Les lecteurs familiers de la situation à la frontière thailando-birmane retrouveront dans cet épisode de «La voie du farang» des personnages familiers. Impossible de ne pas avoir été fasciné, dans les années 90, par les exploits combattants des jumeaux karens Johnny et Luther Htoo. Patrice Montagu – Williams ne les a pas rencontrés. Mais son roman retrace leur mobilisation…
Un roman inédit de Patrice Montagu Williams
L’intrigue.
1996 : sur fond de contrat pétrolier sulfureux passé avec la junte militaire birmane, de manipulation des médias et des ONG par différents services secrets, Martin Decoud, agent de la DGSE, la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, est envoyé en mission à Bangkok.
Persuadé que, comme le dit Ernest Hemingway, « Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu », le farang, l’étranger, retournera en Thaïlande, près de vingt-cinq ans plus tard, pour tenter d’y reconstruire une existence que la vie a brisée et trouver le « Noble Chemin » des bouddhistes qui mène au nirvana.
Rappel de l’épisode précédent : De retour à Bangkok, Martin met Total en contact avec l’ONG GTR. Il restera sur place encore quelques semaines pour assurer le suivi de sa mission avant de rentrer à Paris. Jessie, avec laquelle il a entamé une liaison, adopte une petite réfugiée karen : Nina.
Épisode 14 : Les jumeaux guérilleros
Il se souviendrait de ce jour toute sa vie.
L’avant-veille, Jessie était retournée à Ban Mai Nai Soi, confiant Nina aux bons soins de sa mère qui vivait chez elle, depuis le décès de son mari : en Thaïlande, pas question d’abandonner les aînés qui jouissent d’un grand respect et plusieurs générations cohabitent souvent sous le même toit.
Ce matin-là, comme chaque fois qu’il dormait chez lui, il avait allumé la télévision en prenant son café. Il avait pris l’habitude de regarder ModerNine TV, sur le canal 9. Sa connaissance du thaï lui permettait de ne rien perdre de l’essentiel des programmes. Mais, cette fois, tout se brouillait.
Le camp de réfugiés attaqué
Le camp de réfugiés avait été attaqué. Des images de guerre se succédaient à l’écran. Des chars de l’armée thaïlandaise progressaient lentement entre des maisons en feu tandis que l’on entendait le bruit de rafales de mitrailleuses. Le reporter interrogeait un colonel de la quatrième division d’infanterie qui lui avouait que la situation échappait totalement, pour l’instant, aux forces de sécurité. Il semblait que des éléments de la Karen National Libération Army, acculés par l’armée birmane aux frontières et affamés, avaient débarqués dans le camp. À moins que ce ne soit des commandos birmans infiltrés pourchassant des terroristes, laissa entendre l’officier. Tout était confus et contradictoire. Un membre d’une ONG australienne, interrogé un peu plus tard, parla même de l’Armée de Dieu, ce mouvement radical de quelques centaines de combattants karens menés par des jumeaux d’une douzaine d’années que l’on disait dotés de pouvoirs surnaturels, Johnny et Luther Htoo, qui guidaient les combattants selon des visions qu’ils recevaient directement de Dieu.
— On ne laissera donc jamais ces gens en paix, ajouta-t-il, écœuré…
L’appel de Winnie
Trois heures plus tard environ, le portable sécurisé de Martin sonne.
— C’est Winnie et Winnie s’occupe toujours de ses amis, et, plus encore, de ses amants, même s’ils ne lui sont pas très fidèles, d’après ce que je crois savoir, dit-elle. Je viens d’interroger l’état-major de la Troisième région militaire, à Phitsanulok. Ils sont responsables des régions nord et nord-ouest du pays. La situation dans le camp se stabilise. Je n’ai pas encore d’information précise concernant ton amie Jessie, mais, apparemment, des hommes armés se seraient introduits dans le siège du HCR et auraient pris des otages. Je te tiens au courant dès que j’en sais un peu plus, ajoute-t-elle avant de raccrocher.
Aucun survivant parmi les otages
Winnie ne le rappela qu’en fin de journée.
— J’ai des nouvelles pour toi, Martin, mais, hélas, elles ne sont pas bonnes. Il n’y aurait aucun survivant parmi les otages. Dans une affaire comme celle-là, il sera impossible de savoir qui sont les responsables entre les commandos de la quatrième division d’infanterie et les rebelles de la KNLA. Ce dont on est sûr, par contre, c’est que les terroristes ont tous été abattus, ajouta-t-elle. Je passerai te voir tout à l’heure chez toi : je n’ai pas pour habitude d’abandonner mes amis quand ils rencontrent des difficultés.
Après, tout alla très vite. Woodward contacta Martin : quand les rebelles pénétrèrent dans le camp, il avait fait jouer ses vieux réflexes d’ancien des forces spéciales, et, avec sa carabine Snipper Remington 700, avait abattu au moins dix hommes, changeant constamment de position, ce qui fait que les terroristes, qui ne s’attendaient pas à rencontrer la moindre résistance, crûrent avoir affaire à des éléments de l’armée ou de la police et se réfugièrent au HCR où ils prirent des otages. Il était donc indirectement responsable de ce qui s’était passé et il tenait à s’en expliquer personnellement.
— Notre accord tient toujours, amigo. Ceci dit, j’ai fait le con, et je te dois quelque chose…
Martin prévint alors Paris que sa mission était terminée. Entre temps, GAK, à l’ambassade, s’était procuré le rapport du SBB sur l’assaut du camp de Ban Mai Nai Soi. L’armée thaï avait refusé de négocier avec les preneurs d’otages et donné
l’assaut, provoquant un véritable carnage. Jessie, qui tentait de s’interposer, aurait été égorgée par l’un des hommes de la KNLA qui fit aussitôt abattu.
GAK garda ce rapport pour lui.
La vie d’un enfant
Une semaine plus tard, Winnie l’accompagnait à l’aéroport. Debout, devant le comptoir d’enregistrement d’Air France, il tenait Nina par la main. Il n’avait pas voulu abandonner la petite fille que l’on menaçait de renvoyer au camp de réfugiés. Quoi de plus sacré que la vie d’un enfant expliqua-t-il à Winnie qui avait fait en sorte que tous les papiers d’adoption et de sortie du territoire soient prêts. Il s’occuperait du reste des formalités une fois arrivé en France.
— Tu es un type bien, Martin, lui dit Winnie. Dommage…
Puis elle prit la petite fille un instant dans ses bras.
— Tu peux être fière de ton papa, Nina, lui dit-elle avant de l’embrasser et d’ajouter : je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que je te reverrai un jour, Martin, comme si ton karma te conduisait à venir finir ta vie parmi nous…
A suivre…
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