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L’art meurtrier du lait de coco

Date de publication : 23/03/2024
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Livre l'art meurtrier du lait de coco

 

Le lait de coco « Pinoy » à la sauce criminelle, une chronique littéraire et culinaire de François Guilbert.

 

Plus de 3,5 millions de Philippins vivent aux États-Unis. Au fil des décennies, ils se sont installés principalement en Californie, à Hawaï et dans l’Illinois. Rien que dans la région de Chicago, ils sont plus de 110 000. La narratrice se rattache à cette dernière communauté et à sa classe ouvrière. Mia P. Manansala est née, a étudié, a enseigné et continue de vivre aujourd’hui à Chicago. Dans la continuité de ce parcours, sans surprise, elle a décidé de planter dans une petite ville imaginaire de l’Illinois (Shady Palms) le décor de son premier roman policier aujourd’hui traduit en français.

 

L’art meurtrier du lait de coco ci relève du genre littéraire dit des « cozy mysteries », ces polars où l’on ne s’appesantit pas sur le sordide et où des détectives amateurs, souvent féminins, pétillants et plein d’humour, s’emploient à élucider un meurtre intervenu dans l’environnement de leur petite communauté de vie. Pour souligner ce côté « douillet » du texte, l’éditeur parisien a été jusqu’à modifier l’intitulé original du manuscrit et lui a donné un nom sucré. Aux États-Unis, le livre a été en effet diffusé sous le titre : Arsenic and Adobo. Dans la langue de Molière, de la manchette exit l’arsenic, place au lait de coco !

 

Le doucereux liquide laiteux a également été mis en avant car peu de lecteurs francophones connaissent l’adobo, l’emblématique marinade philippine ; l’hexagone ayant si peu de chefs et de restaurants proposant des menus de l’archipel.

 

Convaincu que cet ouvrage va ouvrir l’appétit des lecteurs à l’art culinaire des Philippines, la suite des aventures de l’équipe gérante de l’estaminet de Tita (Tante) Rosie, dont la mise en librairie est programmée pour l’hiver 2024, mettra à l’honneur l’halo-halo, le dessert national : un fond de glace pilé recouvert de haricots rouges sucrés et de fruits, le tout surmonté de lait concentré et fréquemment d’une cuillère de crème caramel et de confiture ou de glace à l’igname pourpre (L’art meurtrier du Halo-Halo). Deux autres livres de la même veine, centrés sur des plats populaires de la gastronomie archipélagique, pourraient encore suivre puisqu’en 2022, puis en 2023, la narratrice a fait du bibingka (gâteau de riz cuit au four, très apprécié à l’époque de Noël) puis du mamon (génoise) des produits au cœur de deux autres volumes de ses intrigues.

 

Bien conscient que la langue tagalog compte bien peu de locuteurs en France et que les repas de la journée mettent en valeur des plats quasi-inconnus de nos palais, même quand ils ont des dénominations d’origines espagnoles ou portugaises, Mia P. Manansala a ouvert son ouvrage par un glossaire comprenant près d’une trentaine de termes consacrés à la nourriture et l’a clos par cinq recettes à réaliser soi-même (biscuits craquelés, gâteau à la banane et au gingembre, confiture de noix de coco, poulet adobo). Autant dire que la gourmandise est l’un des fils rouges du récit. Il l’est d’autant plus que l’alimentation est un raccourci culturel, et en premier lieu pour tous les Américano-philippins qui ne sont pas ou peu allés dans leur pays d’origine, et ne connaissent des îles d’origines de leurs parentés que quelques plats partagés dans les univers familiaux.

 

Dans l’environnement aux parentèles élargies (ah le nombre des tantines aussi nombreuses que fantasques !) du polar, il est intéressant, à ce titre, de voir s’opposer les générations sur ce qu’est la « vrai » cuisine philippines, celle protégée comme un trésor intouchable des générations migrantes et son interprétation par les générations suivantes influencées par les pratiques culinaires des autres communautés et celle des fast food. Une dimension transformationnelle qui intrigue, interpelle, fascine ô combien la fine observatrice des sociétés qu’est Mia P. Manansala.

 

Si l’alimentation constitue l’une des trames du récit, celui-ci est aussi l’occasion de mieux connaître la société filipino-américaine et ses ressorts.

 

Alors que nombre des livres mettant en scène des Américains d’origine asiatique traitent généralement de l’expérience de l’immigration ou de la lutte intégratrice, ce n’est pas l’angle qui a été choisi ici. Si l’identité originelle a bien été valorisée, elle ne résume pas à elle seule tous les individus.

 

La nourriture est explorée comme un langage d’amour mais elle est aussi un prétexte pour parler de bien d’autres sujets, y compris les plus délicats : la prise en charge des aînés, quitte à mettre entre parenthèse carrière et rêves, la présence souvent pesante des génitrices et des « tantes », les pressions insistantes des entourages concernant le mariage, la fragilité des entreprises familiales de la restauration, les pauvretés relationnelles et culturelles des petites villes américaines. Bien évidemment, ce polar n’est pas une étude anthropologique mais il est, y compris avec ses longueurs, ses nombreux personnages, une manière divertissante d’aborder le monde américano-philippin et son univers des plaisirs de la table.

 

Mia P. Manansala : L’art meurtrier du lait de coco. La cuisine mortelle de tita Rosie, Le Cherche Midi, 2024, 425 p

François Guilbert

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