Une bande dessinée qui plonge dans l’histoire birmane
François Guilbert a lu pour vous…
Tristan Roulot et Christophe Simon : Chroniques diplomatiques. Birmanie 1954, Le Lombard, 64 p
Après un premier volume ayant narré, il y a deux ans, les aventures d’un jeune diplomate français en Iran à l’heure 1953 du régime du Docteur Mohammad Mossadegh, voici notre héros dépêché à la légation de Rangoun. Le cadre d’Orient renâcle à gagner cette terra incognita. Il la vit presque comme une sanction administrative et se demande ce qu’elle peut bien lui réserver. Dans le contexte géopolitique de la bataille de Dien Bien Phu au nord du Vietnam voisin, elle s’avèrera pourtant ne pas être une sinécure. Très vite, Jean d’Arven est confronté aux spectres de l’occupation japonaise, à la guerre civile du moment, aux appétits nés des ressources en jade de l’État Kachin, aux ambitions communistes locales et indochinoises, ou encore à la protection des missions catholiques. Ici se mêle l’Histoire avec un grand H et la fiction.
Les aventures se déroulent à bons rythmes. Elles nous mènent de la capitale, alors à Rangoun, à Myitkyina plus au nord, en passant par Bagan et son merveilleux patrimoine architectural. Derrières ces paysages ensorcelant, les violences politiques et sociales ne sont jamais très loin. Elles ont ensanglanté tout l’ère U Nu et n’eurent malheureusement guère à envier à celles d’aujourd’hui, dans leur cruauté comme dans leurs ampleurs territoriales. Dans le passé comme dans le présent, on tue aux quatre coins du pays pour quelques kyats, pour des ambitions personnelles démesurées ou pour s’emparer sans partage des richesses naturelles nationales.
Le récit se déroulant il y a tout juste 70 ans, il dépeint une Birmanie post-coloniale à l’orée de sa démocratie et avant qu’une dictature militaire ne la plonge dans des décennies de drames individuels et collectifs. Mais les auteurs ont fait le choix d’en faire un pont avec la période la plus contemporaine. Ainsi, le cahier de neuf pages qui clôture le volume, est l’occasion, à partir d’archives du Quai d’Orsay et des prêtres des Missions étrangères de Paris, de faire découvrir, au plus grand nombre des lecteurs, le fil historique de la Birmanie devenue Myanmar. On y dresse des portraits des dirigeants politiques clés : Aung San (1915 – 1947), U Nu (1907 – 1995), Ne Win (1911 – 2002) et même Daw Aung San Suu Kyi. On y dépeint le bouddhisme theravada, la présence catholique romaine au travers du parcours du Vicaire apostolique français Victor Bazin (1905 – 1975) ou encore l’histoire des musulmans rohingyas. Les troubles les plus récents, ceux nés du coup d’état de février 2021, ne sont pas occultés et nous rappellent ce qu’est le régime du Conseil de l’administration de l’État (SAC) depuis 32 mois. Les historiens et les politologues pointilleux pourront avoir à y redire, sur tel ou tel point, mais l’ensemble est de qualité et une bonne introduction à la Birmanie des années 50, un pays alors majeur de l’Asie du sud-est, attractif et influent sur la scène internationale.
Sur le plan esthétique, les familiers de Rangoun loueront les images de la Cathédrale et de quelques autres lieux. Toutefois, ils seront étonnés de voir une montagne en arrière-plan de la ville et une résidence de France bien plus barricadée qu’elle ne le fut vraiment à l’époque. Enfin, même avec une géométrie quelque peu rigide, le chemin de fer de cette bande dessinée nous fait agréablement cheminer. Il a été, de surcroît, joliment colorié par Alexandre Carpentier. Ce dernier a en effet mis habilement en valeur les coups de crayons de Christophe Simon dont on avait déjà bénéficié des talents dans ses reprises à succès d’Orion, de Lefranc, ou les odyssées d’Alix.
François Guilbert
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