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Nous publions ici des extraits de l’article consacré à Mayrena par le site Retronews que nous vous recommandons chaudement: www.retronews.fr
En 1888, l’aventurier David de Mayréna se fit élire roi des Sedangs, en Indochine, sous le nom de Marie Ier. Ne parvenant pas à faire reconnaître son « royaume » par la France, il mourut seul sur une île malaise deux ans plus tard.
Son histoire semble tout droit sortie d’un roman de Conrad ou de la nouvelle de Kipling L’Homme qui voulut être roi. Comment Marie-Charles David de Mayréna (1842-1890), dit David de Mayréna, parvint-il à devenir en 1888 roi des Sedangs, dans l’actuel Vietnam, sous le nom de Marie Ier ?
Séducteur, escroc, journaliste, ex-officier d’un régiment de spahis et homme d’affaires douteux, cet habitué des Grands Boulevards n’est pas tout à fait un inconnu lorsqu’il se lance dans l’expédition qui couronnera sa carrière d’aventurier.
Une réputation de duelliste
Né à Toulon, l’ancien militaire, qui servit en Cochinchine de 1863 à 1868, s’est d’abord fait une réputation de duelliste, ce qui lui valut les honneurs de la presse. En 1880, Gil-Blas fait par exemple son portrait dans sa rubrique « Les hommes d’épées » : « D’une taille très au-dessus de la moyenne, Mayréna, dont la figure est un peu noircie par le hâle, est un homme des plus sympathiques ».
Neuf ans plus tôt, en 1871, Mayréna avait aussi publié ses Souvenirs de Cochinchine, récit très romancé de ses années asiatiques.
L’Asie : c’est là qu’il retourne en 1885, ayant obtenu des fonds du baron Seillière pour mener une expédition scientifique en Indonésie. Mais ce bonimenteur a un autre projet, bien plus grandiose. Désormais installé à Saïgon, il veut s’introduire dans les hauts plateaux du pays Moï, en Indochine française, pour y fédérer les peuples insoumis qui s’y livrent à des guerres incessantes. La région est alors convoitée par l’Angleterre, l’Allemagne et le Siam.
A la tête d’une petite armée
En 1888, mandé secrètement par le gouverneur général d’Indochine et à la tête d’une petite armée, il s’élance dans ces montagnes où aucun Français n’ose se risquer et où vivent des peuples animistes, vivant de la chasse. En six mois, son audace et son bagout lui gagnent les faveurs des différentes tribus de la région, qu’il parvient à regrouper.
Mayréna, qui porte une cotte de mailles sous son uniforme (ce qui le protège des attaques aux fléchettes de curare et lui donne une réputation de demi-dieu), réussit même à conquérir la vaste tribu des Sedangs, par qui il se fait élire roi sous le nom de Marie Ier.
Dès qu’elle est connue en France, son initiative suscite de multiples articles mi-admiratifs, mi-goguenards. Le Rappel écrit le 4 septembre 1888 :
« La royauté, en baisse dans l’Europe civilisée et dans l’Amérique novatrice, se réfugie dans les contrées étranges où l’aurore de l’humanité s’est levée, où semble s’accomplir son coucher. Voilà qu’un trône nouveau se lève au Cambodge [sic]. Un trône inattendu occupé par un roi bien imprévu : notre camarade Mayréna […].
Liberté de religions
Après s’être proclamé roi des Sedangs et s’être attribué tous les pouvoirs, ce qui simplifiait grandement les rapports entre le nouveau roi et son peuple, Mayréna s’est hâté de déclarer que toutes les religions étaient libres dans son royaume. Voilà donc la question de la séparation des Églises et de l’État résolue. »
Marie Ier prend très au sérieux ses nouvelles fonctions : il dote son État d’une constitution, d’un drapeau, d’une devise (« Jamais cédant, toujours s’aidant », un jeu de mots sur le nom « Sedang »), d’une armée et d’une administration, et interdit l’esclavage et les sacrifices humains.
Protectorat
Surtout, il espère faire reconnaître son « royaume » par la France et en faire un protectorat dont il serait le maître. En 1889, il retourne à Paris pour rencontrer le président Sadi Carnot et faire parade de son nouveau statut de monarque. Le Gaulois l’interviewe le 20 février :
« Comment ça va-t-il, mon vieux ? Ravi de te rencontrer ! Telle était l’exclamation que poussait devant moi un grand gaillard, merveilleusement bâti, musclé comme un athlète, à la physionomie bronzée, vigoureuse, respirant l’intelligence et l’énergie […].
