LIVRE – INDOCHINE : “Les Jauniers” de Paul Monet
Une fois encore, c’est par un écrivain qu’arriva le scandale… En 1925, Roland Dorgelès écrit « Sur la Route Mandarine » qui raconte son voyage du Nord au Sud de l’Indochine. Une brillante étude, qui va essayer de décrire la Belle Colonie telle qu’elle est et non telle qu’on peut en rêver depuis la Métropole.
Certains passages feront mal, comme la description des mines de charbon de Hongay : « Les carrières noires grouillaient d’ouvriers, êtres vêtus de loques, piocheurs aux bras maigres. Des femmes, mais aussi, derrière des wagonnets, des « nhos » de dix ans s’arc-boutent, visages épuisés sous le masque de charbon »…
Pour l’auteur, ils sont les misérables victimes d’un système colonial qui ne connaît que le profit: « L’invasion des capitaux a tout bouleversé : en Europe, ceux qui profitent ; à la Colonie, ceux qui triment »…
L’occasion est trop belle pour Marcel Cachin et le Parti Communiste ; il monte à la Tribune de la Chambre en mars 1927 et le livre de Dorgelès à la main, dénonce le traitement infligé aux travailleurs indochinois par les grandes sociétés françaises. La réponse viendra d’abord de Georges Le Fèvre dans son livre Démolisseurs et Bâtisseurs (1927) où il essaiera de défendre l’œuvre des colons dans les plantations d’hévéas en Cochinchine. Mais le mal était fait et en 1930, Paul Monet, ancien fonctionnaire du Service Géographique de l’Indochine lance un nouveau pavé dans la mare. Son livre, Les Jauniers. Histoire vraie va révéler au public français la triste réalité du trafic de main d’œuvre en Indochine et dans le Pacifique.
Les immenses plantations d’hévéas de Cochinchine et du Cambodge manquent de coolies pour les défrichements effrénés demandés par les actionnaires insatiables des grandes sociétés métropolitaines.
Alors, on va puiser dans le réservoir des foules tonkinoises ; le Delta du Fleuve Rouge n’arrive pas à nourrir sa trop grande population ? Alors, envoyons tous ces pauvres gens vers le Sud, là ils vont trouver du travail. La réalité sera tout autre et des foules entières tomberont dans une sorte d’esclavage aux mains des « Jauniers », nouveaux négriers asiatiques.
A la suite du réquisitoire de Monet, Yvonne Schultz à son tour décrira le calvaire des coolies tonkinois envoyés vers le Sud, dans un roman, Dans la griffe des Jauniers, paru en 1931. Elle rassemblera sous une forme romanesque les principaux épisodes du scandale, la révolte des coolies de la plantation Michelin en 1927 et l’assassinat de Bazin, directeur de l’Office de recrutement de la main-d’œuvre indigène, en 1929.
Si la forme du roman, véritable descente aux enfers de deux pauvres tonkinois, semble excessive et souvent caricaturale, il aura le courage de révéler une page noire de la colonisation française au moment où toute une nation allait célébrer l’apothéose de son Empire en 1931, à l’Exposition Internationale de Vincennes.
François Doré
Librairie du Siam et des Colonies
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