La gastronomie des tréfonds japonais, une chronique culinaire et sociétale de François Guilbert
Éditée au Japon depuis 2006, diffusée en français depuis sept ans par les éditions poitevines Le Lézard Noir, la série concoctée par Yaro Abe « La Cantine de minuit » est un véritable succès. Quatorze volumes déjà parus dans l’hexagone mais aussi des adaptations télévisées en japonais, en chinois et en coréen, sans parler de la sélection officielle de deux tomes de son manga sensei au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2018 puis 2019.
Les saynètes qui se déroulent dans un restaurant de nuit (izakaya) d’une ruelle de Shinjuku à Tokyo sont autant d’occasions de dépeindre les tracas de la vie des noctambules. En théorie, le chef balafré ne sert qu’une soupe miso au porc, accompagnée de trois verres au maximum de bière, de saké ou de shôchu. A la vérité, la carte proposée par le restaurateur offre une gamme de plats infinis puisqu’il se propose de réaliser toute assiette à la demande s’il dispose sous la main des ingrédients. Cette adaptabilité lui permet de répondre aux envies du moment de ses hôtes réguliers ou de passage.
Construits autour de nombreux personnages attachants, la gastronomie est un bon prétexte pour sonder les tréfonds de la société japonaise, les vies de famille et celles des marges (ex. hôtesses de bar, yakuza). Des anecdotes nourries au vécu du dessinateur ou rapporté à lui par des proches ou dans des bars.
Avec ce nouveau volume, le mangaka sexagénaire Yaro Abe s’est appuyé sur la styliste culinaire Iijima pour offrir aux otaku et aux amateurs de bonne chère des planches de la série en noir et blanc, les recettes d’une trentaine de plats illustrées de photos couleurs et sept pages d’entretiens avec les auteurs où le dessinateur revient sur les difficultés de mettre dans une case bicolore des assiettes complexes.
Rien d’érudit dans tout cela mais une balade culinaire qui nous conduit aux quatre coins du monde et de l’Asie, tout en s’attachant à des plats familiaux faits de produits simples et peu couteux, en outre faciles à cuisiner. Ce répertoire s’alimente aux émotions du cuistot et de ceux qu’il nourrit. Les auteurs ont ainsi retenu à la fois des plats qu’ils aiment passionnément (ex. onigri grillés, chikuwa frits à la façon isobe), des classiques des cafés japonais à l’occidental (cf. spaghettis napolitains), appris de tiers (ex. bœuf Stroganoff, ragoût coréen style boui-boui, salade vermicelles, riz au tororo), constitué des spécialités du chef (ex. katsudon, mijoté de limande et gelée de poisson, nikujaga, nouilles udon sautées, salade de pommes de terre, saucisses wiener et omelette sucrée) et quelques amuse-bouche bonus pour finir. Il y a en a pour tous les palais, européens ou asiatiques, et toutes les générations, les jeunes comme les plus âgées.
Yaro Abe & Nami Iijima : La cantine de minuit, le livre de cuisine, Le Lézard Noir, Poitiers, 2023, 143 p, 15 €
François Guilbert
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