Depuis le 1er octobre 2006, la chasse aux «étrangers en situation irrégulière» s’organise lentement mais sûrement dans le royaume. Ceux qui usaient et abusaient de l’exemption de visa qui leur permettait de résider, et souvent de travailler en Thaïlande, sont priés de régulariser leur situation face à une sévérité retrouvée de l’Immigration thaïlandaise. Quand les autorités donnent un grand coup de balai sur les visas, au pays du sourire, les farangs rient jaune…
Il y a longtemps que les autorités thaïlandaises parlaient d’éradiquer la pratique des «visa runs», mais aucune mesure n’avait été prise. Même au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation sur les durées de séjour, beaucoup criaient à l’intox, au point que certains «faux touristes » pensaient couler des jours heureux encore longtemps.
L’incrédulité générale a un temps laissé place à l’indignation. Mais à l’heure où les personnes sous le coup d’un troisième séjour consécutif arrivent à la fin de la période autorisée de 90 jours, chacun a son mot à dire sur cette mesure qui touche des milliers de touristes, pour la plupart occidentaux.
Jusqu’au 1er octobre dernier, les ressortissants de 36 pays étaient autorisés à séjourner 30 jours en Thaïlande sans visa. Les autorités n’avaient certainement pas imaginé au départ que cette gracieuse exemption serait utilisée comme un permis de résider à vie dans le royaume. «Cette exemption était accordée sans limite . Nombre d’étrangers se sont installés en Thaïlande et se contentaient de sortir du pays à la frontière la plus proche pour obtenir, à chaque fois, 30 jours supplémentaires», explique le major général Pongdej Chaipravaj, responsable du personnel au bureau de l’Immigration de la police thaïlandaise à Bangkok. S’il est difficile de recenser le nombre de personnes qui résidaient et travaillaient dans le royaume sans visa – l’ambassade de France par exemple ne distinguant pas les Français inscrits au registre consulaire par catégories de visa – on peut estimer à plusieurs dizaines de milliers les faux touristes concernés. Les autorités thaïlandaises ont donc réagi: si vous entrez aujourd’hui en Thaïlande sans visa, la durée totale de votre séjour ne pourra excéder 90 jours sur une période de 6 mois. «Ces exemptions de visa étant destinées aux touristes, les personnes qui viennent en Thaïlande pour d’autres motifs doivent demander un visa adéquat dans une ambassade ou un consulat de Thaïlande. Notre pays, comme n’importe quel autre, ne peut accepter que des étrangers résident et travaillent sur son territoire illégalement», explique le major général Pongdej.
Et cette fois-ci, ce ne sont pas des menaces en l’air. «Il y a quelques années, une mesure du même type avait été annoncée et rien n’était arrivé. Mais cette fois, c’est différent », estime Sony, directrice japonaise de la compagnie Jack Golf Tour, spécialisée dans les extensions de visa à la frontière cambodgienne. Depuis le 1er octobre, les officiers de l’Immigration comptabilisent à la main le nombre de «tampons» de 30 jours utilisés. «Dorénavant, si une personne se présente pour obtenir une quatrième extension de séjour, nous la laisserons monter dans le bus tout en l’avertissant qu’elle risque de rester de l’autre côté de la frontière.»
