BIRMANIE – LIVRE : «Variations Birmanes», une introduction à un pays aujourd’hui ravagé
Le livre : Amaury Lorin : Variations birmanes, Edition Samsa, 2022, Bruxelles, 199 p, 20 euros
La critique de notre collaborateur François Guilbert
Si le manuscrit d’Amaury Lorin eut été publié à une autre époque que celle du gouvernement militaire du général Min Aung Hlaing, il aurait pu s’intituler : balades en Birmanie. C’est en effet à une vadrouille assez paisible aux quatre coins du pays que l’ex-journaliste du Myanmar Times nous invite. Chaque étape (ex. la pagode Shwedagon, le mausolée du dernier Empereur moghol, les locaux du Secrétariat ex-siège symbole de l’administration britannique, les îles Mergui de la mer d’Andaman, les collines de Pyin Oo Lwin et la vallée de Mogok dans la région de Mandalay, le cours de la rivière Chindwin le principal affluent du fleuve Irrawaddy., …) est l’occasion de revenir sur une période historique voire un écrivain célèbre ayant évoqué dans ses écrits son passage en Birmanie (ex. Joseph Kessel, Pierre Loti, Pablo Neruda, George Orwell). Les paysages évoqués sont ceux que pouvaient espérer voir les touristes avant que la COVID-19 ne mette un terme à leurs projets de découverte.
Ce vagabondage paisible d’un reporter du premier quart du XXIème siècle n’en est pas moins l’occasion d’un chapitre insolite qui intéressera, tout particulièrement, les lecteurs français.
L’auteur a pris le temps de revenir sur les singulières relations franco-birmanes des XVIème-XIXème siècles et une intimité politico-militaire bilatérale qui aurait pu faire tomber le royaume birman et ses terres dans le giron français voire son espace colonial indochinois. L’occasion d’évoquer dans un chapitre documenté certaines figures religieuses marquantes : le franciscain Pierre Bonfer venu en pays môn de 1554 à 1557, les évêques Pierre Lambert de la Motte (1624 – 1679), Paul-Ambroise Bigandet (1813 – 1894) et les frères des missions étrangères de Paris (MEP) mais également l’administrateur Joseph-François Dupleix (1697 – 1763), l’aventurier Pierre de Milard (1736 – 1778), l’amiral Pierre-André de Suffren (1729 – 1788) et quelques autres encore à l’image de Jules Ferry.
Autre temps historique marqué par l’auteur, celui consacré à l’Etat Rakhine. Une plongée dans les méandres des drames rohingyas, les enjeux stratégiques contemporains de la zone économique de Kyaukphyu et les constructions inachevées d’un Etat fédéral birman. Autant de sujets polémiques à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Birmanie et qui clôturent le récit. Cette chute brutale fait que la randonnée proposée par Amaury Lorin donne parfois l’impression de se déplacer dans un pays qui n’existe plus. Si par certains aspects c’est vrai, cela tient pour beaucoup à une nation que les militaires qui se sont emparés du pouvoir en février 2021, s’emploient à refermer peu à peu sur elle-même, pour ne pas dire cadenasser. Le repli est d’ailleurs devenu tel que plusieurs descriptions de sites géographiques ne correspondent plus aux réalités de l’automne 2022. Mais, ne nous y trompons pas, ce livre n’est pas une fresque de l’actualité et des drames survenus depuis février 2021. Il les évoque de-ci-de-là mais ce n’est pas une enquête sur le retour au pouvoir de la Tatmadaw et de ses chefs. Cela peut s’avérer dommage car les ouvrages en français comme en anglais sur l’actualité récente sont peu nombreux mais aussi parce que certaines sentences sont énoncées sans réelle démonstration. Proclamer sans nuance, par exemple, que les sanctions adoptées par les Occidentaux ont frappé, hélas, de nouveau le peuple birman auraient mérité pour le moins d’être illustré et argumenté car il ne fait guère de doute qu’elles seront encore renforcées dans les temps qui viennent car la junte au pouvoir à Nay Pyi Taw est toujours dans une logique d’écraser par la violence ses adversaires.
François Guilbert