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Frick en exil

Date de publication : 07/03/2021
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INDOCHINE – LITTÉRATURE: Le 8 mars, la journée des femmes rime avec …Jeanne Leuba

 

«Attention ! Ne vous y trompez pas ! Ceci n’est pas un roman ! ‘Frick en exil’ est le quatrième ouvrage de l’œuvre de Jeanne Leuba» nous écrit notre chroniqueur François Doré, animateur de la formidable librairie du Siam et des colonies à Bangkok. Pour la journée des femmes, célébrée le 8 mars, cet éloge de l’écrivaine tombe à pic !

 

«Frick» est publié à Paris, en 1923. Il se présente comme une suite de 100 petits tableautins, qui vont décrire la découverte de l’Indochine, par Frick. Jeune ingénieur des T.P., venu pour quelque chantier de pont et de chemin de fer dont nous ne saurons pas grand chose, il est ce qu’on appelait autrefois, ‘un monsieur tout-neuf’. Tout pour lui va être étonnement, tout aspect du quotidien indochinois sera pour lui une découverte.

 

Mieux qu’un guide touristique, il aurait pu s’intituler aujourd’hui ‘l’Indochine pour les Nuls’. Suivant l’itinéraire de la romancière, Frick va débarquer en Annam, dans une ville que l’on pourrait appeler Nha-Trang. Ce sera pour le héros, le premier contact avec la vie coloniale telle qu’elle pouvait être au début du siècle dernier : avec un humour décapant, Jeanne Leuba nous décrit le seul caravansérail du coin, ‘l’Hôtel du Rivage’. Un taudis, tenu par ‘une maritorne flasque’ pauvre femme ‘charpentée comme un gendarme’, mais dont le passé d’aventurière partie ‘jeune et belle, d’une patrie incertaine pour suivre un homme vers les terres d’exil et de soleil’, intrigue notre héros. Un roman à elle seule !

 

Découverte du monde asiatique

 

Très vite, Frick va comprendre que la demi-douzaine d’autres blancs pensionnaires de l’hôtel, sont ‘comme des pingouins qui vivent sur un même rocher en faisant semblant de s’ignorer. Dès que l’un tourne le dos, un bec s’ouvre pour le traiter de veau, de cancrelat, de parasite ou d’aliéné’. Mais à part une jeune femme qu’il rencontrera plus tard à Hanoï, c’est là la seule entorse que s’autorisera Frick à sa découverte du monde asiatique.

 

Malgré la crasse de sa chambre, Frick va en pousser le volet de l’unique fenêtre : et là, ébloui, il reçoit le choc dont il ne guérira plus : les eaux étincelantes, les montagnes de cobalt, le riz merveilleux : l’Annam tout entier se dévoile pour marquer à tout jamais, dans son âme d’Occidental, la divine magie de l’Orient…’. L’écriture de Jeanne Leuba se fera magique pour nous entraîner avec beaucoup d’humour dans le petit monde de Frick : la chaleureuse maisonnée qui va l’aider à vivre dans sa maison isolée sur les rochers, et qui jour après jour, lui apprendra le mode d’emploi de leur beau pays : Tam, le vieux jardinier, Sao le boy, Chinh le bep, Thi-Nam, la femme de Sao avec son bébé tout nu sur sa hanche, enfin l’interprète, toujours sur son trente-et-un.

Une petite cour animale

 

Et puis, il va y avoir aussi toute une petite cour animale : des poules, d’abord, et puis Méo, la chatte siamoise avec ses tendres yeux bleus dans un museau de loutre. Il y a aussi un drôle d’échassier, que Frick a appelé Goriot et même une petite tortue de mer, Margot. La concorde règnera pour tous, mais surtout, Frick découvrira petit à petit la beauté de la nature qui l’entoure et cette paix brûlante et délicieuse qui plane sur les hommes et les choses de l’Annam et qui lui fait oublier sa nostalgie maladive d’homme de l’Occident…

 

Et c’est encore cette nostalgie du monde que l’on a laissé derrière soi qui va baigner les 35 beaux poèmes de cette ‘Tristesse du Soleil’, un titre à la saveur d’un oxymore, publié en 1913. Jeanne Leuba y décrira là encore sa découverte d ‘un autre monde, mais elle souhaitera y présenter, comme elle l’écrit elle-même dans sa préface, ‘l’exil volontaire où nous souffrons, où nous passons nos jeunes années, à lutter contre le spleen, la chaleur, les hostilités de la nature et des hommes…’.

 

Pourtant, c’est avec beaucoup de bonheur qu’elle décrira dans ses beaux vers tout ce qui fait sa vie là-bas, ses voyages à la dure, les découvertes des secrets des temples chams, et la ‘gloire des lointains bleus, dans une irréelle splendeur, où l’on pense revivre un des matins du monde…’. Hélas, malgré ce poison subtil de l’Orient qui envoûte, sous la violence du soleil, partout ‘un souvenir confus, naît et glisse sans cause’…

 

François Doré. Librairie du Siam et des Colonies.

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