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INDONÉSIE – CHRONIQUE : Une puissance régionale en train de s’affirmer

Date de publication : 28/04/2024
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capitale Nusantara

 

Une chronique asiatique d’Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal.

 

Que dire de l’Indonésie, ce géant d’Asie du Sud-Est ?

 

C’est d’abord son économie qui connaît une forte croissance : ses dirigeants ambitionnent qu’elle fasse partie des 5 premières économies du monde pour le centenaire de son indépendance en 2045. Cependant, sa grande taille ne diminue pas les problèmes – il ne suffira sans doute pas de transférer à Nusantara la capitale actuellement à Jakarta, régulièrement inondée, pour les résoudre.

 

Parmi ceux-ci, le changement climatique l’affecte comme tous et son comportement illustre les contradictions, que beaucoup de pays connaissent, entre intérêts économiques et lutte contre les effets des accidents climatiques et plus généralement des atteintes à l’environnement.

 

Mais l’évolution est aussi politique comme l’illustre le fait même qu’il y ait une élection présidentielle avec plusieurs candidats, même si le Président élu soulève des critiques.

 

Il faut donc évoquer d’abord l’économie puisque c’est elle qui motive en premier les autres puissances, sans ignorer qu’elle est aussi très politique.

 

Elle repose en partie sur les nouvelles technologies : alors qu’une révolution est en cours sur la voiture électrique, les entreprises chinoises sont en train de prendre la tête sur un marché jusqu’à présent dominé par les fabricants japonais.

 

La diplomatie chinoise de la « green tech », favorisée par les exigences de décarbonation de la production, pourrait bien l’emporter sur les disputes territoriales pourtant nombreuses en mer de Chine du Sud.

 

Mais d’autres puissances régionales montent. Le 10 décembre dernier Vietjet a lancé deux nouvelles lignes internationales reliant Hanoï à Jakarta et Phu Quôc à Busan (République de Corée).

 

Concrètement, les vols entre Hanoï et Jakarta sont opérés avec quatre vols aller-retour par semaine et ceux entre Phu Quôc et Busan avec sept allers-retours par semaine. Voilà donc un « hub » régional en train de se constituer autour de Jakarta grâce à une compagnie « low cost » vietnamienne et ainsi une concurrence avec Singapour, qui a joué ce rôle jusqu’à présent, mais à un coût plus élevé.

 

Autre produit important, le nickel dont le Monde du 26 février dernier nous apprend que le prix du nickel, produit en Nouvelle Calédonie depuis des lustres, et essentiel à la transition énergétique et notamment aux véhicules électriques – les revoilà – est victime de la chute conjoncturelle des cours de ce métal mais aussi d’un manque de compétitivité du site calédonien et de la concurrence de l’Indonésie, terre d’investissement de la Chine.

 

Jakarta pourrait ainsi disposer dans cinq ans des trois quarts du nickel de la meilleure qualité. C’est évidemment à l’État que revient la charge d’accompagner financièrement Eramet.

 

En 2022-2023, il a suivi les recommandations du rapport de Philippe Varin, ex-président de PSA, d’Areva et de France Industrie, sur les métaux critiques (nickel, lithium, cobalt) et les aimants permanents de terres rares. Le gouvernement français a créé un observatoire du secteur et surtout un fonds d’investissement, doté à terme de 2 milliards d’euros de capitaux publics et privés, censé sécuriser l’approvisionnement des industries dépendantes de ces ressources.

 

L’Indonésie, dans sa recherche de puissance, cherche à se doter d’une nouvelle capitale : Nusantara.

 

C’est l’occasion d’aller chercher au Japon des investissements « verts » puisque la nouvelle capitale sera écologique. Nikkei du 15 décembre dernier indique ainsi que Michael Widjaja, Président du groupe Sinar Mas Land, gros promoteur immobilier impliqué dans le projet, s’est exprimé devant une assemblée de patrons d’entreprises du Japon et de l’Association of Southeast Asian Nations (ASEAN), le but étant de « vendre » Nusantara qui se heurte à des réticences.

