Que peut-il se passer dans ces conditions ? Tout dépendra de deux facteurs. Le premier est la propagande du pouvoir thaïlandais, qui va sans doute tout faire pour discréditer le jeune leader politique et mettre l’accent sur ses liens – réels, en ce qui concerne sa famille – avec Thaksin Shinawatra. Le second est le contexte économique. Si le ralentissement de la croissance se poursuit et que de nouveaux scandales de corruption entachent la réputation du gouvernement qui mise sur les programmes d’infrastructures, l’étoile de Thanathorn brillera davantage. La bataille de l’opinion est engagée entre «le parti du futur» et le camp conservateur qui, comme toujours, regarde du côté du palais royal pour tenter d’apprécier sa marge de manœuvre.