C’est un récit humanitaire poignant que le Comité International de la Croix Rouge dresse de la situation à Marawi, aux Philippines, où l’armée a mené un combat sans merci aux islamistes séparatistes. À Marawi City, dans la province de Lanao del Sur, à Mindanao, dans le sud de l’archipel, des dizaines de familles ignorent toujours le sort des proches qui ont disparu lors du conflit armé de cinq mois qui a débuté le 23 mai 2017.
La vie continue. Quatre ans ont passé et il est toujours difficile d’accepter (ce qui s’est passé)”, a déclaré *Joël, 26 ans, dont le père, un ouvrier du bâtiment, est toujours porté disparu.
“Je le remercie de nous avoir bien élevés. De nous avoir inculqué de ne pas enfreindre la loi. Il me manque tellement parce qu’il était mon guide (dans la vie)”, a-t-il confié, ému.
Au-delà de la douleur psychologique liée au fait de ne pas savoir ce qui est arrivé à leurs proches, les familles de disparus ont des besoins économiques, juridiques et psychosociaux. Beaucoup ont perdu leur soutien de famille et sont confrontées à des lacunes juridiques et administratives qui limitent leur accès aux prestations sociales et aux pensions.
Soutien aux disparus
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui soutient les familles de disparus depuis le siège, a mené une évaluation en 2019 pour évaluer ces besoins suite à la disparition. Elle a montré que la priorité absolue des familles était de clarifier le sort et le lieu de séjour de leurs proches, suivie par l’aide financière ; et la prise en charge des défis psychosociaux auxquels elles sont confrontées pour faire face à l’absence.
Sur la base de cette évaluation, le CICR a conçu un programme d’accompagnement qui a débuté en juin 2020 pour aider à répondre aux besoins de ces familles. L’objectif principal de l’accompagnement est de renforcer les capacités des individus et des familles à faire face aux difficultés liées à la disparition de leurs proches et à reprendre éventuellement leur vie sociale. Ils peuvent y parvenir en maximisant leurs propres ressources et celles disponibles dans la communauté et en créant un réseau de soutien.
Des “accompagnateurs” ayant vécu la perte d’un proche ont été formés pour mettre en place des groupes de soutien par les pairs de 6 à 8 personnes d’une même région. Ils se sont réunis deux fois par mois en portant des masques dans des lieux bien ventilés, dans le respect des protocoles COVID-19, sur une période de six mois. Au cours de ces sessions, les animateurs ont enseigné aux participants de meilleures façons de faire face et de gérer le stress. Les participants ont partagé leurs émotions, leurs luttes quotidiennes et leurs souvenirs positifs des êtres chers disparus, ainsi que leur propre rôle et les changements auxquels ils ont été confrontés après la disparition.
“Le fait que d’autres personnes vivent cette situation est important pour la guérison. Nous ne favorisons pas l’oubli. Nous les aidons à apprendre à vivre avec l’ambiguïté et à créer un nouvel espoir et un sens à la vie”, explique Sherzod Musrifshoev, délégué au soutien mental et psychosocial du CICR basé à Iligan City.
Soutien psychologique
Le cycle de séances de groupe comprend neuf séances de soutien psychologique et psychosocial. À l’issue du cycle, les familles bénéficient également de deux ou trois séances d’information portant sur des questions sanitaires ou juridiques. Lors de la cinquième session, les familles apportent les aliments ou objets préférés de leurs proches disparus et partagent avec le groupe les souvenirs qui y sont attachés. Cette séance est suivie d’une commémoration de groupe, une activité visant à représenter leurs proches disparus. Les participants choisissent le projet et conçoivent la mise en œuvre eux-mêmes, tandis que le CICR leur apporte un soutien financier pour les matériaux nécessaires.
Un groupe a décidé de planter 45 acajous pour symboliser la présence de leurs proches disparus, tandis que des familles de Libertad, dans le Misamis Oriental, ont construit un hangar d’attente et un panneau commémoratif en forme de cœur pour se souvenir des êtres chers disparus.
“Lorsque le programme d’accompagnement prendra fin, nous prévoyons de continuer à nous réunir lors d’occasions spéciales liées à nos proches disparus, comme les anniversaires. Le panneau en forme de cœur symbolise l’amour, l’attention, l’honneur et le respect que nous portons à nos familles qui ont disparu pendant le siège de Marawi “, a déclaré *Melissa, une ” accompagnatrice ” de Libertad, dans le Misamis Oriental, dont le mari et le fils sont toujours portés disparus.
Le temps ne guérit pas
Le programme d’accompagnement du CICR se poursuit à ce jour, s’étendant aux régions des villes de Zamboanga et de Cotabato, à Mindanao, où vivent certaines familles de disparus.
Pour elles, le temps ne guérit pas, mais les réponses le font. La recherche active d’êtres chers disparus peut se poursuivre pendant des décennies car l’incertitude de savoir si un être cher est vivant ou mort est insupportable et ne permet pas aux familles d’arrêter de chercher jusqu’à ce qu’elles sachent.