HASHTAG SINGAPOUR
Nouvelle d’Alain Guilldou auteur, entre autres, de C’est arrivé à Singapour (éditions Gope, 2022).
L’AUTEUR
Après une carrière d’enseignant, Alain Guilldou a été responsable de la communication du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA), ce qui l’a amené à tisser des liens avec de nombreux pays du monde, en particulier ceux d’Extrême-Orient. Il continue d’enseigner à Singapour, la ville-État qui lui a inspiré plusieurs nouvelles dont celle-ci.
L’INTRIGUE
M. Tong, violoniste mondialement admiré, est très attaché à son Stradivarius et à sa belle demeure de Singapour. Lors de ses tournées dans différents pays, Mme Tong en profite pour retrouver sa passion de jeunesse : chanter les Beatles dans un cabaret démodé. La tension latente dans le couple prend un tournant dramatique lorsque Mme Tong apprend le comportement inadmissible de son mari auprès de certaines femmes. Elle décide de lui donner une leçon d’une façon très personnelle précisément au moment où il est victime d’événements pour le moins inexplicables et qui risquent de lui faire perdre la raison. Mais qu’est-ce que la raison dans cette histoire ?
RÉSUMÉ ÉPISODE 3
M. Tong, homme sûr de lui et autoritaire, s’inquiète des événements qui secouent sa vie tandis que sa femme, ancienne chanteuse de cabaret qu’il a hissée dans l’échelle sociale, et sa fille, Cheryl, dont les préoccupations musicales sont à l’opposé de celles de son père, semblent vivre dans leur monde à elles.
ÉPISODE 4 : UNE PIQÛRE ET UNE ÉPOUSE EN VISITE
Le musicien convoquait sa femme pour la prendre à témoin de l’état dans lequel se trouvaient SON royaume, SES partitions et SA moquette souillée d’encre. D’un pas traînant, Katherine le rejoignit en chantonnant, une attitude fréquente qui avait le don d’exaspérer son époux. Surtout quand il se surprenait ensuite à reprendre le refrain entonné par sa femme toute la journée. C’était le genre de contamination qu’il abhorrait. Marmonner Billie Jean avec son étui à violon enchaîné à son poignet le mettait d’une humeur massacrante.
Lorsque son épouse fut sur le pas de la porte de SA pièce, des coups de Klaxon insistants retentirent, dominant momentanément les basses du CD de Cheryl.
M. Tong enjamba le fatras au pied du lutrin et s’approcha de l’écran de surveillance relié aux caméras du portail. En appuyant sur le bouton jaune, il fit apparaître deux limousines noires.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? s’exclama-t-il à l’adresse de son épouse qui s’était approchée de lui et regardait aussi l’écran.
— Je l’ignore, dit-elle d’un ton détaché.
Un nouveau coup de Klaxon retentit, suivi d’appels de phares, visibles sur l’écran de surveillance, mais personne ne descendit d’aucun des véhicules pour parler à l’interphone.
M. Tong allait se mettre à hurler quand il ressentit une piqûre à l’arrière de sa cuisse droite. Sous le regard neutre de Katherine, il tenta de préserver son équilibre en se retenant au rideau de la fenêtre. Déjà ses jambes avaient la consistance du chocolat fondu, ses mains la rigidité de la mort. Il s’effondra sur lui-même.
« The Magical Mystery Tour is hoping to take you away » furent les seuls mots que proféra sa femme en le voyant étendu à ses pieds.
La maison ressemblait à un phare rabougri qu’un typhon démoniaque aurait transporté au milieu des terres. L’effet était dû à la tourelle de trois étages, délabrée, qu’un ancien propriétaire avait cru devoir faire ériger pour attendre de pied ferme tout ennemi potentiel. Le reste de la bâtisse en paraissait écrasé, presque ridicule. Non loin, un cimetière abandonné conférait à l’endroit un côté “Hauts de Hurlevent” quand, de rares matins, un léger brouillard venu de Malaisie s’y promenait au ralenti.
Katherine Tong avait toujours aimé la compagnie de Lao Lee qui vivait là-bas depuis une vingtaine d’années. Lui se plaisait à discuter avec cette femme dont la vulgarité d’autrefois avait fini par s’estomper sous le vernis de la grande vie qu’elle menait auprès de son mari.
Lao Lee avait longtemps trimé dur sur le port pour ramener à la maison une paie souvent dérisoire, tandis que son épouse contribuait au budget familial en faisant des ménages. Le couple avait fait connaissance à un bal de fin de semaine où ils dansaient aussi mal l’un que l’autre. Un coup de pied dans un talon, qui se brisa, scella une alliance banale mais durable.
Leur lumière, dans le gris des jours qui se succédaient en une route semée d’embûches, était leurs enfants auxquels ils avaient voulu faire suivre des études. Quelques jours au bord de la mer l’été suffisaient à leur bonheur de gens simples.
Lorsque Mme Tong fit la connaissance de Lao Lee et de sa femme, leur travail harassant leur avait permis d’acquérir une masure pour le moins étrange qu’ils n’avaient plus quittée.
Katherine fut d’une fidélité exemplaire auprès du couple et continua ses visites régulières à Lao Lee après le décès de sa femme.
Pour le plus grand bonheur du vieillard, Cheryl accompagnait parfois sa mère. Malgré ses grands airs d’ado-je-sais-tout-mieux-que-tout-le-monde, la jeune fille s’était attachée à lui et l’appelait également Lao Lee. Ce qui ne l’empêchait pas, après quelques phrases de politesse, et tandis que sa mère entonnait une chanson à la demande de leur hôte, de se laisser hypnotiser par son portable.
L’homme et sa visiteuse pouvaient discuter ensemble des heures, de tout et de rien. Rire aussi. Même le silence les unissait. Quand le temps le permettait, elle l’emmenait dans sa voiture jusqu’au Sembawang Park, face au bras de mer qui sépare Singapour de Kampung Teluk Jawa en Malaisie. Avec le vieillard, Katherine se montrait d’une générosité qu’il lui reprochait gentiment, sachant qu’il n’aurait jamais le dernier mot avec cette femme.
Depuis quelques mois, Mme Tong ne le trouvait pas très en forme. Il avait beau lui dire « Le docteur m’a donné des vitamines », elle s’inquiétait pour lui. Cheryl aussi, probablement ; elle avait traduit ses sentiments par une décision sans appel :
— Maman, il me fait peur.
A partir de ce jour, Katherine alla seule rendre visite à Lao Lee.
Mais il n’était pas le seul homme qu’elle voyait en cachette.
A suivre…
Hashtag Singapour est une nouvelle d’Alain Guilldou auteur, entre autres, de C’est arrivé à Singapour, un recueil de nouvelles publiées aux éditions Gope.