Néolithique inférieur (Bacsonien) et Néolithique supérieur dans le Haut-Tonkin avec description des crânes du gisement de Lang-Cuom par Henri Mansuy et Madeleine Colani en 1925[1]. Ce nouvel épisode des explorations archéologiques d’Henri Mansuy donne la description de nouveaux matériaux: ossements humains, outillages lithiques, etc. provenant de dépôts des grottes du massif calcaire de Bac-son et de la région de Cao-Bang, au Tonkin[2].
Station de Lang-Cuom
Le vaste abri sous roche de Lang-Cuom, à 12 kilomètres Ouest, 13° degré Nord de Van-Linh, feuille de Pho-Binh-Gia, est creusé dans un escarpement calcaire faisant face à l’Est, à la partie élargie, en cet endroit, de l’étroite vallée du Souei-An. Cette région S-E du massif de Bac-son était peu praticable. Il n’était possible de parvenir à la station de Lang-Cuom, en bordure d’une fenêtre ouverte au milieu des calcaires et cultivée sommairement par des indigènes, que par des pistes parfois peu accessibles et en franchissant des passes de calcaires karstiques assez rudes. L’abri sous roche se trouvait exactement au S.-S.-E., à 1500 mètres du village de Lang-Cuom, entamant une falaise de direction N.-S., à quelques mètres d’un cours d’eau. Sur site, l’accès direct de cette station préhistorique était facile, son sol ne dépassait que de peu le niveau des cultures.
Au moment de la découverte, les couches archéologiques sépulcrales, déposées sur le substratum rocheux, atteignent une épaisseur de 3 m 30 dans l’angle S-E. Lorsque des amas rocheux ne l’ont pas protégée, elle a été désagrégée peu à peu. Plusieurs niveaux archéologiques ont été identifiés.
Entre 80 et 100 squelettes humains ont été découverts, très fragmentés avec des outils lithiques. Les conditions de ce gisement montrent la contemporanéité des restes humains et des instruments contenus dans le dépôt préhistorique.
Le gisement de Lang-Cuom n’a donné aucun instrument de style paléolithique comparable à ceux de Kéo-Phay, de Giouc-Giao, etc. et les vestiges sont essentiellement des haches au tranchant poli de type bacsonien.
De nombreuses autres grottes furent encore visitées et fouillées :
– station de Lang-Rang : abri sous roche ;
– grotte Hot ;
– station de Han-Moen avec des instruments caractéristiques du premier Néolithique ;
– station de Dong-Lay : (grande grotte) – grande terrasse à deux étages avec un atelier de tailleurs de pierre dès le début des premiers temps néolithiques ;
– station de Dong-Lay Ouest à 100 mètres : découvert d’un maxillaire supérieur comparable à celui recueilli dans la caverne de Minh-Lé montre une projection alvéolaire excessive. Les proportions des parties conservées de ces deux mandibules, de Minh-Lé et de Dong-Lay, sont presque identiques[3] ;
– station de Dong-Lay Est : vaste abri sous roche de grande dimension 34 m avec des cavités en cavernes ;
– station de Chuc-Quan : grotte dite de Na-Lua à 1 km du village de Chuc-Quan ;
– station de Lang-Loi ;
– station de Na-Moun : comme souvent, cette grotte surplombe de peu un petit cours d’eau non éloigné. Ici, outillages paléolithique et néolithique sont présents. Un « coup de poing » unifacial y fut découvert. Cet outil subelliptique, peut être regardé comme le type le plus parfait des pointes larges, présentant de plus la particularité presque exclusive aux instruments de facture pléistocène de l’Extrême-Orient méridional, c’est-à-dire la simplification de travail obtenue en conservant la surface érodée de la matrice de laquelle l’instrument est détaché, pour former l’une des faces de cet instrument. Le « coup de poing » de Na-Moun, montre la plus grande ressemblance, dans toutes ses proportions, avec l’instrument plus petit provenant de Kéo-Phay[4]. Ces pièces elliptiques ou subelliptiques, de faciès paléolithique, ont été recueillies en assez grand nombre, observées parfois en juxtaposition avec un Néolithique commençant. L’un des tranchants seul est poli. Il caractérise une phase de l’évolution de cet outillage lithique, en Extrême-Orient. Il convient de désigner sous le nom de « Bacsonien ;», conformément à la terminologie usitée en Géologie et Préhistoire, en adjectivant un nom de localité ou de région (c’est cette terminologie de Bacsonien que Henri Mansuy établit) ;
– station de Na-Con : kilomètre 8 et 9 de la rue de Nguyên-Binh à Cao-Bang ;
– station de Loung-Yem et Ban-Hau : à quelques kilomètres de Ba-Xa se trouve le cirque de Loung-Yem (sur la carte au 1/ 100 000, village de Lang-Man) ;
– station déjà fouillée et trop bouleversée pour révéler des nouveaux objets intéressants mais elle aurait sans doute pu révéler toute la succession du Néolithique ;
– station de Ba-Xa : c’est une grotte d’accès difficile en haut d’un pic à 108 m. Elle a livré exclusivement du Néolithique supérieur, similaire à celui du « kjökkenmödding » de Somrong-Sen. Le matériel de la cavité est en phtanite montrant une spécialisation de l’outillage, associé à de nombreuses parures de coquillages préparés pour recevoir des cordelettes afin que les coquillages soient enfilés après souvent les avoir cassés au bout du cône. Perles discoïdes très nombreuses.
