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LAOS – TOURISME : Ma traversée du Laos en moto

Journaliste : Didier Gruel
La source : Gavroche
Date de publication : 29/03/2020
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Nous continuons à vous proposer nos aventures insolites en Asie du Sud-est grâce aux archives de notre mensuel qui nous offrent quantité de reportages, tant Gavroche s’est depuis 25 ans promené partout dans cette merveilleuse région. Cette fois: un défi à moto au Laos, effectuer la boucle Vientiane – Luang Prabang – Xayabouli, en une semaine.

 

Il faut mordre la poussière et avaler des kilomètres de pistes plus abîmées les unes que les autres. Le défi: effectuer une boucle Vientiane – Luang Prabang – Xayabouli – Vientiane en seulement une semaine. Chutes, intempéries et imprévus sont au rendez-vous, mais ils ne nuisent en rien à la beauté des paysages ni aux rencontres faites en chemin.

 

La nuit est noire et profonde dans le parc de Nam Phouy. Le silence règne, lourd et pesant, parfois rompu par les hululements des oiseaux ou les cris des grands singes. Tout respire, tout suinte les tropiques. La chaleur en suspens, une moiteur tiède qui enveloppe tout l’être…Je suis là depuis plusieurs heures, égaré dans cette nature sauvage du Nord-Laos. Je réalise soudain que j’ai couché la moto au pire endroit : une courbe serrée, en pleine obscurité ! Reprenant mes esprits, je relève péniblement la 400 DRZ. Il faut démarrer. Repartir. Coups de kick. Suée. Mal partout. La moto refuse de bouger. L’épuisement me gagne. Quelle heure est-il ? Où suis-je ? Et toujours cette moiteur. Ce noir obsédant. Je prends mon souffle. Un dernier coup de kick rageur. Victoire ! Enfin, le moteur reprend vie dans un énorme grognement mécanique. Sans attendre, me revoici filant dans les ténèbres. Il faut trouver la sortie. Échapper au labyrinthe tropical, ces hautes et envoûtantes montagnes laotiennes. Cela fait six jours que l’aventure a commencé. Six jours de liberté absolue. Mes yeux, rivés sur mon guidon, sont, comme mes pensées, concentrés sur la piste, toujours la piste, le bout de la piste. Je suis empli de la nature brute et sauvage qui m’entoure. Je me sens vivre.

 

C’était, au départ, une idée toute simple : couvrir à motocross la boucle Vientiane– Luang Prabang–Xayabouli–Vientiane en une semaine, sans forcer. La première partie, la fameuse Route 13 qui relie Vientiane à Luang Prabang, via Vang Vieng, est bien connue des voyageurs : c’est en effet la seule route directe entre la nouvelle et l’ancienne capitale du Pays du Million d’Éléphants. L’autre partie, à travers toute la province de Xayabouli, à l’ouest de la Route 13, est en grande partie une piste traversant des paysages grandioses, typiques des campagnes laotiennes.

 

Dès notre arrivée à Vientiane, nous nous rendons chez Jules Rental, une référence dans la région pour les locations de motos tout-terrain. Thierry, le patron, un ancien chef de mission de MSF fort sympathique, est un expert de ce genre d’expédition. Sur ses conseils, j’opte pour une 400 DRZ Suzuki. Nicolas, mon compagnon de voyage, se contente d’une 223 cc Honda FTR basse. Les derniers détails réglés, les motos préparées, nous flânons au bord du Mékong. Le départ est prévu pour le lendemain matin.

 

Peu avant 9 heures, nous quittons les faubourgs de Vientiane, plein nord, direction Vang Vieng, notre première étape. La route est sûre et agréable, mais sans grand intérêt. Nous ouvrons les gaz pour couvrir les 150 km. À notre arrivée, nous nous dirigeons vers la Champa Lao Guesthouse, en haut de la rue principale. Tenue par une famille très serviable, la maison, charmante, est heureusement à l’écart de la furie fêtarde qui anime les bords de la Nam Song dans la journée et les bars le soir. Nous nous posons une petite heure. Arrêt rapide car il faut pouvoir profiter de la lumière de la fin d’après-midi pour découvrir la superbe boucle ouest de Vang Vieng : une trentaine de kilomètres au milieu de pics rocheux et de rizières verdoyantes. Cet endroit est unique. Il recèle une sorte de magie, une féérie typique des campagnes asiatiques. Après un superbe coucher de soleil au milieu des formations calcaires en contrejour, véritables ombres chinoises craquelant l’horizon empourpré, c’est les cheveux dans le vent que nous avalons la piste sur le chemin du retour vers Vang Vieng, où nous passons la nuit.

