Le Premier ministre Kishida Fumio a gagné l’élection au sein du Parti Libéral Démocrate (PLD) puis les élections générales dimanche 31 octobre.
Mais il n’appartient pas à la faction Hosoda du PLD où sont inscrits plus du quart des membres du parti majoritaire et que préside l’ancien Premier ministre[i] et toujours homme fort M. Abe Shinzo, ni à celle que dirige M. Aso Taro. M. Kishida n’est président que de la 5ème faction et a dû principalement aux deux premiers l’élection à la tête du parti face à M. Kono Kato, bien plus populaire car adepte du « parler vrai ».
Quelles conclusions en tirer ? Notre chroniqueur Yves Carmona, ancien ambassadeur de France au Népal et au Laos, nous propose une grille de lecture.
L’ex premier ministre Shinzo Abe, censé de plus être malade, ne pouvait se représenter et a donc soutenu M. Kishida tout en s’appuyant sur l’extrême-droite de Mme Takaichi Sanaé et en plaçant M. Amari Akira comme secrétaire général. A 81 ans, Aso Taro, un autre pilier des administrations Abe, a abandonné formellement le ministère des Finances mais l’a confié à son beau-frère, M. Shunichi Suzuki, qui partage les choix stratégiques d’Abe et Aso, « faucons » notoires.
Ce faisant, ceux-ci se conforment à la tradition japonaise du « kuromaku », le rideau noir de la scène avec un peu visible maître en marionnette qui l’anime. Kishida est premier ministre mais ce n’est pas lui qui gouverne, ce sont eux, éminences grises, qui tirent les ficelles.
A noter que le PLD comptait 1,136 million de membres soit 0,9% de la population japonaise en 2020, et un peu moins ayant le droit de voter lors du dernier scrutin.
Quels sont les enjeux de l’élection générale qui vient de se tenir ?
En politique intérieure, sans surprise, le pouvoir d’achat des ménages et la vitesse de la reprise constituent avec la Covid le thème principal. Bien que le Japon ait été moins frappé que d’autres, son premier ministre Suga Yoshihide a dû démissionner à cause de son traitement tardif de la pandémie et de la gestion jugée néfaste des Jeux Olympiques.
C’est en politique étrangère que les clivages sont le plus visibles à l’extérieur et portent sur l’insertion du Japon dans son environnement régional.
Le PLD tel qu’il est gouverné est belliciste. L’archipel est entouré de puissances hostiles (la Chine) ou agressives (les deux Corée) dont deux, la Chine et la Corée du Nord, sont pourvues de l’arme nucléaire. Le Japon ne peut y répondre du fait des contraintes que lui impose sa Constitution d’après-guerre [ii] : bien que ses forces armées soient puissantes, elles n’ont le droit que d’auto-défendre le pays et non de se projeter à l’extérieur de ses frontières pour des opérations militaires. Un avion des forces d’auto-défense a pu pour la première fois porter secours à une ressortissante japonaise et emmené au passage quelques dizaines de nationaux lors de la dernière crise afghane.
Sa sécurité est assurée, depuis le traité de San Francisco (1960[iii]), par les États-Unis.
Comme le confirmait un Webinar, tenu le 22 octobre à Singapour et au Japon, où j’ai eu la chance de poser à l’ambassadeur Iimura (que j’avais brièvement rencontré au cours d’un déjeuner de travail à sa résidence parisienne) la question du rapport entre les réflexions en cours et les élections japonaises, les enjeux extérieurs seront ceux-là, à quoi s’ajoutent ceux propres à l’ASEAN.
Les pays d’Asie du Sud-Est veulent que les États-Unis les protègent de la Chine mais surtout ils voudraient ne pas avoir à choisir entre les deux. Ils souhaitent, et l’ambassadeur Iimura parmi eux, rester au centre de l’Asie, c’est le rôle de l’ASEAN Outlook on the Indo-Pacific (AIOP) lancé en 2019, pour l’instant sans résultat ni visibilité hors de la région.
Or le premier ministre Kishida a annoncé un doublement des dépenses militaires tout en invoquant un « nouveau capitalisme » dont le contenu reste à définir. Cela n’a pas empêché deux défaites spectaculaires, celles de M. Amari, un pilier conservateur du système et M. Ishihara Nobuteru, le fils d’Ishihara Shintaro, plus libéral que son père nationaliste. (« Japan that can say no »).
