Le credo d’Arnaud Nazare-Aga, qui dirige avec sa femme Adeline l’atelier Paj’Art, c’est « l’art populaire et ouvert à tous. » Cet artiste français, installé à Bangkok depuis 2006, a lancé Artheline, une collection de sculptures légères et toutes en rondeur qui allient les formes et les couleurs, traitées en différents matériaux et peintes avec des motifs colorés variant à l’infini.

Parcourir l’atelier Paj Art, à Bang Kapi, est une expérience revigorante : de grands espaces blancs et lumineux sur quatre étages, où des pièces aux formes rondes, lisses, sans aspérités, cœurs perchés sur une tige, culbutos, Vénus aux formes opulentes ou sumos aux diverses positions se côtoient dans un joyeux tumulte de couleurs. Mais attention, même si tout cela paraît très ludique, même si l’on y travaille, entre autres, le papier mâché, on est loin de l’atelier du mercredi pour les enfants ! Et lorsqu’Arnaud commence à évoquer l’énergie apportée par les formes, on devine que la démarche est certainement plus profonde qu’il n’y paraît.

Passionné d’art depuis son enfance – il a grandi auprès de parents amateurs d’art et collectionneurs –, la démarche d’Arnaud a d’abord été spirituelle. A l’âge de 14 ans, il intègre un centre bouddhiste tibétain en Bourgogne où il passera 13 ans et vivra « une extraordinaire aventure artistique et spirituelle ». Il suit l’enseignement du bouddhisme, apprend le tibétain et participe à la construction d’un temple de style bhoutanais où tout a la particularité d’être peint – bouddhas aux multiples couleurs, colonnes, lignes et tous les éléments de décoration. Le jeune homme intègre alors une école renommée à Paris où il apprend les techniques de moulage et de staff et devient responsable de la décoration du temple, en appliquant ces nouvelles techniques à une construction par ailleurs très artisanale. Des artistes bhoutanais sculptent certaines parties et lui fait les moules, dont mille reproductions de Bouddha sur les corniches. Ce temple pop-art, dont la construction aura duré dix ans, est considéré aujourd’hui comme l’un des plus beaux temples de ce style au monde (1).

En 1988, Arnaud Nazare-Aga est même invité au Bhoutan par la famille royale en compagnie de son maître lama. « Des souvenirs extraordinaires », se rappelle celui qui, déjà à cette époque, pense que l’art contemporain et l’art religieux doivent se rencontrer. Il organisera même une exposition d’artistes contemporains dans un temple bouddhiste.

Puis la vie et la nécessité de la gagner l’ont mené sur différents chemins, à Paris et en Asie, où il s’installe d’abord au Laos, puis à Hong Kong où Fabien Ouaki, un ami de longue date, le charge de monter le bureau d’achat des magasins Tati. En 1996, il rencontre sa femme Adeline, Française d’origine philippine, reste quelques années en France avant de s’installer avec sa famille en Thaïlande en 2006, où il travaille pour une société dans le secteur du bâtiment.

En 2010, l’opportunité de revenir à son métier d’origine se présente quand un ami lui parle d’une artiste française qui vend des œuvres en papier mâché et qui recherche un fournisseur. Il ne laisse pas passer sa chance et produit alors pour l’artiste. Mais la crise ayant réduit les commandes, il décide en 2012 de lancer ses propres collections sous le label Artheline. Lui crée les designs, s’occupe des formes tandis que sa femme Adeline se charge des couleurs.

Le sumo a la cote

Aujourd’hui, en déambulant sur les quatre étages de l’atelier, il est facile de constater que l’activité se concentre sur les sumos, même si le papier mâché est toujours le produit principal. Une pièce est consacrée à la fabrication des moules faits d’une membrane en silicone dans une coque en résine, technique apprise en France qui permet une résistance parfaite et une mémoire de forme servant à fabriquer de grands modèles. Les dernières créations du couple sont plutôt imposantes. « Pour moi, il est important de concevoir l’art avec une organisation de production pour pouvoir faire des séries, explique Arnaud Nazare-Aga. Et comme ce que j’aime, c’est la sculpture peinte, et aussi partager une œuvre avec la personne qui va l’acheter, je vais laisser le client choisir des teintes, le type de motifs, faire une recherche intérieure et extérieure pour savoir ce qu’il voudrait avoir chez lui et ce qu’il a envie de transmettre, au travers de ces pièces, à ses enfants qui vont grandir avec. J’ai des souvenirs de sculptures chez mes parents qui ont marqué mon enfance, elles font partie de mon environnement. Tout le monde a une part de spiritualité, je veux la partager avec les gens au travers de l’art. »

Pour illustrer son propos, l’artiste nous conduit à l’étage de l’atelier peinture. Le maître de peinture travaille sur un prototype de sumo, avec les dessins et indications de couleur fournis par le client. « J’ouvre un pan énorme en demandant au client ce qu’il a en tête. Et on discute ensuite sur la pertinence, explique Nazare-Aga. Une épreuve permet ensuite de corriger certaines erreurs de conception. Le résultat est parfois étonnant ! Un client m’a un jour demandé de mettre un drapeau impérial inversé et un tatouage de samouraï sur la fesse de son sumo. C’était tellement réussi que je l’ai fait entrer dans la collection. »

La dernière étape est consacrée au vernissage, – trois couches pour les grosses pièces – puis les œuvres seront prêtes à être expédiées ou vendues sur place. La clientèle de Paj Art est principalement française et européenne parce qu’« en Asie il n’y a pas d’art, excepté l’art bouddhiste. Mais une révolution artistique est peut-être en train de se produire avec le collectif du V64 Art Studio et d’autres initiatives. LesThaïlandais découvrent depuis quelques années l’art contemporain et aiment ce qu’on fait », se réjouit l’artiste.

Martine Helen

(1) mille-bouddhas.com

Atelier Paj’Art Studio

27 Pho Kaew 3, Khlong Chan, Bang Kapi

arnaud.thai@gmail.com