 

Le lendemain, les choses sérieuses commencent. Direction Luang Prabang : 250 km de lacets pour la majeure partie. Cette route, qui fut pendant trente ans l’une des plus dangereuses d’Asie, en raison du conflit opposant l’armée laotienne aux rebelles Hmong, est maintenant totalement sécurisée. Loin est le temps où l’on ne pouvait faire le trajet entre Kasi et Phou Khoun qu’accompagné d’une escorte militaire.

 

Les paysages qui défilent sur cette partie du trajet sont époustouflants. Les hautes montagnes, à l’est comme à l’ouest, font l’effet de papillotes enrobant la plus grande partie de la route. C’est le pays hmong, une ethnie fière et courageuse, qui s’est battue aux côtés des Français puis des Américains contre les communistes, avant d’être livrée à elle-même après 1975. Les Hmong continuèrent de lutter pour leur survie tels des fantômes isolés pendant 32 ans, jusqu’à la reddition des derniers résistants, fin 2007.

 

Les motos tiennent bien la route. La 400 DRZ, sur piste comme sur route, est un compromis de puissance, de confort et de solidité. Dans mon rétroviseur, le sourire aux lèvres, Nicolas, sur sa petite FTR, prend de grandes bouffées d’air frais alors que nous arrivons à Phou Khoun. Ce col marque l’intersection de la Route 13 en direction de Luang Prabang et de la Route 7 en direction de Phongsavan et de la fameuse plaine des Jarres.

 

La dernière centaine de kilomètres se fait aisément et nous voici dans la mythique Luang Prabang, l’ancienne capitale royale du Laos, la ville monastère inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité. La vieille Luang Prabang, sorte de micro-péninsule nichée entre le Mékong et la Nam Khan, même si elle a su garder intacts son charme et sa candeur (en grande partie grâce au travail de restauration de l’Unesco), s’est transformée au fil des ans en ville musée-boutique.

 

Les maisons d’habitation ont quasiment toutes disparu et les anciennes demeures, même si elles ont gardé leur cachet colonial, ont été converties en guesthouses de luxe, en restaurants ou en boutiques. Nous arrivons assez fatigués au Roots and Leaves, un restaurant traditionnel lao réputé pour sa cuisine, tenu par un Français, Denis, installé à Luang Prabang depuis quelques années avec sa femme thaïlandaise. Nous profitons de son hospitalité pour nous détendre et nous rafraîchir. Le jour suivant, nous consacrons la journée à flâner dans Luang Prabang, goûtant à la tranquillité des bords du Mékong, très bas en cette saison, mais toujours aussi envoûtant à l’orée du crépuscule. Et puis Nicolas reçoit un appel : il doit rentrer d’urgence à Bangkok pour des raisons familiales. Le lendemain, très tôt, je le dépose à l’aéroport, avant de reprendre la route. Après avoir traversé en barge le Mékong, je roule plein ouest direction Hongsa, la région des éléphants.

 

Xayabouli –Pak Laï : le jour le plus long

 

