Les oligarques ne jurent que par l’argent. Ils pensent que les dollars peuvent tout acheter. Même l’honneur bafoué d’un père et la souffrance d’une jeune femme violée. « La voie du farang » est la voie de la vengeance. L’ultime affront se paiera cher…
Un roman inédit de Patrice Montagu-Williams.
L’intrigue.
1996 : sur fond de contrat pétrolier sulfureux passé avec la junte militaire birmane, de manipulation des médias et des ONG par différents services secrets, Martin Decoud, agent de la DGSE, la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, est envoyé en mission à Bangkok.
Persuadé que, comme le dit Ernest Hemingway, « Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu », le farang, l’étranger, retournera en Thaïlande, près de vingt-cinq ans plus tard, pour tenter d’y reconstruire une existence que la vie a brisée et trouver le « Noble Chemin » des bouddhistes qui mène au nirvana.
Rappel de l’épisode précédent :Violée par un important homme d’affaires russe qu’elle était venue interviewer dans une loge de l’Opéra Garnier, à Paris, Nina, alors jeune journaliste, glisse dans les escaliers en essayant de fuir et se blesse très grièvement.
Épisode 18 : Un million de dollars le viol
Un grand type blond d’une cinquantaine d’années l’attendait, debout devant la porte de son immeuble.
— Monsieur Decoud ?
Martin hoche la tête : il a compris tout de suite à qui il avait affaire.
—Il faut que je vous parle. Je suis Maître Agopov, l’un des avocats de Monsieur Olenska à Paris. J’ai essayé de vous joindre plusieurs fois au téléphone, mais vous n’avez jamais décroché.
En effet, depuis l’accident, Martin avait coupé pratiquement tout contact avec le monde extérieur.
— Vous venez me proposer un marché, demande-t-il ?
L’autre sourit. Un sourire forcé.
— Pas un marché, Monsieur Decoud. Une généreuse compensation pour ce qui est arrivé à votre fille.
— Qu’appelez-vous « une généreuse compensation » ?
— Un million de dollars versé où vous voudrez. Monsieur Olenska a été très choqué par ce drame dont il se considère comme indirectement responsable.
— Monsieur Olenska a violé ma fille, Maître, et vous le savez. C’est à cause de lui qu’elle est handicapée à vie. À vingt-six ans. Vous pouvez imaginer ça, Maître ? Moi pas.
— Monsieur Olenska et moi-même partageons votre douleur, Monsieur Decoud. Je tenais à vous le préciser.
— Vous expliquerez tout cela au tribunal.
— Il n’est pas du tout certain que l’affaire aille jusque-là, Monsieur Decoud, vous verrez. C’est pour cela que nous vous proposons cet accord, contre un retrait de votre plainte qui entache l’image de Monsieur Olenska en France, bien évidemment.
— Dites à Monsieur Olenska d’aller se faire foutre, cher Maître.
— Vous avez tort, Monsieur Decoud. Non seulement vous vous privez d’une somme d’argent qui aurait pu adoucir votre vie et celle de votre fille, mais, en plus, vous allez fâcher Monsieur Olenska et, quand il se fâche, Monsieur Olenska a souvent du mal à se contrôler…
Les ordres viennent du « château »
Aussitôt rentré chez lui, Martin appela Kurtz, l’homme avec lequel il avait participé, vingt-six ans plus tôt, à l’opération destinée à sauver les otages détenus par les Khmers rouges, au sud du Cambodge. Kurtz était maintenant le directeur adjoint de la direction des Opérations de la DGSE.
— Elle sent mauvais ton histoire, lui dit Kurtz, après que Martin lui eut tout raconté. Je vais voir ce que je peux faire…
Deux jours après, la réponse tombait :
— Rien à faire d’autre que garder le silence radio : les ordres viennent directement du « château ». Les relations avec la Russie ne sont pas au beau fixe en ce moment et on craint des représailles sous forme de cyberattaques conduites par des hackers à la solde du SVR, du FSB, ou, pire, du GRU ! Au niveau officiel, il ne se passera rien. Laissons refroidir cette affaire, Martin, et, dans quelque temps, on agira. Ce n’est pas à toi que je vais apprendre combien il est important, parfois, de savoir attendre son heure. Olenska vient souvent en France. Je te préviendrai et je t’aiderai même, si tu en as besoin. En dehors du service, bien entendu…
— Tu es un vrai copain, Kurtz. Merci.
— Plus qu’un copain, Martin : un ami qui se souvient de notre histoire au Cambodge, quand on a fait front, tous les deux, et qu’on a sorti notre rapport sur les magouilles de l’armée royale avec les Khmers rouges, rapport que la direction, à Paris, a soigneusement étouffé.
Cette vie, Papa, je n’en veux plus
Ce soir-là, comme tous les soirs, il mit ce qu’ils appelaient entre eux leur hymne secret – April in Paris dans sa version Ella Fitzgerald et Louis Armstrong – puis s’assit à côté d’elle et ouvrit l’album. C’était Babar à Paris. Isabelle, la plus jeune fille de Babar, se rendait dans la ville lumière et c’était son père qui lui servait de guide. Au programme : promenade dans les rues de la capitale, visites des monuments les plus célèbres et pauses aux terrasses des cafés. Ce lien, entre les éléphants et la ville où elle vivait, avait paru particulièrement judicieux à Martin.
— Arrête la musique, Papa, arrête tout, s’il te plait, dit Nina tout à coup.
Il crût d’abord qu’il avait gagné et qu’ils allaient pouvoir abandonner ces éternels voyages dans le monde de l’enfance et mettre enfin le pied dans le monde réel.
— Tu veux que je te lise quelque chose qui corresponde plus à ton âge ? Romain Gary a écrit une magnifique Lettre à l’éléphant. Ne bouge pas : je vais la chercher.
— Papa, je n’en peux plus. Cette vie future qui s’offre à moi, je la refuse. J’ai vingt-six ans. Tu veux que je passe les cinquante prochaines années assise sur cette chaise ? J’ai pourri ta vie. Tu as renoncé à ton boulot d’agent secret et tu es devenu bureaucrate pour pouvoir m’élever et, maintenant, tu as dû prendre une retraite anticipée pour t’occuper de moi…Sans compter que, quand tu ne seras plus là, on m’enverra dans l’un de ces dépôts où l’on stocke les handicapés en attendant qu’ils crèvent. Finissons-en, Papa. Aide-moi à m’en aller et partons à la recherche de notre nirvana, chacun de notre côté. Je t’aime, ajouta-t-elle en lui prenant la main.
A suivre…