«C’en était presque un scandale ! Voilà que ces “dames” si hospitalières ne recevaient plus comme avant dans la jolie maison “Chez Christiane” de l’avenue de Dixmude, dans les hauts de Saïgon… Elles avaient disparu ! Comme disait le Colonel Ostade à ses amis les notables de la ville, “je n’ai jamais vu une maison aussi mal close”.»
Louis Roubaud était ce que l’on appellerait aujourd’hui, un journaliste d’enquêtes, sorte de reporter à la fois écrivain et aventurier et souvent dénicheur de scandales. Il s’intéressa en particulier aux bagnes, à la suite d’Albert Londres, et écrivit en 1925 “Les enfants de Caïn”, livre qui révélait au grand public choqué, le scandale des pénitenciers d’enfants en France.
Plusieurs voyages l’emmèneront vers l’Asie. Du premier en 1928, il rapportera un livre d’impressions, d’images, transcrites au jour le jour au cours d’une traversée de la Chine. C’est “Le dragon s’éveille”.
Puis arrive le 11 février 1930. Une courte dépêche envoyée de Hanoï apprenait aux Français de la métropole une révolte de Yen-Bay. Une sale histoire : pendant la nuit, cinq officiers et sous-officiers français sont massacrés par leurs tirailleurs indigènes, révoltés. Au même moment, de nombreux assassinats et attentats sont commis contre des Français. La métropole va-t-elle entendre ces premiers cris d’une Indochine que certains qualifient déjà d’enchaînée ? La répression coloniale sera terrible et sanglante.
Louis Roubaud, parti pour essayer de comprendre ce qui se passe décrira le supplice de treize des révoltés qui seront guillotinés en criant “Viêt-Nam ! Viêt-Nam ! Patrie du Sud !”, premiers cris du nationalisme indochinois. Il profitera de ce voyage-reportage pour en rapporter son premier roman, “Christiane de Saïgon”. Tout le monde connaît la belle Christiane, toutes les femmes de la bonne société copient son élégance parisienne. Tous ces messieurs connaissent également la jolie maison, les jolies filles faciles que l’on y trouve, toujours prêtes à vous servir le Champagne. Les petits soupers fins, le phono pour la danse, le pavillon encombré de moelleux coussins et de nattes où l’on s’étend pour fumer l’opium…
Hélas, catastrophe, ces dames ne sont plus là, l’accueillante maison est abandonnée par ses jolies occupantes. Les responsables de cette trahison sont les propres fils des notables saïgonnais. Les pères se lamentent. “Ah de notre temps, nous vivions en brousse où nous avions une congaïe. Lorsque nous venions à Saïgon, nous allions voir des “madames blanches” mais c’était franc, rapide. Quelle génération mon ami !” Christiane va peut-être enfin trouver le bonheur auquel elle avait toujours rêvé. Mais lui sera-t-il si facile de quitter ce demi-monde qui fût toujours le sien ?
François Doré
Librairie du Siam et des Colonies
librairiedusiam@cgsiam.com