Cette mesure, qui inquiète les voyageurs, met aussi en péril les économies locales des postes frontières et les compagnies proposant ces extensions de visa. Chez East meets West Travel, on affiche une baisse de revenus de 50%, au point que les responsables envisagent d’abandonner ce service. Pour ne pas plonger, Jack Golf Tour, qui a déjà perdu 30% de sa clientèle, propose depuis le mois de novembre un voyage jusqu’à la frontière laotienne, à Savannaket, où un petit bureau consulaire thaïlandais délivre des visas de tourisme de deux mois dans la journée. Le nouveau service coûte 6600 bahts pour un voyage de 30 heures, plus long et plus coûteux qu’un voyage à Poi Pet (2000 bahts). Mais ce visa, auquel peut s’ajouter une extension de 30 jours accordée par le bureau d’immigration, n’est qu’une solution temporaire. «Ensuite, nous verrons, ironise Sony, les lois changent très vite en Thaïlande… En revanche, je redoute que certains étrangers soient tentés de séjourner en «overstay» (dépassement de visa, ndlr) de peur de ne pas pouvoir revenir en Thaïlande, mais aussi en raison des coûts supplémentaires occasionnés.» En effet, certains voyageurs pourraient estimer qu’il vaut mieux payer les 20000 bahts d’amende maximum en cas de dépassement de séjour prolongé plutôt que des aller-retour réguliers, qui par an leur coûteraient environ 34000 bahts, oubliant au passage qu’ils risquent de s’offrir un voyage dans les douces geôles thaïlandaises… D’autres pourraient se tourner vers les faux tampons et faux visas. «Nos clients sont très inquiets. Nombre d’entre eux vivent depuis des années en Thaïlande, ont un travail, des biens, parfois une famille et ne savent pas comment régulariser leur situation», ajoute-t- elle.
La réglementation thaïlandaise sur le travail des étrangers étant extrêmement restrictive, leur régularisation n’est pas toujours évidente. Mickey, un Américain travaillant dans une entreprise en Thaïlande avec un visa de tourisme, explique que tous ses collègues sont dans le même cas et que, même si l’entreprise a lancé des procédures de régularisation, pour l’instant, rien n’avance. «Je vais donc rentrer aux Etats-Unis et demander un visa non-immigrant B d’un an. Ils ne sont pas très regardants, il suffit d’avoir le nom d’une personne ici en Thaïlande et son numéro de téléphone», avance-t-il. Pour quelqu’un qui souhaite créer une entreprise, le permis de travail est d’autant plus difficile à obtenir. «Nombre d’étrangers utilisent des prête-noms thaïlandais et n’apparaissent nulle part. Officiellement, c’est une société thaïlandaise avec des employés thaïlandais et qui paie ses impôts. Mais les bénéfices, on sait où ils vont…», commente un résident étranger souhaitant garder l’anonymat. Ainsi, auparavant, les cabinets d’avocats pouvaient obtenir des visas business pour leurs clients avec de simples jeux d’écriture… ce qui semble plus difficile aujourd’hui, les autorités ayant mis un frein à ces pratiques.
Autre situation délicate, celle des professeurs et lecteurs de français, regroupés au sein de l’Association des francophones enseignant dans les écoles publiques en Thaïlande (AFEP), créée par Pascal Santié. Beaucoup travaillent dans des écoles thaïlandaises gouvernementales ou privées sans permis car ils ne peuvent comptabiliser assez d’heures. «Notre association compte aujourd’hui une trentaine d’enseignants, dont dix seulement possèdent un permis de travail, commente Corinne, jeune lectrice de français et secrétaire de l’association. Je fais partie des 60% qui travaillent avec un visa de tourisme.» Julien, qui a fait une dizaine de voyages à la frontière, pointe une «situation extrêmement paradoxale. Nous travaillons pour la plupart dans des écoles gouvernementales qui nous défraient en cash pour notre présence mais nous n’avons aucun statut légal. Personne n’ignore notre situation de “professeurs-touristes”, y compris l’Immigration.» Roland, président adjoint de l’association, se veut rassurant: «Nous espérons une solution du côté des autorités thaïlandaises. » Car le ministère de l’Education s’est penché sur leur cas et la situation devrait se débloquer (voir entretien). «Le changement est brutal et effraie un peu tout le monde mais cela aura au moins l’avantage d’inciter les employeurs et les écoles à régulariser leurs employés, même si, au passage, certains risquent d’être laissés sur le carreau…», préfère penser Jérôme, lecteur à l’école Saint Gabriel.
