Depuis que Rama IX, le souverain actuel, y a passé une grande partie de sa jeunesse, la Suisse tient une place particulière aux yeux des Thaïlandais qui en ont fait leur destination favorite en Europe, et pas seulement pour les montres et le chocolat. Des liens affectifs réciproques à en croire la forte présence helvétique dans le royaume, la plus importante en Asie. Rencontre avec une communauté discrète mais très présente !
La Thaïlande abrite la plus importante communauté suisse du continent asiatique. Plus impressionnant, le nombre de résidents helvétiques permanents en terres siamoises progresse à une vitesse vertigineuse. « Au 1er octobre dernier, 7785 Helvètes ou binationaux étaient inscrits à l’ambassade de Bangkok », relève Pierre-Alain Eltschinger, porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères de la Confédération. Or, à fin mars 2008, le compteur affichait 5445 personnes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en un peu plus de cinq ans, l’augmentation tutoie les 40%. Pour la petite histoire, les suisses de Thaïlande étaient une centaine en 1954, un millier en 1990.
L’explication de ce phénomène est à la fois sociale et économique. « Le boum du tourisme dans le royaume a attiré ces dernières années de nombreux hôteliers et restaurateurs suisses, de telle sorte que nombre de nos concitoyens ont percé dans ces deux branches, notamment dans l’hôtellerie, qui fait la réputation de notre pays avec ses écoles de prestige », souligne Pierre-Alain Eltschinger. A Bangkok par exemple, le suisse Pierre-André Pelletier officie en qualité de général manager du prestigieux Amari Watergate, tandis que d’autres, moins connus, sont propriétaires d’un hôtel ou d’un restaurant.
« Dans le même registre, le développement des classes moyennes et supérieures en Thaïlande, très friandes de produits de qualité tels que les montres de luxe, avides de soins médicaux et hospitaliers de pointe, a permis à l’industrie pharmaceutique, chimique et horlogère helvétique de trouver de nouveaux débouchés », poursuit Pierre-Alain Eltschinger. Moult Helvètes ont en effet un statut d’employé au sein de multinationales comme ETA, la manufacture de mouvements du Swatch Group, ou chez Nestlé, toutes deux implantées à Bangkok. Les indépendants qui gèrent à titre privé une entreprise d’horlogerie sont également légion dans la capitale thaïlandaise, de même que les collaborateurs d’ONG.
Parmi les quelque 8 000 Helvètes du royaume (ils sont en fait quelques milliers de plus si l’on tient compte de ceux qui ne sont pas enregistrés à l’ambassade), les romands (suisses francophones) ne pèsent pas lourd face aux Alémaniques (suisses germanophones), avec un petit contingent de 1 300 personnes. Cinquante pour cent des détenteurs d’un passeport rouge à croix blanche ont plus de 50 ans, alors que les retraités en quête de douceur climatique et attirés par des coûts de la vie très favorables forment, et c’est là une des spécificités sociologiques de la communauté helvétique, un bataillon toujours plus étoffé (1 700 résidents, dont quelque 430 romands). Ces expatriés vivent pour la plupart dans les grandes villes et les centres touristiques tels que Bangkok, Chiang Mai, Chiang rai, Pattaya, Hua Hin, Phuket, Koh samui ou Krabi.
Marqués par un courant d’isolationnisme, jaloux de leur indépendance – ils ne font pas partie de l’Union européenne, faut-il le rappeler –, les suisses se plaisent à cultiver leurs traditions, même à dix mille kilomètres de leurs bases. Outre celui de Koh samui, trois clubs au nationalisme bon enfant perpétuent ainsi le souvenir de la patrie en Thaïlande.
Le plus ancien, la Société suisse de Bangkok (SSB), a été fondé en novembre 1931. Il compte 329 membres, dont 70% sont germanophones. La plupart viennent du monde des affaires, de l’économie ou œuvrent dans des grandes entreprises de la place. Certains ont un statut de retraité. Le but de la SBB ? « Fonctionner comme trait d’union entre les Suisses de Bangkok, l’ambassade et les organisations de Suisse, défendre les intérêts de nos compatriotes par l’entremise de la Chambre de commerce helvéto-thaïe notamment promouvoir l’amitié, faciliter les contacts au sein de la communauté helvétique et mettre sur pied des activités sociales et culturelles », glisse isabelle Meyer, ancienne secrétaire de la SBB. La célébration de la Fête nationale, le 1er août, la soirée raclette à l’ambassade de suisse, le repas de noël ou les excursions touristiques rythment le calendrier de cette société.
