Plus qu’un roman, une plongée dans les arcanes du pouvoir communiste vietnamien, version polar. A raison de deux épisodes par semaine, Patrice Montagu-Williams nous raconte «La fille qui aimait les nuages». Dans le Paris asiatique du XIIIème arrondissement, une formidable intrigue va se nouer. L’histoire, enfin, va remonter à la surface. Hantée par cette question : peut-on commettre des crimes hier et ne pas les payer demain au prix fort ?
Rappel de l’épisode 1: Anh Hùng, l’un des plus importants personnages du parti communiste vietnamien au pouvoir, part en convoi pour l’aéroport de Noi Bai, à Hanoï. Destination ? Paris, en compagnie de sa fille Ai Van. Une jeune femme sur les épaules de laquelle pèsent tant de secrets…
Rappel de l’épisode 2: Le convoi se range au pied de l’Airbus A350XWB, l’un de ces gros biréacteurs nouvelle génération dont Vietnam Airlines vient de faire l’acquisition. La carlingue est peinte en bleu ciel, sauf le ventre de l’avion, qui est tout blanc, comme celui d’un squale. Une fleur de lotus couleur or décore l’empennage. Depuis que sa flotte ne comporte plus aucun jet d’origine soviétique, la compagnie n’a pas connu d’accident majeur. Vietnam Airlines est même considérée comme l’une des meilleures et des plus sûres au monde…
«La fille qui aimait les nuages» / Episode 3
Un roman-feuilleton de Patrice Montagu-Williams
De la chambre qu’il occupe à l’hôtel Shangri-La, Anh Hùng a une vue imprenable sur le Champ de Mars avec, dans le fond, l’École Militaire. C’est là, à l’Institut des hautes études de défense nationale, qu’il avait suivi, il y a quelques mois, dans le cadre de la préparation de ce contrat, une session d’une semaine dont le thème était « Armement et économie de défense ». C’est officiellement cette formation à Paris qui lui avait valu de prendre la tête de la délégation qu’il conduisait aujourd’hui.
Le palace des Bonaparte
Le palace, un ancien hôtel particulier du Prince Roland Bonaparte était situé avenue d’Iéna, non loin de la Tour Eiffel. Il avait été choisi notamment parce qu’il permettait de se rendre assez aisément au Ministère des Armées, boulevard du Général Martial Valin, cet ensemble de bâtiments que l’on appelait l’Hexagone Balard, une sorte de Pentagone à la française. L’ambassade du Vietnam se trouvait, elle aussi, dans le même arrondissement que l’hôtel, rue Boileau. Être logé dans un palace coûtait certainement une fortune, mais c’étaient les Français qui régalaient. Il faut dire que le montant prévisionnel du contrat était colossal…
Pour cette première réunion à la Direction Générale de l’Armement, Anh Hùng ne sera accompagné que de l’agent du TC2, l’œil de Moscou, comme l’on disait autrefois. On lui a dit que l’homme n’était pas là pour le surveiller, mais pour l’aider dans les négociations. C’était une preuve évidente de la confiance que lui témoignait le Secrétaire Général du Parti, lui a-t-on assuré.
Oncle Ho et Paris
Pendant ce temps, ses petits camarades se rendront en pèlerinage visiter les lieux où Oncle Ho a vécu à Paris. D’abord, au 56 rue Monsieur Le Prince d’où, le 18 juin 1919, il adressa une pétition, restée sans réponse, au président Wilson, à Clemenceau et à Lloyd George leur demandant que le droit des peuples à disposer d’eux même s’applique aussi au peuple vietnamien. Puis, au 6 villa des Gobelins où il partagea la vie de plusieurs patriotes vietnamiens avec lesquels il forma ce que l’on appela « Les cinq dragons ». L’ambassadeur du Vietnam en France ainsi que le journaliste de Nhân Dân se joindront au groupe et tous se retrouveront le soir pour un dîner officiel à Matignon, avec le Premier ministre.
Quant à Mai et à Ai Vân, elles auraient leurs journées pour elles, sa femme étant par contre contrainte de participer à certains dîners officiels. Un inspecteur de la Sous-direction de la Protection des Personnes de la Police Nationale les accompagnerait.
Services très secrets
L’ambassade a mis une voiture à leur disposition, une berline Peugeot 508 noire. Assis à l’arrière du véhicule, Anh Hùng se tient à distance de l’agent du TC2. Il sait qu’on ne peut jamais faire confiance aux hommes des services secrets. Et celui-là est certainement comme les autres. D’ailleurs, ils sont tous interchangeables : des types bornés tout juste capables de torturer un homme attaché pour lui faire avouer ce que l’on veut, pense-t-il.
Alors que la voiture roule avenue de Versailles et s’apprête à emprunter le pont du Garigliano, sur la gauche, Anh Hùng essaye de se remémorer ce qu’il doit dire aux Français. Avec l’âge, il a besoin de mettre un peu d’ordre dans sa mémoire. Surtout pour une réunion de cette importance.
Avant d’aborder le sujet qui les amène et les problèmes qui vont croissants en mer de Chine méridionale, il commencera par leur rappeler que la France a été le premier pays européen à nommer, en 1991, un attaché de défense au Vietnam et que la coopération entre les deux pays dans le domaine militaire est ancienne. Le Premier ministre français en personne s’était même rendu au Vietnam il y a quelques mois pour célébrer les cinq ans du partenariat stratégique entre les deux pays !
Salopards de chinois
Ce n’est qu’ensuite que l’on entrera dans le vif du sujet avec ces salopards de Chinois qui n’ont demandé leur avis à personne pour construire aéroports, héliports, ports et stations océaniques dans les Spratleys, des îlots gorgés de gaz et de pétrole, dont la souveraineté est réclamée par au moins six États de la région. Dans un tel contexte, qui risque à tout moment de déboucher sur un conflit, le Vietnam et ses trois mille kilomètres de façade maritime a un besoin urgent d’équipements pour sa marine.
Il faudra qu’il trouve aussi rapidement le moyen de revoir, seul à seul, son contact à la Direction du Renseignement Militaire, ce type qu’il avait rencontré, il y a quelques mois, dans un dîner à l’Ambassade de France à Hanoï, lors de la préparation de la mission, et qui avait promis de l’aider…