 

Certes, l’actuel Président « Jokowi », bientôt sorti de charge, veut déménager juste avant la fin de son mandat, le 17 août, dans un nouveau palais présidentiel et créer ainsi le fait accompli. Quelques autres équipements spectaculaires comme un hôtel 5 étoiles devraient également ouvrir en même temps.

 

On compte sur le secteur privé pour couvrir 80 % du coût du projet, mais il traîne les pieds : veut-on que la nouvelle capitale soit uniquement un centre administratif et maintenir Jakarta dans sa position de centre d’affaires ? et décentraliser, est-ce sans risque ?

 

Aussi Jokowi évoque-t-il moins cette possibilité car les entreprises sont peu enclines à investir dans Nusantara s’il s’agit d’ouvrir un deuxième siège. M. Widjaja compte sur les entreprises japonaises pour continuer à contribuer au développement de la nouvelle capitale comme elles l’ont fait dans le passé à travers l’Indonésie.

 

Or l’enjeu est aussi géopolitique : si l’argent chinois se substitue à celui du Japon, ce sera un facteur d’influence pour la Chine. Toujours sur Nusantara, cet article emprunte quelques extraits au beau reportage du Monde le 20 avril dernier. « Elle affiche un objectif de neutralité carbone en 2045, mais certains doutent que ces promesses aboutissent. » Chantier gigantesque, enfant chéri du Président Jokowi, elle doit obéir à un « master plan » de conservation de la biodiversité alors même que celle-ci est mise à mal par des décennies d’exploitation de l’île de Kalimantan, où elle est localisée. « Imitant la forêt tropicale » selon un de ses planificateurs, elle est censée mettre en œuvre des technologies avancées dans le domaine de la conservation et de la production d’énergie. Reste à trouver le financement… et attendre 2045 pour savoir si l’objectif est atteint.

 

L’Indonésie aspire à en être membre, l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE), dont le siège est à Paris est un laboratoire où sont admis un petit nombre de pays développés (38 membres actuellement), dans lequel sont élaborés des outils de gouvernance économique qui ne peuvent encore aboutir dans d’autres instances. Un récent webinaire pesait les intérêts pour ce pays, officiellement candidat depuis juillet 2023, de faire partie de l’organisation. Avantages : l’Indonésie aura à rehausser, à travers la rigoureuse procédure d’adhésion, sa crédibilité économique et sociale internationale. Défis à relever : elle en aura en politique étrangère, en particulier vis à vis de certaines instances comme les BRICS (Brésil Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Y gagnera-t-elle ? Notons qu’aucun de ceux-ci n’est membre, même si en tant que « partenaires-clé » ils sont associés à des groupes de travail de l’OCDE.

 

Partenariat avec la France

 

Les pays comme la France qui ont obtenu de longue date des positions dominantes sur le marché rencontrent de la part de l’Indonésie une concurrence qui a déjà été évoquée ci-dessus à propos de l’étain et porte également sur des produits élaborés. On apprend ainsi par « France-Asie » que l’Indonésie a inauguré début octobre 2023 sa première ligne de Train à Grande Vitesse, inédit en Asie du Sud-Est. C’est l’aboutissement d’un projet de plusieurs milliards, lancé en 2016, financé par la Chine et dont les rames ont été fabriquées en Chine. Ce train relie la capitale Jakarta à Bandung en 45 minutes au lieu de 3 heures.

 

Mais dans un domaine de haute technologie comme l’industrie d’armement, à condition d’accepter des “offsets” (compensations), les constructeurs français peuvent emporter des marchés. Ainsi Naval Group a annoncé récemment la vente à l’archipel de deux sous-marins Scorpène, dont 30 % de la valeur du contrat reviendra au chantier local.

 

Le secteur de la défense a ceci de paradoxal qu’il s’agit d’une industrie de souveraineté où, pour arracher des contrats, les pays exportateurs doivent consentir des transferts de technologie et de la fabrication locale.

