BIRMANIE – LIVRE : Découvrez la vie de Louis Charles Girodon, l’aventurier Français de Rangoun
Notre ami et chroniqueur François Guilbert suit chaque publication nouvelle sur la Birmanie. Il nous livre ici sa chronique d’un récit historique haletant et véridique sur Louis Charles Girodon, épicier du Loir et Cher devenu aventurier en Birmanie au 19ème siècle.
Par François Guilbert
Hier comme aujourd’hui, il faut être aventurier pour s’installer en Birmanie si on veut y faire des affaires. Les baroudeurs faisant présentement leur vie à Rangoun ou Mandalay doivent, comme leurs devanciers d’autrefois, composer avec les vicissitudes du pouvoir mais de là à devenir des médiateurs entre les centres de décision de Nay Pyi Taw et Paris, négocier des accords commerciaux bilatéraux ambitieux voire la mise en œuvre d’une coopération militaire pour aider les autorités de la capitale à se maintenir en place, il y a de la marge. Ce fut pourtant, au milieu du XIXème siècle, le destin d’un fils d’épicier de Vendôme (Loir-et-Cher), Louis-Charles Girodon (1811 – 1865).
Ayant probablement pris le pseudonyme de d’Orgoni alors qu’il participait en 1832 à la tentative de soulèvement de la Vendée par la duchesse de Berry, à la défaite survenue il prend les routes de l’exil. L’Angleterre d’abord, puis le Portugal pour servir dans l’armée du roi Michel 1er avant que ce ne soit l’île Bourbon en 1836, où il dirigea une plantation de café, puis l’Inde en 1847. Une errance qui le conduit au fil du temps toujours plus à l’Est, probablement pour échapper, aussi souvent que nécessaire, aux créanciers qu’il ne parvient pas à honorer durablement.
A partir de 1852 et jusqu’à son décès à Rangoun treize ans plus tard, l’histoire de l’homme venu du Perche se confond avec celle de la Birmanie, et plus encore avec celle de la conquête britannique. Des techniques de teinture de la soie à la production de munitions, le quadragénaire d’alors fut à un touche-à-tout. Sa connaissance du métier des armes et des matériels de guerre le mit au contact de la cour et des partisans autour du souverain favorables au recours à la force pour combattre les avancées territoriales de Londres. Cela lui valut d’être fait Boge (général) et envoyé comme émissaire auprès de Napoléon III en 1856, une mission diplomatique à caractère commerciale vers la France mais qui le conduisit aussi à rencontrer en Bavière le tsar de Russie Alexandre II puis le souverain pontife Pie IX à Rome pour discuter d’implantations religieuses. Cette dernière étape vaticane ne fut pas sans effet puisqu’elle concourra à voir confier aux pères des Missions étrangères de Paris (MEP) et au franc-comtois Mgr Paul Amboise Bigandet (1813 – 1894) la charge des missions catholiques en Birmanie, en lieu et place de missionnaires italiens rattachés à la congrégation turinoise des Oblats de la Vierge Marie.
Mais au-delà de ces manœuvres politico-diplomatiques dont bon nombre ne furent guère du goût des administrations parisiennes ou encore des légations à Calcutta et au Caire, le général d’Orgoni chercha largement à promouvoir ses intérêts mercantiles et personnels. Négociant et intermédiaire, il s’enrichit souvent dans sa vie mais aussi vite qu’il se ruina. Au-delà des péripéties sinueuses d’un parcours professionnel et familial, c’est toute la complexité des rivalités franco-britanniques aux confins du sous-continent indien, de la Chine et de l’Asie du Sud-Est au milieu du XIXème siècle qui est rendue par le manuscrit d’Arthur Boyer. On y voit également s’y débattre le roi Mindon Min (1808 – 1878) pour préserver, autant que possible, l’indépendance de son pays.
Opportuniste et avec de réelles qualités d’entregent, d’Orgoni aura su se faire un nom pendant quelques années à Paris, Londres, Calcutta, Rangoun et Amarapura mais sans toutefois devenir un personnage central des relations franco-birmanes, tout comme son rival, l’intriguant François d’Ava. Son influence sur les événements de la conquête coloniale aura été à la fois très largement sur et sous-estimée par ses contemporains, ce qui n’est pas banal. Dans ce contexte mémoriel si insolite, le mérite de sa biographie aura permis de faire « revivre » une personnalité singulière, brouillonne, hyperactive et sans grande constance dans les efforts mais dont certains des biens birmans sont aujourd’hui dans les collections permanentes du musée municipal de sa ville natale qu’il contribua à faire naître.
François Guilbert
Arthur Boyer : Le général d’Orgoni : un aventurier français au service du roi de Birmanie, Amazon, 141 p