Quand la France et le Japon se marient pour des sushis !
Une chronique culinaire et sociétale de François Guilbert.
Un jeune adulte français qui se consacre pleine âme, bourse déliée et palais à affiner aux sushis, voilà qui n’est pas banal. C’est pourtant le projet de vie entamé en solitaire par Jad Ibrahim depuis qu’il est étudiant. On comprend qu’un tel parcours ait impressionné un journaliste gastronomique aussi averti que François-Régis Gaudry et que celui-ci ait accepté de rédiger la préface à son premier livre.
La quête du sushi « parfait » ne se fait pas ici à coups de demi-mesures.
Elle exige d’accéder aux meilleurs établissements. Si la première étape aura consisté à écumer les restaurants parisiens renommés (Benkay, ERH, Izumi, Jin, Kaïto, Kei, Okuda, Sushi B, Sushi Shonei), elle aura surtout servi à rencontrer, échanger et, plus encore, observer les gestes de grands chefs nippons expatriés (Masayoshi Hanada, Keita Katamura, Kei Kobayashi, Tomoyuki Yoshinaga, Takuya Watanabe). Ce périple a peu à peu donné confiance à l’auteur, les connaissances de base au gourmet, le transformant en un aficionado adepte de la formule omakase, celle qui laisse au maître es-nigiri le choix des plats servis à table ou, mieux encore, au comptoir face au client.
Cette initiation aux meilleures adresses parisiennes soulignent combien la capitale française n’est pas exempte d’établissements où les plus fins des adeptes de nigiri peuvent se régaler de pièces d’exception au chinchard, à l’encornet, au filet de lotte, au maquereau, aux œufs de saumon mariné (ikura), aux ormeaux, aux Saint-Jacques, aux sérioles, au thon et tant de choses encore. Cette plongée culinaire a fait découvrir au pèlerin hexagonal de très nouveaux ingrédients tels l’agrume sudashi, les légumes fermentés tsukemono, la sauce tare aux notes caramélisées, la liqueur de prune (umeshu) et, bien évidemment, le riz shari. Elle lui a imposé aussi d’appréhender progressivement dans le détail les modes de préparation, le vocabulaire propre au riz vinaigré et aux familles de poisson. La quête a son prix. Il se mesure en milliers d’euros, au temps sans compter mais également en efforts intellectuels bien compris. Néanmoins que d’émotions, et de découvertes en chemin !
Ce savoir de cuisine, aujourd’hui maîtrisé, a été intégré à l’ouvrage, notamment avec en appui un glossaire dédié aux ingrédients, aux ustensiles, aux préparations, au contexte culturel et aux poissons ; pour ces derniers, le vocabulaire est même présenté avec ses kanjis. Connaître toujours plus est, de fait, la devise de Jad Ibrahim. Il ne s’est pas moins engagé dans un voyage sans fin, ce dont il a désormais pleinement le sentiment. Littéralement fasciné par la science de l’Itamae (celui qui se tient devant le comptoir), il veut rencontrer les meilleurs, là où ils œuvrent et quels qu’en soit le prix voire les sacrifices. Alors au diable l’avarice, s’il faut aller en province (ex. Hinoki à Brest) ou sillonner le monde de Barcelone à New York, en passant par Londres, Copenhague ou encore Stockholm.
La perfection se mérite !
Les produits de la mer aussi, c’est pourquoi nombre de restaurateurs européens trouvent leurs poissons auprès du même pêcheur japonais, Tanaka Hajime, installé au Portugal.
Il va sans dire que la quête ne pouvait s’affranchir de visites aux meilleurs sushi-ya de l’archipel nippon (Osaka, Tokyo). Là, on atteint le graal si on peut accéder aux 11 médailles d’or dont les 7 de la capitale de l’archipel et/ou les 16 médailles d’argent de la plateforme baptisée Tabelog. Pour cela, il faut réserver des mois à l’avance, accepter de débourser des sommes extravagantes et s’en remettre souvent à une conciergerie.
Le moment venu, le temps s’arrête, chaque bouchée est magique, pour ne pas extatique. Pour fixer ses expériences, le narrateur a mis en fin de volume les portraits in situ de 16 chefs enchanteurs avec sur la page leur faisant face un de leur sushi emblématique. Manifestement, la quête de Jad Ibrahim n’est pas un plaisir solitaire. Elle a vocation à se partager. C’est d’ailleurs ce à quoi il s’emploie aussi avec son compte Instagram Nigiri Paris, tout dédié aux sushis bien sûr.
Jad Ibrahim : La quête du sushi parfait, Les Arènes/Komon, 2024, 197 p, 17€
François Guilbert
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