Irène Jacob s’est faite connaître du grand public en obtenant le prix d’interprétation féminine à Cannes grâce à son rôle dans « La Double Vie de Véronique » de Krzysztof Kieslowski. Elle avait alors 24 ans.
Vingt-quatre années plus tard, l’actrice franco-suisse joue dans la nouvelle pièce de théâtre du metteur en scène japonnais Oriza Hirata, « La Métamorphose », inspirée de la nouvelle de Franz Kafka. Cette pièce sera présentée à Bangkok du 20 au 22 août. Irène Jacob et son mari, Jérôme Kircher, interpréteront les rôles des parents d’un androïde.
Avant de se rendre à Bangkok, l’actrice répond aux questions de Gavroche. (Plus d’infos sur la pièce ici)
Est-ce que c’est la première fois que vous venez jouer en Thaïlande ?
Oui. C’est une première fois et je me réjouis beaucoup de venir en Thaïlande. Cette tournée en Asie est une riche introduction pour nous à la culture asiatique et nous nous sentons privilégiés et honorés d’être invités à Bangkok, George Town, Pékin et Taipeh pour jouer « La Métamorphose » version androïde.
Pour la première fois de votre carrière, vous avez travaillé avec un metteur en scène japonais, Oriza Hirata. Vous a-t-il apporté de nouvelles connaissances, une nouvelle vision du théâtre ?
Oriza Hirata est un homme de théâtre qui développe une recherche très personnelle, dans une dramaturgie qu’il définit comme calme. C’est un grand écrivain et j’avais déjà vu des pièces de lui à Paris. Le festival Automne Normandie lui a proposé d’écrire et de mettre en scène un projet autour du thème de l’homme et la machine.
A côté de sa compagnie au Japon, Oriza développe aussi une recherche entre théâtre et robot, en collaboration avec les plus grands départements de recherches scientifiques dans le domaine de l’intelligence artificielle. Oriza a choisi d’écrire une adaptation de « La Métamorphose » de Kafka version androïde.
Son écriture propose aussi une observation du langage courant et s’intéresse autant aux paroles qu’aux silences. Les silences, comme chez Tchekov sont écrits par des points de suspension. Les actions principales de la pièce se passent autant sur scène qu’en dehors de la scène. C’est très étonnant. Pendant les répétitions, nous avons passé beaucoup de temps, surtout pendant la traduction, à nous comprendre et observer nos différences.
Contrairement à la nouvelle de Kafka, où la famille se désintègre, dans son adaptation, Oriza se demande comment une famille peut se reconstruire et imaginer une communication après une telle catastrophe : notre fils ou frère s’est transformé en robot. Il questionne et laisse une place dans son écriture au point de vue du spectateur. Toujours surpris et dépassé par ce qui leur arrive, les personnages de cette pièce (le père, la mère, la soeur, le fils-robot et un locataire) essaient de comprendre, avec le public, comment communiquer dans ce monde qui change vite et qui leur devient étrange. La pièce se passe en 2040, soit un siècle après le roman de Kafka.
Comment êtes-vous entrée en lien avec Oriza Hirata et pourquoi avez-vous accepté ce projet un peu fou de jouer dans cette pièce avec un robot ?
Un ami, le metteur en scène et écrivain Pascal Rambert a proposé à Oriza de demander à mon mari, Jérôme Kircher, de jouer le papa et à moi de jouer la maman. Nous sommes partis sept semaines avec nos deux fils, répéter et jouer la pièce au Japon. Puis nous sommes rentrés la jouer en France. C’est jusqu’ici une très belle expérience aussi bien artistique que culturelle.
Quel effet cela fait de jouer avec un androïde?
Nous avons commencé les répétitions avec un acteur humain qui jouait Grégoire (notre fils transformé en robot). Thierry Vu Huu, après avoir répété deux semaines avec nous, a enregistré la voix du robot. La troisième semaine, il a fallu programmer le robot aussi bien pour ses gestes que ses répliques.
Sur des cycles variant de 2 minutes à 7 minutes, nous avons ensuite dû apprendre à nous caler sur son rythme pour dialoguer avec lui. Nous avons dû mémoriser le temps que nous avions chaque fois pour lui poser la question avant qu’il ne réponde, etc… C’est un peu comme donner vie sur scène à une belle marionnette. Nous faisons croire au public que nous interagissons avec lui, que nous nous mettons en colère, que nous sommes tristes ou surpris… Et ainsi le public est ému pour lui et est interpellé par sa présence. Cette pièce nous invite à réfléchir sur ce qui nous définit en tant qu’humain.
Vous êtes une artiste complète (cinéma, théâtre, musique). Quels sont vos projets à venir ? Comptez-vous vous consacrer plus particulièrement à l’un de ces domaines ou peut-être toucher à autre chose ?
J’aime le cinéma et c’est probablement le domaine que je connais le mieux et qui m’est le plus familier. Mais je joue beaucoup au théâtre et je sens que ça fait maintenant aussi partie de ma nature d’actrice. Ce qui me passionne avant tout, ce sont les personnes avec lesquelles je travaille, leurs recherches, leurs propositions, leurs explorations vers de nouvelles façons de comprendre notre quotidien et notre condition.
Gaetan Guilaine