Mais les choses ne seront pas si simples… Deux incertitudes demeurent: la capacité de calcul des agents de l’immigration (sic!) ainsi que l’interprétation plus ou moins sévère des ambassades et consulats de Thaïlande. Le manque de recul interdit encore d’énoncer des cas généraux, mais les témoignages aident à se faire une idée de la situation. «Jusqu’à maintenant, j’obtenais un visa non-immigrant O à Penang en Malaisie sans montrer les 400.000 bahts requis sur le livret de compte. Mais avec le nouveau décret, tout à changé!», raconte Thierry, un Français résidant à Samui, marié à une Thaïlandaise et père de deux enfants. La condition de ressources est maintenant exigée: l’argent doit être sur le compte au moins trois semaines avant la demande de visa pour pouvoir obtenir un visa de trois mois. Il est alors possible, après nouvelle vérification du compte, d’obtenir une extension d’un an. «N’ayant pas l’argent, depuis octobre, je dois sortir tous les 30 jours du pays. Lors du dernier voyage, le douanier m’a bien spécifié que j’arrivais au bout des 90 jours autorisés et que la prochaine fois, sans visa, je ne pourrai plus entrer en Thaïlande. Mais nous ne recevrons pas tous le même traitement. A Samui par exemple, beaucoup de personnes ne seront pas inquiétées car avec de l’argent, tout s’achète, même un visa», déplore-t-il.
Les témoignages de personnes s’étant vu refusé un visa de tourisme dans les ambassades des pays alentours se multiplient également. «Ils prétendent qu’on peut obtenir des visas en règle hors de Thaïlande mais on m’a refusé un visa de tourisme simple entrée à Phnom Penh car j’avais trop de tampons sur mon passeport, raconte Michel, un retraité français vivant à Chiang Mai. Un ami a subi le même refus à Rangoon au motif que ce consulat n’était là que pour délivrer des visas aux Birmans !»
Si les ambassades et consulats se mettent à serrer la vis, nul doute que la situation risque d’e se compliquée pour les personnes concernées. Au point où certains se demandent si ces refus sont une application normale ou abusive du règlement. «Il est vrai que si vous demandez un visa touriste dans une ambassade ou un consulat de Thaïlande alors que vous avez déjà énormément de tampons d’entrées sans visa, on peut vous le refuser, mais cela reste à la discrétion du personnel de l’ambassade », admet le major général Pongdej Chaipravaj, de la police de l’immigration.
Des problèmes «mathématiques» se posent également, et les réponses divergent selon les personnes interrogées. «J’ai passé les mois d’octobre et novembre 2006 en Thaïlande avant de rentrer dans mon pays d’origine. Je souhaite revenir avec un visa de tourisme de deux mois en février et en mars et mon ambassade m’assure que je n’aurai pas de problème à le faire prolonger ensuite de 30 jours, même si cela fera au total plus de 90 jours en 6 mois… J’espère que l’officier à la frontière pensera la même chose!», s’inquiète un voyageur sur le forum Thaivisa.com. «Lors de mon dernier passage en Thaïlande, à l’aéroport, l’officier de l’Immigration a commencé à numéroter mes entrées et lorsque je lui ai dit que je venais souvent à Bangkok pour quelques jours, elle m’a rétorqué qu’au bout de trois entrées en six mois, on ne pouvait plus revenir en Thaïlande, quels que soient le nombre de jours passés. Plus loin, un autre douanier m’a dit que la limite était de trois entrées sur un mois. Enfin, un troisième m’a bien confirmé que l’important était le nombre de jours, en m’avouant que le personnel de l’immigration n’était pas encore tout à fait au courant des modalités de cette mesure…», raconte Loris Mattis, journaliste au Cambodge.
Rassurant ! Une multitude de cas particuliers suscitant autant de questions et de situations à examiner, c’est bien cela le problème de l’application d’une mesure générale. Aucun doute que les douaniers et les personnels des ambassades et consulats de Thaïlande vont devoir maîtriser le calcul mental pour ne pas s’arracher les cheveux… En espérant qu’avec le temps, comme pour toute nouvelle réglementation, l’adaptation se fera en douceur… Une chose est sûre cependant: les dizaines de milliers d’étrangers concernés risquent de voir les portes du pays du sourire se refermer !
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