La province de Xayabouli, entre la Route 13 et la frontière thaïlandaise, forme un L à l’envers, traversée de haut en bas par le Mékong et couverte de montagnes et d’une jungle dense. Le sud, moins élevé que le nord, est une région de collines boisées et de rizières fertiles. Malgré sa proximité avec Vientiane et la Thaïlande, c’est une des régions les moins visitées du pays, alors qu’elle a beaucoup pour elle, notamment la plus grande concentration d’éléphants du Laos. Les festivals des éléphants de Pak Laï et Hongsa à la mi février sont réputés dans tout le pays. L’ouest de la province, contigu à la Thaïlande et très montagneux, est perméable et le théâtre de nombreux trafics. La route pour Hongsa est une piste en bon état dans l’ensemble, serpentant sur les crêtes. Je surfe de colline en colline pour effectuer les 120 km qui me séparent de ma destination, passant sous des voûtes d’arbres, respirant un air frais, traversant épisodiquement des hameaux hmong, qui ont la particularité d’être situés sur les crêtes. Les Hmong sont les seuls à vivre sur les sommets ; les autres ethnies vivent dans les vallées ou à flanc de montagne. L’arrivée à Hongsa est décevante. Le village n’a aucun attrait. Après avoir avalé un sandwich « baguette-Vache qui rit », l’inévitable repas sur la route au Laos, je décide de ne pas y passer la nuit et de reprendre immédiatement la route direction Xayabouli, 85 km au sud. La route pour Xayabouli est bétonnée et serpente au milieu de magnifiques paysages. C’est en traversant le pays à moto que l’on se rend compte de la faible densité de population du Laos. C’est un paradis de grands espaces pour les amateurs de randonnées au long cours. J’arrive à Xayabouli juste avant la nuit. Je vérifie ma moto, me défais de tout mon barda, prends une chambre dans une guesthouse sur la rue principale, commande un plat local, et au lit ! Je dors sans interruption jusqu’au lendemain 9 heures.

 

C’est la journée que j’attendais : Xayabouli–Pak Laï à travers le parc reculé de Nam Phouy, région de montagnes adossées à la frontière thaïlandaise. Pas un village sur 150 kilomètres, juste une poignée de hameaux quasi inhabités. Au départ de Vientiane, Thierry avait estimé qu’il me faudrait six à huit heures pour parcourir cette piste comprenant une partie assez difficile. Mais, la veille, les Laotiens dans la guesthouse m’ont soutenu qu’en quatre heures, c’était faisable. Fourbu, je décide de prendre six heures comme repère. Je fixe donc le départ à midi pour arriver avant la tombée de la nuit. Sans prendre en compte les imprévus… Le temps est au beau fixe, la partie entre Xayabouli et l’entrée du parc s’effectue en une heure comme prévu. J’en profite pour me rassasier au dernier village, Nampouy, dont chaque habitation sans exception est recouverte d’une couche de poussière d’au moins deux centimètres. Le village est orange latérite de bas en haut ! À 13h30, je pénètre dans le parc de Nam Phouy. Et là, tout s’enchaîne : paysages à couper le souffle, passages à gué, nombreux arrêts photos : je ne prête pas attention à l’heure, pensant être sûr de mon estimation en kilomètres. Je dis estimation car le compteur de la DRZ est débranché. Et puis la tuile ! Subitement, le voyant rouge de chauffe s’allume. Je m’arrête aussitôt. Le joint de sortie du radiateur laisse s’échapper des gerbes d’eau bouillante. Vient-il de lâcher ? Je suis au milieu de nulle part, sans réseau téléphonique, seul, sans outil. Un scénario à la Pierre Richard qui me donne très vite des sueurs froides ! Je laisse la machine refroidir et refais le plein du radiateur. L’eau ne fuit plus. La surchauffe du moteur a-t-elle dilaté le joint sans le faire céder ? Sans être mécano, j’espère que c’est le bon diagnostic. J’ai déjà perdu quarante minutes.

 

Après une chute dans une descente abrupte aux profondes ornières, sans dégât matériel ni physique, ma montre indique 17 heures. Je me trouve au milieu de nulle part, entouré de montagnes à perte de vue. Pas inquiet d’avoir à passer une nuit en jungle, ayant pris le soin d’emporter avec moi un kit de survie et de l’eau potable, je suis habité par le défi que je me suis fixé d’arriver à bon port dans la journée. Je reprends donc la piste et repars plein pot. Plus de photos. Je pilote. Peu après, j’arrive à l’entrée d’un hameau, en fait un poste militaire avancé tenu par une poignée de soldats. Le plus gradé m’annonce que je me suis trompé et que cette piste ne mène pas à Pak Laï ! Alors que la nuit est en train de tomber, impossible de faire demi-tour : mon réservoir d’essence est au trois-quarts vide. Le militaire me précise que, si je continue par cette piste, 300 kilomètres me séparent encore de Pak Laï ! C’est alors que je me rends compte que, comme tous les Laotiens rencontrés au bord du chemin, il n’a aucune idée du temps ou des distances d’un point à un autre avec un véhicule. Certains calculent en heures de marche, d’autres même en heures de tracteur ! Les estimations sont donc souvent farfelues. Je suis bien sur la bonne piste, il y a moins de 300 km, mais j’ai perdu beaucoup de temps et je vais devoir rouler de nuit.

