Une histoire de cuisine et d’amour, version manga ! Une chronique culinaire, asiatique et sociétale de François Guilbert.
Lancée au Japon en 2021, la série en cours « L’amour est au menu » a connu un très rapide succès d’audience. Adaptée dans la foulée en série télévisée, ce manga josei, autrement dit pour un jeune public adulte féminin, a commencé également à être diffusé en langue française l’année dernière. D’ores et déjà, trois des cinq volumes distribués au Japon ont été traduits pour le marché francophone. Ils sont l’occasion d’évoquer les préoccupations de la génération Z quant au monde du travail, les équilibres à trouver entre relations familiales et amicales, le célibat dans la société contemporaine nippone et la recherche du partenaire « idéal ». Une réflexion aussi sur l’appétit de nourritures et le partage avec les autres.
Pour dépeindre tous ces questionnements, la mangaka s’est appuyée sur récit articulant vie quotidienne, romance et cuisine. La gastronomie ou plutôt les attentions des bons petits plats que l’on offre à des proches est le liant pour parler avec doigté d’amitiés resserrées et de rencontres lesbiennes. L’exposé est un appel à aller au-devant des autres et à mieux accepter les différences de genres et de caractères.
Les petites histoires se déroulent dans l’espace clos d’un voisinage d’immeuble de la région du Kanto. Nomoto et Kasuga, les deux personnages principaux, s’interrogent sur les sentiments amoureux et le vivre ensemble. L’une est une cuistot amatrice hors pair, l’autre une gourmande au bon coup de fourchettes. Deux caractères tranchés mais dont la complicité grandissante donne de la douceur à leurs tranches de vie et aux épisodes.
Puisqu’il s’agit de se régaler avec la personne que l’on aime, les repas défilent avec leurs plats dépeints, ingrédients, emporte-pièces, et tours de main. Mais tout en dessinant des personnages aux visages qui manifestement se délectent d’un bento ou d’une soirée entre copines, la narratrice évoque avec sensibilité des sujets délicats tels l’anorexie, l’asexualité et surtout : comment être soi-même.
L’ouvrage est pédagogique tant en matière de cuisine que de revendications des libertés des mœurs. Le discours derrière la délicatesse des plats (ex. koridofu, mochis au natto, sauce mensuyu, squash au yuzu, …), japonais ou non d’ailleurs (ex. curry au poisson et épinards à la mode Kérala, et leur confection (ex. comment faire ses propres naans indiens) peut se révéler mordant voire militant. Non sans raison, Sakaomi Yuzaki se demande pourquoi on s’attend toujours à ce que les femmes aiment cuisiner ? Pourquoi dans les entreprises de l’archipel faut-il que la gent féminine soit contrainte d’offrir à la Saint Valentin des chocolats aux collègues masculins ? Au travers de ses interrogations, l’autrice ne cache pas inscrire sa démarche de chroniqueuse du quotidien dans la perspective de la campagne d’opinion du mariage pour tous au Japon.
Sakaomi Yuzaki : L’amour est au menu (tome 3), Éditions Akata, 2024, 177 p, 8,05 €
François Guilbert
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