Plus de deux décennies après le renversement de la dictature du Nouvel Ordre de Suharto en 1998, l’Indonésie est toujours contrôlée par une oligarchie et pratiquement les mêmes vieilles élites liées à l’époque de Suharto affirme un rapport du think tank «International Politics and Society». En dépit de nombreuses critiques, les forces armées nationales et la police nationale continuent de jouer un rôle accru dans la vie civile. Et ce, malgré la volonté de réformes du président Joko Widodo, alias Jokowi.
Selon ce rapport de IPS, la militarisation et la remilitarisation de la politique indonésienne, ainsi qu’un rôle accru de l’armée et de la police dans l’exécutif et le législatif, interviennent aux dépens de l’actuel président Joko Widodo (connu sous le nom de Jokowi).
Toujours selon IPS, Jokowi a travaillé dur pendant ses deux premières années au pouvoir pour obtenir un soutien politique avec une coalition au sein du gouvernement et de la Chambre des représentants, qui est composée de l’ancienne oligarchie. Il était conscient qu’il avait besoin du soutien de diverses factions politiques. Mais le résultat est que l’oligarchie, les anciennes élites, les militaires et les ex-militaires restent dominants dans la politique indonésienne, risquant de faire reculer l’ère Suharto, où les cercles militaires contrôlaient pratiquement toutes les décisions politiques stratégiques.
La situation politique actuelle
Les manifestations actuelles contre la loi sur le marché du travail dite «omnibus» répondent à la volonté de Jokowi d’attirer davantage d’investissements étrangers. Comme le Nouvel Ordre de Suharto (l’ancien dictateur militaire) dans le passé, Jokowi tente, selon IPS, d’anéantir les droits des travailleurs et de supprimer les protections environnementales. La loi omnibus sert à privatiser des biens et des services publics tels que l’électricité et l’éducation. Il est clair que cette loi aura un impact dévastateur sur les familles et les ménages, car ses dispositions réduiront les salaires, supprimeront d’importantes dispositions relatives aux congés de maladie et d’autres protections, et compromettront la sécurité de l’emploi. La Confédération syndicale internationale (CSI) a dénoncé que “l’ampleur, la complexité et le contenu de la loi constituent une violation des responsabilités de l’Indonésie en vertu du droit international des droits de l’homme”.
Dès le début, la loi omnibus a suscité des critiques de la part du grand public, en raison du manque de transparence du gouvernement dans son élaboration. En août 2020, la Commission nationale des droits de l’homme a recommandé que les délibérations sur la loi omnibus ne soient pas poursuivies, dans le cadre du respect, de la protection et de la défense des droits de l’homme pour tout le peuple indonésien. Plus tôt, en mars 2020, un certain nombre d’organisations de la société civile ont également exhorté la Chambre et le gouvernement à annuler les délibérations sur le projet de loi, en gardant à l’esprit qu’en pleine pandémie de Covid-19, il ne serait pas en mesure de délibérer efficacement sur la législation.
Un tournant pour Jokowi ?
En entrant dans la politique nationale en 2014, Jokowi était un nouveau visage sur la scène politique indonésienne, dont on pensait qu’il n’avait aucun lien avec les péchés politiques passés de l’époque de la dictature. Au cours de sa campagne électorale présidentielle contre son candidat rival, l’ancien général militaire Prabowo Subianto (la première en 2014 et la seconde en 2019), Jokowi a promis de mettre fin aux graves violations des droits de l’homme commises par le passé. Grâce à cette promesse, il a obtenu, sans surprise, plus de soutien que son adversaire – surtout en 2014 puisqu’il a affronté Prabowo qui, entre autres, était responsable des violations des droits de l’homme commises dans le passé. Mais aujourd’hui, l’ancien général Prabowo n’est autre que…le ministre de la défense de l’actuel gouvernement.
Selon ses détracteurs, en six ans au pouvoir (le premier mandat en 2014-2019 et le second en 2019-2024), Jokowi n’a rien fait pour tenir ses promesses. Il y a au moins six violations majeures des droits de l’homme qui restent en suspens, dont la purge communiste de 1965, divers enlèvements et fusillades non résolus dans les années 1980, les émeutes de mai 1998 et les disparitions de militants. Pour aggraver les choses, l’administration de Jokowi a également supervisé de nombreuses violations des droits de l’homme par l’armée et la police, perpétrées dans des endroits tels que la Papouasie. Les cas de violence commis par les militaires n’ont cessé d’augmenter d’année en année. Au lieu de s’attaquer à ce problème, Jokowi s’est concentré sur le développement économique par le biais de projets d’infrastructure.
L’envers du décor économique
Au cours des dernières années, le PIB de l’Indonésie a en effet connu une croissance constante et le pays s’impose lentement comme l’un des acteurs économiques les plus importants du monde. Sous l’égide de Jokowi, l’Indonésie a mis en place diverses réglementations pour attirer davantage d’investissements étrangers, notamment des conditions fiscales favorables et d’autres mesures d’incitation pour les entreprises.
D’autre part, le droit du travail et la réglementation du salaire minimum ont été de plus en plus assouplis. Par exemple, depuis 2015, les travailleurs et les syndicats ne sont plus en mesure de négocier les salaires minimums. De plus, le 5 octobre 2020, la Chambre des représentants indonésienne a adopté la loi omnibus sur la création d’emplois malgré les protestations massives de la population. Cela pourrait donner un nouvel élan au retour de l’Indonésie à la dictature, la police ayant réprimé les manifestants, principalement des étudiants et des jeunes travailleurs.
Remerciements à Jean-Michel Gallet
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