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JAPON – HOMMAGE : Ishihara Shintarô, homme de culture et grand politique

Journaliste : Yves Carmona Date de publication : 09/02/2022
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Ishihara Shintarô

 

Pourquoi l’auteur de ces lignes écrit-il sur Ishihara Shintarô qui vient de disparaître à Tôkyô à 89 ans ? D’ailleurs, pourquoi écrire sur un homme politique d’un pays, le Japon, dont l’image se réduit souvent à des clichés et des anecdotes ?  Notre ami et chroniqueur Yves Carmona a saisi l’occasion de la disparition de l’ancien gouverneur de Tokyo pour nous reparler du Japon.

 

Un hommage d’Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal

 

Ah si, des confrères ont publié sa nécrologie, peut-être quelques articles savants l’évoqueront. Mais dans cette « province de Chine » comme on l’a entendu dire, sa disparition a suscité de nombreux articles et témoignages très médiatisés.

 

Qui est-il ? 

 

D’accord dira-t-on, ça doit être un politicien japonais comme tant d’autres, passé par l’Université de la capitale[1] et héritant d’une longue lignée d’hommes puissants – les « femmes puissantes », elles ne sont pas bien nombreuses et quand elles essaient, on les fait généralement taire ?

 

Eh bien non, Ishihara Shintarô n’a pas été que cela et c’est cette complexité qui en fait l’intérêt. Ses quatre fils ont évoqué sa vie à la TV à sa mort et parmi eux, l’aîné homme politique et ministre Nobuteru : n’ont-ils pas ce faisant représenté toutes ses facettes ?

 

C’est d’abord un homme de culture, un auteur qui remporte le prix Akutagawa, équivalent nippon du prix Goncourt à l’âge de 23 ans, un écrivain apprécié dans son pays. Fils d’un employé, il travaille dur et ne bénéficie en rien des réseaux qui font la réussite. Celle-ci, il la conquiert seul.

 

Il la conquiert aussi dans le cinéma, non qu’il ait été l’égal d’un Kurosawa ou d’un Mizoguchi mais sa fréquentation d’un frère chanteur et acteur [2] et du célèbre Ôshima Nagisa, même si ses opinions politiques ont été différentes[3] l’ont plongé aussi dans le bain de l’image.

 

Un passe lié à la France.

 

Autre facette, celle de la francophonie. Il est allé faire des études en France où il a connu André Malraux,  Raymond Aron,  Francois Truffaut qu’il a inspiré et en est revenu parlant bien français, a traduit Villiers de l’Isle Adam. Quitte plus tard à critique la logique discutable des nombres comme 70, 80 et 90 et en faire un objet de polémiques – il a d’ailleurs gagné le procès contre les enseignants de gauche qui lui en faisaient reproche.

 

C’est au titre de la francophonie que Bertrand Delanoé, Maire de Paris et donc, conformément à la tradition, Président de l’Association des Maires Francophones, est venu en 2004 le rencontrer, ce qui a donné à l’auteur de ces lignes l’occasion de le voir et de constater entre ces deux grands personnages une connivence qui allait au-delà de la courtoisie diplomatique.

 

Discutables sinon condamnables,  la misogynie quand l’âge fait de lui un « tonton » à l’ancienne, il s’est cependant marié à 20 ans sans jamais se séparer de son épouse et a consacré du temps à ses quatre fils ;

 

Le nationalisme qui était déjà perceptible dans son « Japon qui peut dire non » co-écrit en 1989 avec Morita Akio, PDG de Sony, pamphlet dénonçant ces élites occidentales qui accusaient le Japon de vouloir conquérir le monde tout en remplissant leurs demeures d’appareils nippons…

 

Nationalisme ou patriotisme qu’il juge insuffisant chez le PLD majoritaire avec lequel il sera de plus en plus en porte à faux.

 

Cela ne l’empêche pas, en tant que gouverneur de Tôkyô [4] , de mener une politique « écologiste », proposant par exemple de faire du pâté de corbeaux et  y lançant le marché du carbone. Il a aussi obtenu que les Jeux Olympiques soient attribués à sa ville – la Covid a conduit le gouvernement à les tenir en 2021 sans spectateurs.

 

Son obsession politique le conduit, pour conquérir et garder son siège parlementaire[5], à dériver vers l’extrême quand il tente une alliance avec Mme Koike, ministre de la Défense puis sa successeure comme gouverneure[6] de la capitale, ce qui ne l’empêche pas de regretter :  « l’identité japonaise est la cupidité ».

 

Il achète au nom de sa ville en 2012 les îles Senkaku pour obliger l’Etat à les préempter, ce qui bien sûr n’a pas peu contribué à envenimer les relations avec la Chine, et fonde ses derniers partis : « Isshin »[7] c’est à dire le nom qui avait été donné à la révolution Meiji [8], relativement libérale au début mais franchement réactionnaire sur sa fin, et pour finir le « Parti du Soleil [9]».

 

Un homme aux multiples facettes

 

Ce tableau serait fort incomplet si on ne rappelait qu’il a été parlementaire de1968 à 1973 – avec ses amis politiques, ils signent leur manifeste de leur sang – et jusqu’à son élection comme gouverneur en 1999 puis de nouveau de 2012 à 2014 ; et si on ne citait aussi ses accointances avec la pègre. Où peuvent  conduire le patriotisme  y compris sur le plan religieux et l’aversion des étrangers – toute ressemblance avec d’autres leaders politiques ne peut être que fortuite…

 

Alors, ce qui définit le mieux la longue vie aux innombrables facettes d’Ishihara Shintarô, n’est-ce pas sa liberté  de parole, pour contestable qu’elle ait pu être souvent dans la seconde partie de sa vie ?

 

Yves Carmona

 

[1] Tôdai daigaku

[2] Yûjiro, mort en 1987

[3] « Lempire des sens » sorti en 1976

[4] 1999-2012

[5] Sa première élection date de 1968, il a été plusieurs fois ministre, a interrompu son mandat pour devenir gouverneur et l’a repris en 2012-2014.

[6] Maire

[7] Son parti s’appelait « Isshin no kai »

[8] 1868-1912

[9] Taiyô no to

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