La cuisine de la communauté juive, un délice indien, une chronique culinaire et sociétale de François Guilbert
Esther David est écrivaine. Membre de la communauté juive d’Ahmedabad (Inde), elle nous fait découvrir les cuisines de ses coreligionnaires installés aux quatre coins de l’Inde. Ce voyage nous conduit d’Ouest en Est du pays, auprès de ceux qui se sont installés depuis des générations à Bombay, à Cochin, au Kérala, à Calcutta, en Andhra Pradesh, au Manipur et au Mizoram. Les hôtes parlent des langues différentes dans leurs sphères familiales mais qu’ils soient Bagdhadis ou Chins, presseurs d’huiles, agriculteurs, avocats, commerçants ou fonctionnaires, ils prient en hébreux et se rassemblent dans des synagogues. Ils cherchent aussi à se conformer au mieux aux lois de la Casherout, pas si simple au quotidien notamment du fait du manque de shohet pour l’abatage rituel des animaux. C’est pourquoi nombre de juifs indiens sont des végétariens.
Si les Loubavitch-Habad de Bombay ont été mis de côté dans ce volume, car nouveaux venus, à contrario, en bonne enquêtrice, l’autrice n’a pas manqué de s’intéresser aux cultures et pratiques culinaires des micro-sociétés Bene Ephraim (juifs télougous) de l’État de l’Andhra Pradesh au sud-est du sous-continent et Bnei Menashe (groupe tibéto-birman) des États du nord-est de l’Union. Une attention d’autant plus remarquable que le rapport au judaïsme de ces Indiens était encore interrogé, il y a peu de cela, jusqu’en Israël.
Les informations rapportées sont bien plus celles d’un reportage avec son lot d’anecdotes au contact des familles qu’une étude anthropologique savante, une approche toutefois encore à entreprendre. Elle ne manquerait pas d’intérêt à la fois pour mieux comprendre l’histoire du judaïsme indien mais aussi ses multiples interactions communautaires.
En s’intéressant à tous les peuplements juifs anciens, la narratrice a mis en lumière ô combien l’environnement culinaire de ces communautés, a profondément influencé les contenus de leurs assiettes, sans pour autant mettre à mal leurs règles cultuelles de vie. Pour illustrer cette donne gastronomique, à chaque pôle majeur d’implantation, Esther David a tenu à revenir, exemples à l’appui, sur les pratiques familiales et communautaires lors du shabbat mais également lors des fêtes de Chavouot, Hanoukha, Pourim, Roch Hachana, Souccot ou encore Yom Kippour.
Au premier abord, le livre apparaît austère. Aucune photo des plats proposés à la réalisation n’est venue illustrer le manuscrit. Les plus de 120 recettes défilent les unes à la suite des autres. La typographie aide à peine à les distinguer. La césure des pages intervenant aussi bien parmi les ingrédients qu’aux moments des conseils pratiques, pas sûr qu’on prenne le livre avec soi sur un plan de travail.
Par ailleurs, l’absence d’un index récapitulatif des recettes dépeintes par leurs ingrédients et leurs méthodes de réalisation ne rend pas hommage à un travail de recherches de plusieurs années. Dommage également qu’il ne soit pas précisé pour combien de convives les recettes sont prévues.
Mais au-delà de ces quelques écueils, ce reportage gourmand est passionnant. Il donne une idée d’un héritage culturel aussi riche que menacé. Bien qu’ayant jamais été persécutée, la communauté juive indienne ne rassemble plus que quelques 5000 personnes, soit dix fois moins qu’au milieu du XXème siècle. Dans ce contexte singulier, le travail entrepris par E. David et sa vaste recension de recettes est une véritable contribution pour préserver un héritage culturel et culinaire qui en certains lieux disparaît, comme c’est notamment le cas dans la région d’Imphal au Manipur où nombre de croyants ont émigré ces dernières années vers l’État hébreu.
Esther David : Bene Appétit, The cuisine of Indian Jews, HarperCollins, New Delhi, 199 p, 22,81€
François Guilbert