 

Le pays est devenu une terre de conquête pour l’industrie française d’armement. En 2022, Dassault Aviation y a signé la vente de 42 Rafale et de leur armement pour plus de 7 milliards d’euros, et Airbus la livraison de deux avions A400M. Un an plus tard, en 2023, Thalès vendait 13 radars de pointe GM 400 de surveillance aérienne avec, là encore, des transferts et une partie de fabrication locale.

 

Dans ce pays comme dans tant d’autres, le développement économique s’accompagne de graves atteintes à l’environnement.

 

Mines de charbon dont l’Indonésie est le premier exportateur mondial (+20% en 2022) et la Chine le principal acheteur, extraction du nickel, produit essentiel dans l’électrification, culture intensive pour produire de l’huile de palme dont elle est aussi le premier exportateur mondial, au prix d’une déforestation massive au détriment de la forêt primaire et que le futur Président ne diminuera pas s’il développe les cultures énergétiques comme il l’a annoncé durant la campagne. L’Indonésie est pourtant particulièrement victime du réchauffement climatique et autres atteintes à l’environnement comme l’invasion du plastique : l’Asie du Sud-Est est le principal dépotoir maritime de la planète.

 

Qu’il s’agisse d’équipements de souveraineté ou de lutte contre la pollution, on attend du pouvoir politique qu’il prenne les bonnes décisions. C’est cette année le cas de l’Indonésie avec le processus électoral présidentiel qui vient de s’y dérouler.

 

M. LaForge, analyste politique libéral aux États-Unis, note que “la transformation de l’Indonésie en démocratie stable au cours du dernier quart de siècle était aussi improbable qu’elle a été remarquable, la crise financière de 1998 mettant fin à la dictature durant 32 ans de Suharto.”

 

Le vainqueur avec 58% des voix dès le premier tour de scrutin le 14 mars est l’ex-général Prabowo Subianto, 72 ans, et gendre du dictateur Suharto, impliqué dans l’enlèvement et la disparition d’opposants à ce dernier ainsi que, en tant que militaire, les massacres (100 à 300 000 morts) contre les habitants de Timor-Leste qui se battait pour l’indépendance (cf le site yvescarmona.fr, « Un si petit pays » 22 mars 2023.)

 

Pour cimenter son succès électoral, il a pris comme co-listier le fils de son populaire prédécesseur “Joko” âgé de 36 ans, perpétuant le phénomène dynastique dont il est lui-même un exemple, venant d’une famille d’élite qui lui a permis de faire l’essentiel de ses études à Singapour, en Suisse et en Angleterre, et au retour en Indonésie de faire particulièrement vite son chemin dans l’armée dont on connaît la puissance dans l’économie et la société.

 

Mais il lui faudra aussi satisfaire les exigences en matière sociale d’une population jeune et souvent turbulente. Un sondage effectué en septembre 2023 indiquait que le motif de préoccupation le plus vivace chez les électeurs était l’inflation (30%) suivie du chômage (19%).

 

Quels seront les choix du futur Président en matière de politique étrangère ? Il n’a pas encore pris ses fonctions (ce sera fait en octobre 2024), mais il est à noter qu’à peine élu, M. Subianto a réservé à la Chine et à Xi Jinping son premier déplacement outre-mer.

 

Conclusion personnelle

 

L’Indonésie, qui a connu depuis l’indépendance, plusieurs épisodes sanglants, vient de traverser sans dommages un processus électoral. Les démocraties ne sont pas si nombreuses en Asie du Sud-Est qu’il faille faire la fine bouche devant son vainqueur dont le passé est certes fortement entaché, mais qui a 72 ans et cherche plutôt à offrir l’image d’un grand-père patelin.

 

D’autre part, les enjeux de développement et de préservation de l’environnement, ainsi que la relation avec la Chine constituent désormais des enjeux primordiaux pour cet immense pays où la France a aussi un rôle à jouer.

 

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