Commentaires
– Ces élections n’intéressent guère hors du Japon. Il est vrai que leur coïncidence avec les chrysanthèmes et surtout avec la COP 26, censée déterminer l’avenir de l’humanité, ne favorise pas leur visibilité.
Intéressent-elles les électeurs ? Sans parler des Japonais expatriés à qui les difficultés pour pouvoir voter n’ont pas toujours été surmontées, le taux de participation d’environ 55% a été, à l’instar des scrutins précédents, faible comme si ceux qui auraient pu voter contre le parti au pouvoir s’étaient à l’avance résignés à sa victoire. Le PLD avait avec Kono Kato la dernière occasion de continuer. L’opposition n’a pas réussi cette fois-ci et son principal leader, M. Edano, va sans doute démissionner mais l’opposition finira bien par trouver un candidat crédible [iv].
– Car ne nous y trompons pas, si les marchés financiers ont au début bien accueilli cette nouvelle victoire du PLD, le peuple japonais ne s’en réjouit guère car c’est la politique économique qui a fait l’objet d’une attention particulière en fin de campagne.
– Or cette élection a fait ressurgir des interrogations, voire des critiques sur les « trois flèches » d’Abe Shinzo dont les actions ont concentré le regard bien que deux Premiers ministres lui aient succédé.
La politique monétaire expansionniste est sous contrôle mais la reflation tarde a produire des résultats et la politique budgétaire bute sur la hausse de la taxe à la consommation, nécessaire car le déficit atteint maintenant les 12,6% du PIB et était déjà de 5% avant la Covid.
Très simplement, avec une politique sociale inférieure à celle d’un grand nombre de pays comparables, le gouvernement japonais fait peu pour permettre à ceux du bas de l’échelle et à la classe moyenne de compenser les rémunérations insuffisantes que la crise sanitaire a encore aggravées.
– Malgré quelques défaites partielles spectaculaires, le PLD a gardé la majorité sans même avoir besoin de son allié traditionnel le Komeito. Le Premier ministre actuel en est renforcé mais il a dû promettre un « nouveau capitalisme » pour tenter de faire croire qu’il est sensible à ces difficultés.
– La politique extérieure est rarement un enjeu pour des élections, cependant, si l’ASEAN n’avance guère, les pays du Sud-Est asiatique sont unis par les préoccupations de plus en plus nombreuses auxquelles ils ont à réagir comme le Japon avec retard : la Covid et ses conséquences économiques bien sûr, le maintien de la centralité de leur ensemble dans un contexte où la montée en puissance de la Chine que confirment les derniers chiffres du commerce extérieur. Elle est numéro 1 de leurs échanges sans parler du risque militaire, et le risque de retrait des États-Unis les angoisse.
Dans ce contexte régional, on ne peut que remarquer dans le programme du Premier ministre et ancien ministre des affaires étrangères le souhait d’une augmentation des dépenses militaires. Or le Japon a déjà montré qu’une orientation belliciste pouvait se traduire par la guerre in fine nucléaire.
Je le redis [v] : tout le monde se pose les mêmes questions et fait référence aux mêmes critères comme les travaux du SIPRI sur la course aux armements engagée dans la région ou l’association des Européens, que je crois nécessaire, et même parfois de la France aux réflexions sur le concept de sécurité indo-pacifique.
Il faut ajouter le manque d’intérêt pour la lutte contre les accidents climatiques.
Cette focalisation sur la sécurité du Japon, il est vrai menacé par la Corée du Nord et la Chine, mène l’archipel à la confrontation, ce que confirme le bon résultat électoral du parti ultraconservateur de l’innovation basé à Osaka, cœur économique du Japon en perte de vitesse ces dernières années. Or on sait que le militarisme a conduit en d’autres temps à la guerre.
Les classes les moins aisées ne veulent pas y être entrainées alors que leur souci principal est de boucler leurs fins de mois, ce qui ne les différencie pas du reste du monde.
Yves Carmona
[i] Du 26 septembre 2006 au 26 septembre 2007 puis du 26 décembre 2012 au 16 septembre 2020
[ii] 3 novembre 1946
[iii] Signé le 19 janvier 1952
[iv] Question qui ne pose pas qu’au Japon.
[v] C’est tellement lassant que les réactions des lecteurs se font rares