Notre ami et chroniqueur Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal, porte sur les affaires asiatiques un regard affuté d’expert. Plutôt que que de s’interroger une nouvelle fois sur l’avenir de Hong Kong, celui-ci a donc choisi de poser l’autre question: l’avenir de la Chine après la mise au pas de l’ex colonie britannique. Car celle-ci, ne l’oublions pas, présentait de sérieux avantages pour Pékin et le parti communiste chinois.
Une chronique géopolitique d’Yves Carmona
La loi nationale sur la sécurité, son application à Hong Kong, l’arrestation de militants adversaires du pouvoir pékinois 27 ans avant la fin de la cohabitation entre « deux pays » dans un seul « système », tout cela est largement documenté par ailleurs.
Ici, nous souhaiterons nous interroger sur un autre versant de la brutale prise de décision par Xi Jinping. Est-ce l’intérêt de la Chine communiste (PRC) ? Peut- elle désormais se passer de Hong Kong ? Le régime « communiste » va-t-il rester totalitaire ou s’ouvrir un jour à un fonctionnement démocratique ?
1/La nouvelle loi est-elle dans l’intérêt de la RPC ?
Depuis que la PRC a récupéré Hongkong en 1997, la cité sert de sas financier entre l’intérieur et l’extérieur. Elle a bénéficié du statut d’autonomie qui lui a permis de rester 3ème place financière mondiale au monde par la diversité de son rôle comme New York, Londres, Berlin, Singapour, Paris et Tokyo. Au point que des entreprises chinoises cotées à Wall Street se sont précipitées à Hong Kong quand elles ont appris que la Maison blanche n’en voulait plus aux États-Unis.
Témoigne de ce rôle la persistance d’une population étrangère importante : sur les 7,5 millions d’habitants de la cité, il y aurait environ 25000 Français, une des plus importantes communautés françaises d’Asie.
Les entreprises apprécient Hong Kong parce qu’y règnent une loi claire, des juges indépendants, une réputation sans tache et un accès total aux marchés occidentaux. D’autres villes chinoises comme Shanghai et Shenzhen combinées sont plus grosses, mais elles n’ont pas de tribunaux insoupçonnables de partialité, une banque centrale indépendante, la libre circulation des capitaux avec l’Occident. C’est pourquoi Hongkong fait 9700 milliards de dollars de transactions transfrontalières.
Hong Kong est aussi le lieu où les entreprises chinoises peuvent trouver des dollars américains, la monnaie mondiale dominante. On y a changé 10 000 milliards de $ en 2019.
2/ Hong Kong – Shenzhen, dans les coulisses de la concurrence
En revanche, Hongkong a vu se développer à sa porte, avec son aide technique et le capital de la PRC, la région limitrophe où Shenzhen, Guangdong et d’autres villes voisines ont connu une croissance industrielle de plus en plus dans les hautes technologies, qui n’ont laissé au territoire qu’une activité de services.
Shenzhen, de l’autre côté de la frontière, est ainsi devenue une technopole incontournable, notamment en accueillant le siège de Huawei et celui du plus grand fabricant de drones mondial, DGI International.
Ainsi Hongkong est-elle passée depuis 1997 d’ 1/5ème du PIB de la PRC à 3%.
L’économie de Hongkong s’est redéployée dans les services. Elle est devenue plus dépendante du transport, même si le port de Hong Kong n’est plus ce qu’il était pour expédier des biens de la PRC, du tourisme, du commerce et des services financiers et d’assurances.
Pendant ce temps, le nombre d’entreprises multinationales dont les sièges régionaux se trouvent à HK a augmenté des 2/3, atteignant 1500, dont par exemple la société d’assurances AIA, bientôt suivie par Prudential, originaires de PRC !
HK pourrait continuer à jouer ce rôle si Xi Jinping n’avait souhaité mettre Hongkong au pas, au nom de l’intégrité du territoire chinois à laquelle est venue s’ajouter la sévère récession suscitée par la guerre commerciale trumpienne puis par le COVID19.
3/ La République populaire peut-elle se passer de Hongkong ?
Sans doute mais elle y perdrait beaucoup. Le paradoxe est que plus la PRC devient autocratique, plus elle a besoin d’un commerce ouvert à HK.
On ne construit en effet pas du jour au lendemain un centre de services aussi efficace que l’a été Hongkong jusqu’à présent et elle restera un centre important dans la finance mondiale.
Qu’on soit pourvu d’un fonds consacré à des investissements asiatiques, ou gérant une multinationale industrielle ou bancaire, on évaluera l’utilité de HK sur 3 critères.
– Comment Pékin appliquera la nouvelle loi sécuritaire ? Les juges seront-ils indépendants ou inféodés à Pékin ?
– Washington mettra-t-il fin au lien entre son dollar et celui de HK ?
– La PRC se contentera-elle de faire taire les défenseurs politiques de la démocratie ou s’attaquera-t-elle aux organes indépendants de HK, y compris ses tribunaux, la banque centrale, ses régulateurs et son régime comptable ?
La PRC ne s’engagera pas dans cette voie sans réfléchir aux conséquences. Elle sait ce qu’elle risque économiquement et combien ses plus grandes entreprises en dépendent, sans même évoquer le risque que court sa réputation. Mais elle pèse en sens inverse le risque pour le pouvoir du parti communiste que ferait courir un dérapage de la situation politique où elle voit la main de l’Amérique.
4/ Ce qui pousse Pékin à la manière forte
Outre son irritation devant l’activisme des manifestants pro-démocratie à Hong Kong, la République populaire est aussi poussée à l’agressivité par les attaques commerciales et autres de Trump et, derrière lui, d’une coalition disparate.
Xi Jinping doit donc utiliser la manière forte, comme ses prédécesseurs en 1989 à Tian An Men, suscitant ainsi les félicitations de ses amis comme le Laos.
Mais en procédant de la sorte, même si ce n’est pas, comme il y a 40 ans, dans un bain de sang, il fera perdre du temps à la PRC.
L’activité qu’assure Hongkong, porte ouverte entre l’Occident capitaliste et le monde communiste que représente la Chine, partira dans d’autres pays comme Singapour à l’indépendance politique et juridique, indispensable à la bonne marche des affaires, plus certaine.
La PRC survivra. Les grandes entreprises qui y ont des intérêts massifs feront le gros dos en se disant, comme ce businessman occidental, que la politique de brutalité touche aussi, sans coup férir, 1 million d’habitants du Xinjiang. En effet, la PRC produira bientôt 30% du PIB mondial…
Pourtant l’UE, comme le remarque François Godement (Asia Centre), y gagnera une posture défensive plus crédible aux yeux de la PRC que son absence de stratégie offensive face aux initiatives conquérantes (Routes de la soie, AIIB) de la PRC.
Il vaudrait donc mieux, selon beaucoup de commentateurs, qu’après l’élection d’un nouveau Président américain, une désescalade permette à Hongkong de continuer à jouer son rôle au service d’une relation Est-Ouest sans naïveté.
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