Nous voici lancé, avec Patrice Montagu-Williams, dans le dédale d’un nouveau polar asiatique. « L’Impératrice Rouge », cette fois, ne nous laissera aucun répit. L’intrigue démarre à Paris pour nous conduire dans les moindres recoins du Triangle d’Or. Attention, sensations garanties…
«L’Impératrice rouge», un roman inédit de Patrice Montagu-Williams.
L’intrigue
Les saisies de drogue atteignent un niveau record dans le 13ème arrondissement de Paris. Cette drogue proviendrait du fameux Triangle d’or, cette zone frontalière située entre la Thaïlande, la Birmanie et le Laos. Quel est le rôle exact de la Chine et de ses services secrets dans cette affaire ? Et qui est exactement cette Impératrice Rouge, somptueuse et tragique femme vampire, qui serait le chef d’orchestre occulte de ce trafic ?
L’agent très spécial Ly, de la DGSE, est envoyé en Thaïlande pour régler le problème, par tous les moyens. Persuadé, comme le dit Sartre, qu’on ne peut vaincre le mal que par un autre mal, il vivra une histoire de passion, de folie et de trahison.
Rappel de l’épisode précédent : à l’occasion d’une exposition organisée à Paris pour faire connaître l’art du tissage chez les Hmong, Ly fait la connaissance d’Eva, une grande bourgeoise propriétaire de la galerie. Ils deviennent amants.
Épisode 5 : Escale à Matignon
Après s’être arrêtée au contrôle, la Renault Talisman gris métallique se gare dans la cour de l’Hôtel Matignon, rue de Varenne, l’un des plus beaux édifices du Faubourg Saint-Germain, l’ancien quartier général de la noblesse, à Paris. Un huissier vient ouvrir la porte arrière du véhicule. L’homme qui en descend et se prépare à gravir les quelques marches qui conduisent au perron, où l’attend un membre du cabinet du Premier ministre, s’appelle Jacques Corentin. Il n’ignore rien de l’histoire du lieu où il est déjà venu à de nombreuses reprises, depuis sa nomination au poste de directeur de la DGSE.
L’ancien hôtel particulier, bâti au XVIIIe siècle, avait appartenu à différentes familles aristocratiques ainsi qu’à quelques personnalités célèbres, telles que Talleyrand, avant que l’état ne mette définitivement la main dessus pour en faire la résidence de ses Premiers ministres. Derrière le bâtiment, se trouve un parc de trois hectares, plus vaste que celui de l’Élysée, où il est de tradition que chaque nouvel arrivant plante un arbre, au début de son mandat. Une journaliste du « Monde » avait publié, il y a quelques années, un livre qui avait connu un certain succès dont le titre était « L’enfer de Matignon », expression qui était, depuis, régulièrement reprise par la presse pour décrire les incroyables pressions, rebuffades, guerres des egos et autres humiliations publiques auxquelles avaient eu à faire face les Premiers ministres successifs, situation qu’ils n’avaient supporté que parce que le poste en question servait souvent de marchepied à celui qui souhaitait accéder à la fonction suprême : celle de président de la République.
Le Salon jaune
— Si Monsieur veut bien me suivre, dit l’huissier au directeur de la DGSE en poussant la porte de la salle du conseil qu’ils traversent, avant de pénétrer dans le Salon jaune attenant. On vous attend.
Ancienne chambre de parade aux murs tendus de soie et ornés d’une tapisserie représentant la naissance de Diane et d’Apollon, le Salon jaune avait longtemps été le bureau des présidents du Conseil, avant de servir de salle à manger. À Matignon, où il manquait invariablement de la place pour loger des équipes toujours plus nombreuses, on l’utilisait à présent pour des réunions en comité restreint.
Autour de la table, ont déjà pris place, en plus de François de Marsay, Directeur de cabinet du Premier ministre, Paul Contenson représentant de la direction de la coopération internationale du ministère de l’Intérieur ainsi que Louis de Trailles, l’homme du Quai d’Orsay qui avait participé à la réunion à l’OFAST, quelques jours auparavant. Tous les quatre ont fait l’ENA et parlent donc la même langue. C’est bien entendu le Directeur de cabinet qui prend la parole le premier.
— Messieurs, j’ai souhaité vous réunir pour parler d’une affaire qui pourrait devenir gênante si nous n’y prêtons pas attention. Je remercie Monsieur de Trailles et le ministère des Affaires Étrangères d’avoir fait remonter jusqu’à nous ce dossier qui concerne directement le rôle de la France en Asie du Sud-Est.
Garden Island
— Dans son discours prononcé sur la base navale de Garden Island, à Sydney, en Australie, le 2 Mai 2018, le président de la République a exposé la stratégie française dans la zone indopacifique, une zone incontournable pour l’avenir de notre pays. Nous souhaitons y jouer le rôle de puissance médiatrice et stabilisatrice. Cette stratégie a pour conséquence d’exiger de notre part une forte implication dans le règlement des crises régionales, en particulier dans la sécurité des principales voies de navigation. Or, vous n’ignorez pas le conflit larvé existant, en mer de Chine, entre la Chine et ses voisins. Je vous rappelle à ce propos, d’ailleurs, que la France a livré, et va continuer à livrer, des sous-marins à plusieurs pays de la région, comme le Vietnam et les Philippines. Je vous laisse à présent la parole, Monsieur de Trailles, conclut le directeur de cabinet, en se tournant vers l’homme du Quai d’Orsay.
Chantage chinois
— Je vous remercie, monsieur le Directeur de cabinet, répond le haut-fonctionnaire, qui marque un léger temps d’arrêt avant de commencer, après avoir ouvert le dossier qui se trouve devant lui. À l’occasion de leur récente réunion annuelle, les ministres des Affaires étrangères des États membres de l’ASEAN, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, avaient approuvé la candidature de la France au statut de partenaire de développement de l’organisation. Notre implication s’est depuis considérablement renforcée, notamment dans le cadre de « l’ASEAN Defense Ministers-Plus », que l’on appelle « ADMM + », mais aussi dans le « Forum des garde-côtes asiatiques », l’« HACGAM », l’ « Association du bassin de l’océan Indien », l’« ORA », ou encore l’ « Accord de coopération régionale contre la piraterie et le vol à main armée contre les navires en Asie », le « ReCAAP ». Enfin, il convient de noter que, lors de la dernière réunion du Forum régional de l’ASEAN, dont fait partie la Chine, une résolution a été adoptée demandant expressément à l’ASEAN et à la Chine de finaliser un code de conduite qui respecte le droit international en Mer de Chine Orientale. Dans ce contexte, l’affaire que la police a découverte dans le XIIIe arrondissement et les aveux du suspect affirmant qu’il n’avait fait que servir de poisson-pilote pour les services chinois et que sa mission consistait uniquement à faire passer le message que la Chine pouvait mettre fin au trafic de drogue, prend tout son sens : compte-tenu de nouveau rôle qu’entend jouer notre pays dans la région, que je viens de vous expliquer, les Chinois souhaitent faire pression sur nous afin que nous les soutenions ou, au moins, que nous respections une certaine neutralité à leur égard. Je vous remercie pour votre attention, dit le diplomate en refermant son dossier.
— Ceci porte un nom, Messieurs, conclut François de Marsay : c’est tout simplement du chantage. Et on ne fait pas chanter la France impunément. Dans ces conditions, je transmets ce dossier à vos services, Monsieur le directeur, dit-il en se tournant vers l’homme de la DGSE. Vous voudrez bien tenir le cabinet informé des suites données à cette affaire, ajoute-t-il, avant de lever la séance.
A suivre…