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GAVROCHE – ROMAN : #Hashtag Singapour, dans le miroir de « Pretty Woman »

Journaliste : Alain Guilldou
La source : Éditions Gope
Date de publication : 17/01/2022
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Singapour maisons

 

Nous poursuivons notre exploration du monde musical à Singapour avec cette nouvelle d’Alain Guilldou auteur, entre autres, de C’est arrivé à Singapour (éditions Gope, 2022).

 

L’AUTEUR

 

Après une carrière d’enseignant, Alain Guilldou a été responsable de la communication du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA), ce qui l’a amené à tisser des liens avec de nombreux pays du monde, en particulier ceux d’Extrême-Orient. Il continue d’enseigner à Singapour, la ville-Etat qui lui a inspiré plusieurs nouvelles dont celle-ci.

 

L’INTRIGUE

 

M. Tong, violoniste mondialement admiré, est très attaché à son Stradivarius et à sa belle demeure de Singapour. Lors de ses tournées dans différents pays, Mme Tong en profite pour retrouver sa passion de jeunesse : chanter les Beatles dans un cabaret démodé. La tension latente dans le couple prend un tournant dramatique lorsque Mme Tong apprend le comportement inadmissible de son mari auprès de certaines femmes. Elle décide de lui donner une leçon d’une façon très personnelle précisément au moment où il est victime d’événements pour le moins inexplicables et qui risquent de lui faire perdre la raison. Mais qu’est-ce que la raison dans cette histoire ?

 

RÉSUMÉ ÉPISODE 1

 

Alors que la tension est palpable dans le couple Tong, leur fille annonce avec effroi qu’elle vient de découvrir un entassement de # sur le sol de la pièce où son père, violoniste de réputation mondiale, répète ses concerts et conserve ses souvenirs.

 

ÉPISODE 2 : MAINS SALES ET JOLIE MAISON

 

M. Tong entendit sa femme, Katherine, chanter dans une autre pièce. C’était bien le moment ! Jamais disponible quand il avait besoin d’elle ! Il se redressa avec le même manque de souplesse que s’il avait eu un lumbago et ses yeux s’écarquillèrent comme devant une Vierge nue dans une église orthodoxe. Sur le lutrin, où il avait laissé ouverte la partition du Concerto pour violon n° 1 de Max Bruch, qu’il répétait pour un concert prévu à Séoul mi-décembre, il ne vit que deux pages zébrées de traces verticales, réduites à l’épaisseur de fils d’araignée, que les notes, les portées et les altérations avaient abandonnées dans leur glissade vers la moquette.

 

Hébété, M. Tong fila à la salle de bains en passant devant la cuisine où sa femme, inconsciente du fait que le monde ne tournait plus rond, chantonnait Smile.

 

If you smile through your fear and sorrow
Smile and maybe tomorrow
You’ll see the sun come shining through for you

 

Le musicien n’aima pas entendre ces paroles saisies au vol, pareilles à autant de chouettes clouées sur des portes.

 

A coups de coude, il alluma le plafonnier de la salle de bains, ouvrit en grand les deux robinets au-dessus de la vasque de marbre et s’y frotta les mains avec énergie avant de pouvoir attraper le flacon de savon liquide pour compléter le lavage. C’était tenace, cette encre ! Elle était pourtant sèche depuis tellement d’années sur le papier. Il n’y comprenait rien. En se décollant de ses mains, l’encre souillait la céramique du lavabo tel du rimmel pressé de filer vers les égouts. M. Tong se regarda brièvement dans le miroir qui lui renvoya le visage d’un homme contrarié qui pourrait encore jouer les tombeurs à la place de Richard Gere dans Pretty Woman.

 

Les mains propres, il retourna dans son domaine d’un pas déterminé, comme pour braver un bannissement. La pièce lui parut plus sombre que d’ordinaire. Il alluma le lampadaire qui se dressait tel un arbre rachitique à côté de la vitrine et contempla de nouveau la partition sur laquelle il n’y avait plus que des traînées aléatoires sur des feuilles qui auraient subi une inondation. S’affichait devant lui une représentation de la surdité totale. Peut-être Beethoven aurait-il pu l’écrire.

 

Quand, quelques semaines plus tôt, une rare tempête avait arraché la moitié de la toiture de sa vieille demeure, Chiam Chok Tong s’était trouvé conforté dans l’idée qu’une page de sa vie se tournait.

 

Certes, sa maison datait de l’époque où les Britanniques se croyaient les maîtres de cette partie du monde, mais, à diverses reprises, elle avait été restaurée à grands frais. L’un des directeurs du Jardin botanique en avait été l’un des anciens propriétaires et l’avait entourée d’un parc où foisonnaient les espèces végétales, des arbres à haute futaie jusqu’aux orchidées minuscules. Pendant la guerre, des documents et des objets précieux nationaux y avaient été mis à l’abri de la convoitise des occupants japonais. Après l’indépendance de 1965, la propriété fut achetée par un architecte américain qui trouva en Singapour un lieu où exercer ses talents et un refuge pour ses capitaux non déclarés. Quand M. Tong, à qui la reconnaissance internationale apportait de confortables revenus, se mit en quête d’un endroit isolé et calme, digne de sa personne pour répéter et loger sa famille, la bâtisse n’avait besoin que d’une modernisation des systèmes de sécurité et d’une chasse régulière aux insectes rampants et volants pour être parfaitement viable.

 

Par atavisme, M. Tong n’avait aucunement l’intention de mettre tous ses œufs dans le même panier, aussi sa banque lui fit-elle les yeux doux afin qu’un prêt l’endette sur une dizaine d’années.

 

De la rue, où des demeures similaires vieillissaient paisiblement, dorlotées à coups de milliers de dollars de réfections et d’embellissements, on ne voyait qu’une minijungle. Le portail électrique vert sombre se refermait telle une plante carnivore dès qu’un visiteur, le plus souvent en voiture, l’avait franchi. S’il s’ouvrait avec une lenteur majestueuse, la rapidité de sa fermeture était calculée de manière qu’il soit pratiquement impossible à un intrus de profiter de l’ouverture pour se glisser dans la propriété. De toute façon, des caméras, reliées aux bureaux d’une société de protection installée à moins d’un kilomètre, surveillaient les lieux.

 

Là où un parc à l’occidentale aurait été doté d’un bassin avec fontaine et statues dénudées, c’étaient un énorme bouquet d’arbres qu’enlaçaient d’épaisses lianes, tels des serpents amoureux, et des taillis touffus qui bloquaient la vue. Les voitures devaient le contourner par la gauche pour parvenir au perron soutenu par des colonnes blanches où somnolaient de confortables rocking-chairs. L’endroit aurait été calme s’il n’y avait eu les cris désagréables des martins tristes à l’œil sévère souligné de jaune et donc le bec couleur jonquille piquait vivement le sol à la recherche de vers imprudents.

 

A suivre…

 

Hashtag Singapour est une nouvelle d’Alain Guilldou auteur, entre autres, de C’est arrivé à Singapour, un recueil de nouvelles publiées aux éditions Gope.

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