GAVROCHE HEBDO – ÉDITORIAL : Le délit de « lèse majesté » peut-il, ou non, être contesté ?
D’abord une réponse à tous les lecteurs qui nous reprochent de formuler des opinions trop tranchées sur la Thaïlande et sa situation politique, en estimant que nous devrions, au minimum, garder le silence. Sachez qu’à Gavroche, nous lisons tous vos courriers et que nous y répondons. Sachez aussi que jamais ce média crée en 1994, ce qui en fait le plus ancien média francophone de la région, n’a oublié de tenir compte des réalités locales, du contexte national, et de la nécessité de relativiser toute critique en fonction de ces critères. Loin de nous l’idée ou l’intention de plaquer des schémas de pensée européens sur la réalité thaïlandaise. Soyez sur ce point rassurés. Et continuez d’être vigilants !
Ensuite une évidence : la victoire nette du parti d’opposition Move Forward impose des changements. Il est vrai que les partis pro-militaires ont jusque-là joué le jeu des urnes. Il est vrai que les élections du 14 mai se sont déroulées de façon démocratique. Il n’y a donc pas lieu de diaboliser tel ou tel. Même les sénateurs nommés par l’ex junte militaire sont dans leur rôle. Soit. Mais serait-il acceptable, aux yeux des jeunes générations, que des artifices soient utilisés pour refuser au parti vainqueur du scrutin son droit à former un gouvernement ? La réponse à nos yeux est claire : non.
Vient, maintenant, l’une des questions les plus délicates : celle de l’article 112 du code pénal thaïlandais, à savoir le délit de lèse majesté. Sur ce point, les paroles du défunt roi Rama IX rediffusées sur les réseaux sociaux méritent d’être réécoutées et relues. Plus il est mal utilisé, pour brider la liberté d’expression, plus ce délit dessert la cause même de la monarchie et abime le respect que lui porte la très grande partie de la population. La contestation de l’article 112 doit donc être acceptée, sans y voir à chaque fois une dangereuse subversion. Faut-il pour autant réclamer son abrogation d’urgence ? Pas sûr. Il faut, auparavant, rassurer ceux qui voient dans cette remise en cause une atteinte au pays et à son roi. Toute imprudence, sur un sujet aussi crucial, sera dommageable.
L’heure doit être à l’explication. Le parti Move Forward a reçu un mandat populaire. Il est en droit d’exiger de l’appliquer. Tel est sa responsabilité démocratique. A lui et à son leader, Pita Limjaroenrat, de montrer en revanche que le changement n’est pas synonyme de révolution. C’est un exercice difficile. Mais l’intérêt du pays commande de prendre du temps et de rassurer. L’inverse, à ce stade, serait contre-productif.