Nous republions plusieurs chroniques littéraires de notre ami historien et libraire François Doré. Celle-ci redémarre notre série…
Il y en a vingt-deux, vingt-deux petits contes, tous plus délicieux les uns que les autres. Et puis il y a la brousse, ou plutôt la montagne du Nord Tonkin. Décor majestueux pour autant de vies oubliées. Une fois encore, un auteur inconnu pour des livres introuvables.
Si les renseignements glanés sur Internet sont corrects, Raphaël Jean Léon Foropon Françoye naît à St André de Cubzac en 1884.
Après l’Ecole militaire de Rochefort, il rejoint l’Indochine dès 1912.A l’exception d’une parenthèse glorieuse pendant la Grande Guerre, sa carrière militaire aura pour cadre essentiel le Tonkin, dont il ne reviendra qu’en 1947, après avoir fait partie de la Mission militaire de Jean Sainteny.
Après avoir quitté l’armée au début des années trente, il restera dans ses chères montagnes du Haut-Tonkin et sera nommé résident du cercle de Pa-Kha, à la frontière chinoise, dont il rédigera la monographie. C’est à Hanoï qu’il fera publier ses deux oeuvres littéraires, un volume de poèmes en 1933, Sous l’œil du Bouddha, et ses Petits contes de la brousse en 1935. Une suite de petites vignettes qui pour la plupart ont la splendeur des montagnes de la Haute Région pour décor, région rarement présentée dans la littérature indochinoise.
Des textes de trois ou quatre pages, qui nous racontent la vie des petits postes militaires égrenés tout au long de la frontière chinoise, « blockhaus de pierre, dont les créneaux semblent des yeux étranges, jamais clos, obstinément fixés sur la Chine proche ».
Spectacle inoubliable de ces marchés de montagne où tous les clans, toutes les races se mélangent dans un tourbillon de bruits et d’odeurs, et l’étincelante mosaïque des couleurs des costumes traditionnels : les Tays, les Mans, les Méos, mais aussi les Thos ou encore les Chinois, tous plus ou moins trafiquants d’opium.
Au milieu de tous, le chef du Poste en son costume blanc, le chef respecté et craint, celui qui est le gage de la paix nouvelle qui règne dans ces montagnes. Oublié par sa hiérarchie, souffrant de son total isolement, il ne trouve bien souvent pour meubler sa solitude que les jolies petites montagnardes « qui lui offrent la merveille de leur corps juvénile, tendent à sa soif de baisers l’hibiscus de leurs lèvres et tressent pour lui l’ensorcelante guirlande de leurs caresses ».
L’auteur ne s’en cache pas et nous annonce la couleur : « J’ai toujours préféré à la Vénus Callipyge, ces œuvres exquises des coroplastes tanagréens dont les filles d’Annam, qu’on le veuille ou non, sont très souvent d’admirables reproductions ».
Et ce sont elles qui vont mener le jeu dans nombre de ces historiettes : la coquette et jolie Nong Lam, dont le mari, le riche commerçant chinois Phong-Ky, ne survivra pas à la nuit de noces ; ou encore la rusée Sao-La, la plus désirée des jeunes femmes de Sop Teck, à qui son gros benêt de mari n’arrive pas à faire d’enfant.
Des tranches de vies où les rires et les pleurs se mêlent pour nous faire encore rêver d’un monde qui n’existe plus.
François Doré