Plus récente, elle a été fondée en novembre 1999, la société suisse de Phuket fait état de 180 membres, très majoritairement alémaniques. Les francophones, eux, ne sont que quinze. « La moitié de nos membres sont à la retraite, les autres travaillent dans l’hôtellerie, la restauration, le tourisme, l’informatique ou le commerce », précise le caissier Paul Richle (voir page suivante). Quant à la Swiss
lanna society de Chiang Mai, fondée en février 2012, elle enregistre à ce jour 200 adhérents, tous germanophones. « Trois quarts de nos membres sont retraités, le dernier quart est actif dans le secteur hôtelier, dans des sociétés internationales ou des ONG », indique la secrétaire, Annelies Yokoyama. Et d’expliquer : « La Swiss Lanna Society a été créée comme un lieu de rencontres, de sociabilité qui permet aux Suisses de parler et d’entendre leur langue maternelle et de renforcer les liens sociaux à travers différentes activités. »
Un solide partenariat
Des liens historiques et économiques très forts soudent la Suisse et la Thaïlande. Le royaume est le deuxième partenaire commercial de la Confédération en Asie du sud-Est, après Singapour. Plus impressionnant encore, la Suisse occupe la 18ème place parmi les investisseurs étrangers en Thaïlande. En 2010, les exportations helvétiques ont atteint 1,4 milliard d’euros (machines et appareils, produits pharmaceutiques, horlogerie) et les importations un milliard (mouvements pour l’horlogerie, bijoux, machines). Quelque 150 entreprises suisses, dont plusieurs multinationales, sont implantées dans le royaume où elles emploient plus de 50 000 personnes. Les biens de consommation et les produits de luxe suisses sont très appréciés en Thaïlande, tout comme les machines et les instruments de précision destinés à l’industrie manufacturière.
« Les relations bilatérales sont très bonnes. Notre pays jouit d’un excellent capital de sympathie dans le royaume, car le roi Bhumibol a vécu et étudié dans le canton de Vaud de 1933 à 1950, souligne Pierre-Alain Eltschinger, porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères de la Confédération. En signe de gratitude, le souverain a fait ériger à Lausanne un pavillon thaï inauguré en 2009. »
Plusieurs traités ont d’ailleurs été conclus entre Berne et Bangkok, notamment un traité d’amitié et de commerce (1931), une convention pour éviter la double imposition (1996) et un accord portant sur la promotion et la protection réciproque des investissements (1997). La Suisse a ouvert un consulat honoraire dans la capitale thaïlandaise en 1932, puis une ambassade en 1949. Le 10 septembre dernier, Yingluck Shinawatra, la Première ministre, invitée par le président de la Confédération Ueli Maurer, a été accueillie en grande pompe à Berne pour des entretiens de nature économique avec une délégation du gouvernement helvétique.
Le tourisme contribue également à jeter des ponts entre les deux pays : en 2012, plus de 150 000 Helvètes ont choisi le royaume comme destination de vacances (ils n’étaient que 2000 en 1963 et 26 000 en 1974), alors que la Suisse occupe le premier rang des pays européens fréquentés par les thaïlandais, avec plus de 50 000 visiteurs en 2010. En 2009, 8600 ressortissants thaïlandais vivaient en suisse (998 en 1990). Historiquement, les relations entre la Confédération et le royaume ont pris leur essor à la fin du 19e siècle grâce à des suisses actifs dans le commerce (riz, étain, wolfram, textiles, lait condensé) ainsi que dans les banques et les sociétés d’assurances. C’est à Bangkok qu’ont jeté l’ancre des sociétés comme Berli et Jucker (Berli Jucker & Co. dès 1924, Berli Jucker Public Company limited depuis 1993) et surtout Diethelm. En 1906, cette dernière a ouvert dans la capitale thaïlandaise une filiale qui est devenue une des épines dorsales de la présence suisse (tourisme, Diethelm travel group dès 1956).