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HONG KONG: Tribune de Philippe Le Corre sur le face à face entre manifestants et autorités

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 02/07/2019
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L’irruption de manifestants dans le parlement de Hong Kong – le Legco ou Legislative Council – le 1er juillet, date anniversaire de la rétrocession du territoire à la Chine Populaire, marque une étape majeure dans la montée des tensions sur le territoire entre la population locale et les autorités de Pékin. Que va-t-il se passer désormais ? Les forces de l’ordre ont évacué les manifestants. La presse pro-Pékin soutient un retour à l’ordre immédiat. L’avenir du territoire et de la fameuse formule «Un pays deux systèmes» est plus que jamais en balance. Nous publions ici une chronique de l’expert Philippe Le Corre, de la Harvard Kennedy School.

 

Le défi de Hong Kong

 

A mi-parcours de son existence de région administrative spéciale, le territoire devra livrer d’autres batailles

 

Par Philippe Le Corre

 

La population de Hong Kong a montré, en quelques jours, qu’elle disposait de ressorts inégalés face à une administration pro-Pékin longtemps inflexible. A la suspension de la loi sur l’extradition ont succédé dimanche les « excuses » surfaites de la Cheffe de l’Exécutif, Carrie Lam, dont le zèle a outrepassé les désirs du parti communiste chinois.

 

Pourtant, les habitants de Hong Kong savent qu’ils doivent se préparer à d’autres batailles pour défendre leur autonomie dans les vingt-huit années qui leur restent de statut de « région administrative spéciale », selon l’accord sino-britannique entré en vigueur le 30 juin 1997.

 

Les lumières éteintes du 1er juillet 1997

 

Car à bien des égards, les lumières se sont éteintes sur la baie de Hong Kong cette nuit-là. La rétrocession à la Chine n’était pas, de la part des autochtones comme de la communauté internationale, un « pari vers une Chine démocratique » qui aurait mal tourné. Rares étaient ceux qui y croyaient, et les 7,5 millions de Hongkongais en particulier ne s’y étaient pas trompés. Ceux qui le pouvaient s’étaient préparés -passeports étrangers à l’appui – à un basculement inscrit dans l’histoire compliquée des relations sino-britanniques, anticipé par Margaret Thatcher dès 1984, puis confirmé par ses successeurs : la Chine mettrait fin à la date prévue, à l’humiliation des guerres de l’Opium qui virent au 19ème siècle une partie du territoire chinois occupé par des étrangers. Elle reprendrait contrôle de Hong Kong, avant d’en faire un instrument au service de ses intérêts.

 

Si l’on en juge par la marée humaine sans précédent qui a défié ces derniers jours les autorités – y compris celles de Pékin- les citoyens de Hong Kong ont quasiment réussi leur pari en confinant leur message à un sujet unique et imparable : le maintien de « l’état de droit » que leur confère la déclaration conjointe sino-britannique pendant un demi-siècle. Ce texte a valeur de traité comme [le/2101823/we-still-recognise-sino-british-joint-declaration-legally] l’a d’ailleurs confirmé la Chine en 2017. Il offre à l’ex-colonie des garanties d’autonomie, en particulier de son système judiciaire. La loi sur l’extradition qu’entendait faire passer à l’arraché le gouvernement de Hong Kong (ce qui semble aujourd’hui compromis) était une violation de ces principes. Donner la possibilité aux autorités locales d’extrader quiconque vers la Chine, c’est ouvrir la porte légalement à des actes extrajudiciaires comme il s’en est déjà produit ces dernières années, à l’image de l’arrestation de libraires, de journalistes ou d’éditeurs dont les activités déplaisent à Pékin. Or, on le sait, le système judiciaire chinois est entièrement soumis au bon vouloir du pouvoir politique.

 

De nombreux défis

 

Même si le texte est retiré définitivement, il reste de nombreux défis, et les Hongkongais le savent. Moins de vingt-cinq ans après la rétrocession, que reste-t-il en fait de la région administrative spéciale ? Une habitante de Hong Kong, dont on taira le nom, ne s’y est pas trompée : « on nous avait promis cinquante ans, mais c’est comme si le temps s’était accéléré et que nous arrivions déjà à la fin de notre période probatoire ». Avec l’évolution politique du régime de Pékin, les pro-consuls de cette dernière – C.Y. Leung hier, Carrie Lam aujourd’hui- ont multiplié les actes de zèle pour rester en place.

 

Des trois scénarios envisagés par cet auteur en 1997 (Hong Kong, plate-forme internationale ; Hong Kong, centre régional asiatique ; et Hong Kong, ville chinoise)[1], c’est la troisième qui a émergé. Il y a vingt ans, Hong Kong apparaissait encore comme une porte d’entrée vers la Chine, une cité dotée d’excellents services financiers, d’une fonction publique compétente, d’une bourse internationale de haute volée, d’une monnaie convertible (indexée sur le dollar contrairement à la devise chinoise), d’universités cotées, de diplômés bilingues, d’une presse libre et d’un système judiciaire indépendant. De toutes les raisons qui faisaient de Hong Kong une place si attrayante, notamment auprès des multinationales à la recherche d’un siège régional en Asie, il n’en restait plus guère qu’une poignée ces derniers mois, avec en tête l’indépendance de la justice qui devait permettre d’éviter l’opacité et la partialité des tribunaux chinois.

 

Système judiciaire bafoué

 

Or comme on l’a vu le système judiciaire a été bafoué à plusieurs reprises. La loi sur l’extradition, si elle voit le jour, mettrait tout bonnement fin à cette indépendance en permettant à la Chine de convoquer devant ses tribunaux qui elle entend, Chinois de Hong Kong ou expatriés, faisant fi des juges de ce territoire. De quoi jeter un froid dans la communauté internationale, et justifier la colère de la population.

 

Même si la population gagne cette bataille, elle sait qu’il lui sera difficile de gagner la guerre. Pour Pékin, l’idée d’un territoire autonome au sud de la Chine de l’autre côté de la frontière avec Shenzhen, version chinoise de la Silicon Valley, ne fait plus guère de sens à l’heure où le gouvernement central vante les mérites de la « grande baie », une région créée de toutes pièces, reliée par des ponts, autoroutes et voies ferroviaires comprenant Canton, la capitale de la province de Guangdong, mais aussi Shenzhen, Zhuhai, Shantou, Foshan, Macao et bien sûr Hong Kong. Pour un peu, on confondrait l’ex-colonie –qui fut pendant des années la dixième puissance commerciale du monde- avec ses voisines manufacturières lesquelles vécurent longtemps grâce aux contrats des entreprises hongkongaises. Ce qui n’est plus le cas.

 

L’enjeu de Shenzhen

 

Au centre de cette baie se trouve Shenzhen, ancien village de pêcheurs devenu zone économique spéciale dans les années 1980, et auquel le gouvernement a confié la tâche capitale de préparer l’économie chinoise au monde de demain, à travers les secteurs-clés que sont l’intelligence artificielle, la robotique, les télécommunications, le big data, etc… malgré tous ses efforts, il y a peu de chances pour que Hong Kong puisse espérer jouer un rôle moteur dans ce contexte. A moins bien sûr que la communauté internationale, longtemps fascinée par cet îlot pétri d’énergie économique, si attirant pour les entreprises et les marques du monde entier, ait enfin pris dimanche la mesure du défi auquel fait face Hong Kong, vingt-deux ans après la rétrocession.

 

Philippe Le Corre

 

Chercheur, spécialiste de la Chine et de Hong Kong. Harvard Kennedy School et Carnegie Endowment for International Peace.

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