 

Je profite du peu de lumière qui reste dans le ciel pour accélérer et parcourir la plus grande distance possible avant la nuit. Mais alors que l’obscurité a déjà rendu la jungle invisible, le voyant rouge s’allume une fois de plus ! Sans eau, je marche jusqu’au prochain ruisseau pour remplir une bouteille et laisse le moteur refroidir, avant de repartir. Dans la nuit noire, le phare de la DRZ éclaire très peu. Je roule au pas, enchaînant montées et descentes, aveuglé par la poussière, debout sur mes appuis, évitant les trous, ne voyant pas à dix mètres.

 

Et puis la deuxième chute ! Point de départ de ce récit. J’en bave. Mais je suis venu pour ça, que diable ! Je pense à l’instant présent et repars de plus belle. C’est maintenant devenu un combat entre les éléments et moi. Vers 20 heures, je sors du parc et atteins un village où les tenanciers de la seule gargote ouverte me voient arriver orange, transpirant, ébouriffé. Après avoir fait le plein d’eau et bu deux cafés, je repars, éreinté. Quarante kilomètres de piste, une heure tout au plus, m’explique-t-on. J’en mettrai deux ! Et ces deux heures ne seront que nids de poules et nuages de poussière soulevés par les rares tracteurs venant en sens inverse. À chaque hameau, la durée de temps restant indiquée par les locaux varie de vingt minutes à trois heures, ou de deux à vingt kilomètres ! Bref je finis par ne plus demander. À 22 heures, j’arrive finalement à Pak Laï, bourgade au bord du Mékong. Je m’arrête à la première guesthouse et, après une bonne douche, m’effondre, un sourire de satisfaction aux lèvres.

 

Pak Lai–Vientiane : les bords du Mékong sous la pluie

 

Le réveil du lendemain est très dur. Je me jette cependant hors du lit à 9 heures. Pak Lai se réveille doucement, sous un ciel bas et nuageux, inhabituel pour la saison. Cet ancien bourg colonial français au bord du fleuve est paisible et nonchalant. C’est au milieu de Laotiens sympathiques que je prends au marché mon incontournable café lao. J’analyse la carte, me dis que j’ai une nuitée d’avance sur le programme, n’ayant pas dormi à Hongsa, et opte pour prendre un chemin récemment ouvert mais rudimentaire qui rejoint les bords du Mékong à Kasi, au nord de Vang Vieng, à travers des paysages de pics rocheux et de rizières. Il n’est que 10 heures et je suis résolu à pousser le destin. Je fais donc le plein d’essence et prends la route. Et là, le gag : une averse tropicale ! Dans l’obligation de m’arrêter, je reste planté deux heures, à cinq kilomètres de Pak Laï, à l’abri d’une hutte. La journée commence bien…

 

Puis l’averse s’arrête, remplacée par un crachin constant qui va durer toute la journée. Fin février, ça n’est pas du tout prévu au programme. Après avoir repassé le Mékong et parcouru une trentaine de kilomètres, je trouve l’embranchement du chemin pour Kasi. Au même moment, une autre averse tropicale se met à tomber. C’en est trop, je décide d’annuler mes plans. Les cinq heures de route prévues jusqu’à Vientiane, alternant bitume, piste en travaux et piste défoncée, se transformeront en huit heures de calvaire sous la pluie. Mais, même sous ce ciel orageux, le Mékong est comme toujours majestueux, criblé à cet endroit de formations calcaires sombres se dressant hors de l’eau, telles des glaives, créant un paysage dantesque. La Thaïlande est de l’autre côté. À partir de cet endroit et jusque dans le sud aux environs de Paksé, le fleuve trace la frontière naturelle avec l’ancien royaume de Siam. La piste est glissante, je suis trempé et couvert de boue, mais le paysage est grisant, et ce n’est que trente kilomètres avant Vientiane, à la tombée de la nuit, que la pluie cesse. Il n’a pas plu à Vientiane ce jour-là, et je comprends le sourire des passants me regardant comme un animal sorti de la jungle lorsque, couvert de boue, je gare ma moto devant la guesthouse : ils ne savent pas qu’il a plu toute la journée à quelques kilomètres de là…

 

D.G.

 

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