– Quelle langue parle le Sedang ?
– L’indou, un indou relativement facile, si ce n’était ces diables d’h aspirés qui sont effroyables. Les Sedangs sont environ quarante mille hommes, sans compter les esclaves. Le pays est d’une richesse extrême ; les hommes y sont d’instincts guerriers, mais doux et honnêtes. Ils sont monogames et leur religion est le fétichisme pour des idoles. »
Mayréna explique ensuite son projet :
« – Je ne demande rien à mon pays, pas même l’appui moral. Je lui demande simplement de ne pas me barrer le chemin et, sans engager en quoi que ce soit sa responsabilité, de me laisser fonder un pays Sedang, véritable royaume que j’étendrai aux dépens du roi de Siam ou des petits royaume voisins.
Une fois que le royaume sera florissant, solide, édifié sur des bases vigoureuses, riche grâce à l’or anglais et aux productions de nos mines, j’apporterai à la France cette colonie toute faite, mettant d’ores et déjà à sa disposition dix mille guerriers qui pourront, sous mes ordres, se transporter en Cochinchine, en Siam ou en Annam, suivant les complications qui pourraient se produire ou le besoin que pourrait en avoir la France. »
Certains journaux le soutiennent, jugeant son aventure des plus romantiques. Apprenant que les autorités françaises rechignent à reconnaître sa souveraineté, La Presse commente : « Voilà comment en France on accueille les propositions destinées à agrandir l’influence de notre patrie, qu’il s’agisse du Sénégal ou de la Cochinchine. »
L’heure des doutes
Mais les affirmations de Mayréna vont rapidement être mis en doute par d’autres publications. En mars, un correspondant à Haïphong (actuel Vietnam) du journal Paris rapporte le témoignage du père Guerlach, un missionnaire qui a suivi Mayréna dans son expédition en croyant avoir affaire à un envoyé officiel de la France. Guerlach dénonce les prétentions du récent souverain :
« Il prétend disposer de dix mille guerriers, or, les villages qui ont signé la Constitution ont une population totale de douze mille personnes — chiffre maximum. — On est loin de 10,000 guerriers […]. Il donne la description du pays et de ses habitants ; ce qu’il y a de vrai là-dedans a été copié sur les ouvrages des missionnaires. Il parle de fouilles, il n’en a jamais fait. »
En mai, Le Temps remet en cause lui aussi les vantardises de Mayréna :
« On a été très étonné en Extrême-Orient du bruit qu’a fait en France l’histoire du pseudo-royaume des Sédangs, et voici ce que nous écrit à ce sujet, de Hanoï, un homme très versé dans les questions indochinoises :
« […] Le prétendu royaume des Sédangs est un tout petit coin de territoire annamite qui compte, femmes et enfants compris, de 10,000 à 12,000 habitants. Le pays est pauvre et très insalubre. Depuis le récent voyage de celui de nos compatriotes qui s’est fait proclamer roi par les Sédangs, la tribu s’est désagrégée ; quelques villages se sont groupés avec ceux des tribus voisines; les autres se sont confédérés […].
Aujourd’hui, le pseudo-royaume est disloqué, et son souverain trouverait un accueil des plus froids s’il se présentait devant ceux qui d’après lui, l’ont élevé au pouvoir suprême, avec tant d’enthousiasme. Il en est même qui disent qu’il serait infailliblement « fléché » le premier jour si, contre toute vraisemblance, il tentait l’aventure. »
Le journal dit vrai : pendant que Mayréna est occupé à Paris, l’administration française en Indochine a décidé de l’évincer et s’attelle à démanteler son « royaume ». L’aventurier tente alors de retourner sur place pour le reconquérir. En vain : à Singapour, ses armes sont confisquées et il apprend qu’il est interdit de séjour en Indochine.
Mayréna se retire alors dans une île de Malaisie, où il finit par mourir, seul, d’une morsure de serpent, le 11 novembre 1890. « Ainsi finit l’aventureuse odyssée de notre compatriote », commentera Le Figaro en recevant la confirmation de sa mort.
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