Arrivez vous à suivre ce «farang» à la recherche de son honneur et de la voie qui le mènera à surmonter ses douleurs, dans le dédale des rues de Bangkok et dans les mystères de la Thaïlande contemporaine ? Ne vous privez pas de relire à chaque fois les épisodes précédents. Commentez les avec nous. Ce feuilleton est le votre.
Un roman par épisodes de Patrice Montagu Williams
L’intrigue
1996 : sur fond de contrat pétrolier sulfureux passé avec la junte militaire birmane, de manipulation des médias et des ONG par différents services secrets, Martin Decoud, agent de la DGSE, la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, est envoyé en mission à Bangkok.
Persuadé que, comme le dit Ernest Hemingway, « Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu », le farang, l’étranger, retournera en Thaïlande, près de vingt-cinq ans plus tard, pour tenter d’y reconstruire une existence que la vie a brisée et trouver le « Noble Chemin » des bouddhistes qui mène au nirvana.
Rappel de l’épisode précédent :Grâce à Winnie, l’agent du SBB, Martin apprend que Chevron, le partenaire de Total dans le projet Yadana, veut la jouer en solo dans de nouveaux contrats en Birmanie. Il apprend aussi que la firme américaine finance et manipule en sous-main plusieurs ONG. Après avoir tenu Total au courant de la situation, GAK propose donc à son ami Martin de revoir Jessie, la fille qui travaille au HCR.
Épisode 10 :Les secrets du Bouddha d’Émeraude
D’abord, elle avait refusé l’invitation à dîner, puis, comme GAK insistait, elle finit par accepter, mais à la condition que ce ne soit pas dans le quartier où se trouvaient les bureaux des Nations-Unies où elle vivait et travaillait quand elle venait à Bangkok, sur Rajdamnern Nok avenue : elle ne voulait pas que des gens du HCR la voient avec eux. Alors GAK lui avait proposé de se retrouver chez Phanfa, dans Phra Nakhon, le quartier historique de la ville, celui du Grand Palais, du temple du Bouddha d’émeraude, du Wat Pho, avec son immense statue du Bouddha couché, et du fort Phra Sumen, implanté dans un parc, sur les berges du fleuve.
— C’est un restaurant à l’ancienne, sans luxe tapageur ni climatisation. On y va pour manger, pas pour l’ambiance. Elle va adorer, avait dit GAK à Martin. En plus, la cuisine, un mélange de recettes chinoises et thaïs, est excellente. La spécialité de la maison est la viande de crabe.
Beaucoup d’argent sur la table
Plus Martin la regarde, plus il la trouve jolie. C’est l’une de ces femmes dont la beauté irradie peu à peu quand on prend le temps de les observer.
Elle porte sur un jean un simple tee-shirt blanc sur lequel on peut lire : « Le Danton, 4, Carrefour de l’Odéon. Paris ».
— Je me suis déguisée pour vous en touriste parisienne, petits farangs, dit-elle en s’asseyant. Au demeurant, j’adore ce bistrot et j’y vais chaque fois que je passe à Paris…
Phanfa est l’un des plus anciens restaurants de Bangkok. Ouvert en 1939, il est, depuis près de trois générations, la propriété de la même famille. Après le Sabai Sabai, le traditionnel cocktail de bienvenue, ils goûtent un peu à tout : pince de crabe cuite à la vapeur, riz au poulet bouilli et vermicelles sautés avec des légumes et des fruits de mer.
Pomelos chinois frais et sucrés
Pendant tout le dîner, ils parlent de ce qu’est devenue la ville et de la situation politique du pays. Ce n’est qu’au moment du dessert, des pomelos chinois frais et sucrés, que GAK aborde le sujet :
— Jessie, as-tu pensé à ce que Total pourrait faire avec vous ?
— Le HCR est une organisation officielle dépendant de l’ONU et ne peut recevoir des fonds provenant d’une société capitaliste mêlée, de surcroît, à un scandale international.
— Nous n’avions pas pensé au HCR, intervient Martin, mais plutôt à des ONG présentes sur le terrain avec lesquelles vous pourriez nous mettre en contact.
— Les besoins sont immenses et notre partenaire est prêt à jouer le jeu en mettant beaucoup d’argent sur la table, précise GAK.
— Bien entendu, vous aurez entière liberté de contrôler l’usage qui sera fait de ces fonds, ajoute Martin.
Nettoyage ethnique
Elle ne répond pas directement à la question.
— Ce n’est pas à une guerre que nous assistons, messieurs : c’est à un génocide, un véritable nettoyage ethnique digne de l’ère stalinienne. La KNLA, la Karen National Libération Army, l’Armée de Libération Nationale Karen, la branche militaire de l’Union Nationale Karen, combat les Birmans depuis l’indépendance du pays. Les Karens sont animistes, bouddhistes mais aussi chrétiens. Les Birmans ont tout fait pour diviser le mouvement en soutenant des groupes dissidents, comme la Democratic Buddhist Karen Organization, par exemple. C’est avec son appui qu’ils se sont emparés, en janvier de l’année dernière, de Maneplaw, la capitale déclarée de l’Union Nationale Karen, parti qui est aujourd’hui très affaibli. La stratégie des Birmans est simple. Ils appellent ça les quatre éradications. Cela consiste à priver la guérilla de renseignements, de vivres, de recrutements et de financements. Les Karens ont ainsi perdu le contrôle des échanges commerciaux avec la Thaïlande et, en particulier, de teck et d’antimoine, sur lesquels ils prélevaient des taxes : aujourd’hui, la rébellion n’a plus de revenus, ce qui la rend d’autant plus dangereuse, car elle pourrait de livrer à des prises d’otages ou à des opérations suicide.
Séduction
Ils se plaisent. GAK a remarqué les regards qu’ils échangeaient à table. Alors, il n’est pas surpris qu’elle propose à Martin, à la fin du dîner, de l’accompagner au camp de Ban Mai Nai Soi, près de la frontière entre la Thaïlande et l’état Karen, où elle doit se rendre à la fin de la semaine.
— Ce camp avait été créé initialement dans l’état Karen, en 1989. Il a été déplacé plusieurs fois avant de s’installer finalement cette année dans la province de Mae Hong Son, du côté thaïlandais. Nous y avons un bureau, ajoute-t-elle en souriant.
A suivre…
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