Selon Jacques Fromaget, la découverte d’un instrument amygdaloïde, sous-jacent au néolithique supérieur, en Annam interroge.
Les recherches effectuées, dans un grand nombre de cavernes des massifs calcaires du Tonkin, permettent de confirmer que le travail de la pierre a suivi une progression, non seulement avec une facture achevée des instruments, mais également avec une plus grande variété de matériaux, mais aussi par un choix plus étendu des matériaux propres à confectionner ces instruments.
La chronologie des âges de la pierre ne présente pas la succession ordinairement observée en Eurasie. Rien ne rappelle non plus la série mésolithique. Ne sont pas retrouvées les phases de transition industrielle de la fin du Paléolithique et du commencement du Néolithique. Dans les couches les plus anciennes du Bacsonien[5], se rencontrent, en juxtaposition, des instruments de style paléolithique primitif, rappelant les pièces caractéristiques du Pléistocène inférieur européen, avec des « haches » rudimentaires, parfois au contour naturel repris par retouches plus ou moins étendues. Toutes n’étant polies qu’à l’une des extrémités seulement, cet outillage Bacsonien apparaît comme une persistance de l’une des industries les plus archaïque de la pierre taillée jusqu’à l’apparition du polissage. La présence d’instruments elliptiques et amygdaloïdes trouvés en mélange avec ces vestiges est à l’origine de l’hypothèse d’une substitution par migration brusque entre le Néolithique au Paléolithique.
Fréquence et richesse des stations préhistoriques
Il apparaît, d’après ces observations, que la fréquence et la richesse des stations préhistoriques, au Tonkin, demeurent subordonnées à la proximité des gîtes de galets de rivière. L’industrie lithique du Bacsonien ne devait nécessiter que des échanges localisés dans le Nord. Par contre les coquilles marines, de genre Cypraea, ne provenaient très vraisemblablement que du Sud de l’Indochine, alors que ces objets ont été retrouvé dans plusieurs gisements sur les limites nord et sud du massif de Bac-son.
Dans les colonnes du BEFEO n° 25 de 1925 (pages 477-480) Charles Robequain écrit : « La préhistoire indochinoise a connu, dans ces dernières années, une belle fortune ; des fouilles récentes dans le massif tonkinois du Bac-son permettent à M. Mansuy, le savant animateur de ces études passionnantes, de confirmer et même d’étendre ses conclusions antérieures. Ainsi nous pouvons maintenant jalonner, à travers toute l’Indochine française, l’expansion de cette culture (néolithique supérieur), qui dut précéder de peu l’âge du bronze. Reste à découvrir si elle vint du Nord ou du Sud et quel fut le sens de sa propagation. … Certaines stations comme celle de Lang-Cuom, une des plus fructueuse du Bac-son, révèlent, dans une superposition logique, le perfectionnement du polissage, d’abord limité au tranchant, puis s’étendant peu à peu sur les faces. En tout cas, il n’est pas encore permis de remonter au-delà du néolithique ; la pierre taillée s’accompagne toujours d’outils présentant des traces de polissage ; on ne peut pas, en l’état actuel des recherches, affirmer que l’Indochine a connu un stade paléolithique … Il serait puéril d’exiger dès maintenant à ce vaste problème des origines humaines en Indochine une solution péremptoire. On ne peut qu’admirer les résultats déjà acquis par M. Mansuy et ses collaborateurs, et souhaiter qu’ils soient une base solide à leurs travaux futurs. »
Didier Mansuy
[1] Mémoires du Service Géologique de l’Indochine. Volume XII. Fasc. III. Contribution à l’étude de la Préhistoire de l’Indochine et VII. Néolithique inférieur (Basconien) et Néolithique supérieur dans le Haut-Tonkin. (Dernières recherches). Avec la description des crânes du gisement de Lang-Cuom par Henri Mansuy et Madeleine Colani, 1925.
[2] Tous les gisements préhistoriques étudiés dans le présent travail : Lang-Cuom, Lang-Rang, Han-Moun, Dong-Lay, Chuc-Quan, Lang-Loi, Na-Moun, Ba-Xa, Lung-Yem, Ban-Hau, Na-Con, etc., ont été découverts et explorés par mademoiselle Madeleine Colani et sa sœur Eléonore.
[3] H. Mansuy. Contribution à l’histoire de la préhistoire d e l’Indochine. V. Nouvelles découvertes dans les cavernes du massif calcaire du Bac-son (Tonkin). Mem. Serv. Géol. de l’Indcohine. Vol. XII. Fasc. I. 1925.
[4] H. Mansuy. Contribution à l’étude de la Préhistoire de l’Indochine. VI. Stations préhistorique de Kéo-Phay (suite), de Khac-Kiem (suite), de Lai-Ta et de bang-Mac, dans le massif calcaire du Bac-son (Tonkin), pl. I, fig. 2a-c. Mem. Serv. Géol. de l’Indochine. Vol. XII. Fasc. II. 1925.
[5] « Bacsonien » ou Néolithique inférieur, du massif calcaire du Bac-son où les découvertes les plus importantes ont été faites.